La Symphonie pastorale est un court récit d’André Gide publié en 1919. L’œuvre ne s’inscrit pas dans un contexte littéraire particulier, si ce n’est qu’elle se rattache au style de l’un des maîtres du roman contemporain, en traitant du conflit qui oppose la morale religieuse aux sentiments éprouvés et à la liberté individuelle.
Dans ce récit, écrit sous la forme d’un journal intime et dont le titre est inspiré de la sixième symphonie de Beethoven, Gide continue d’arpenter l’analyse psychologique en mettant en scène, dans un village suisse, un pasteur protestant et une jeune aveugle de naissance. Le pasteur tente de faire découvrir le monde à Gertrude, par le biais notamment de comparaisons musicales.
Le pasteur : C’est le narrateur du récit : un homme marié et père de quatre enfants, austère mais profondément généreux, qui se dévoue aux autres. Lorsqu’il croise Gertrude, il se fait un devoir de la prendre en charge. Sa ferveur religieuse l’empêche de voir, dans un premier temps, qu’il tombe amoureux de la jeune fille. Il fait découvrir un monde sans péché à son élève qui sera désillusionnée lorsqu’elle retrouvera la vue. Gertrude : C’est une enfant sauvage, sur la défensive mais curieuse, et aveugle de naissance. Gertrude a une quinzaine d’années lorsque le pasteur la trouve et la prend sous son aile. Elle se révèle belle et vertueuse. Elle retrouve la vue à la fin du récit mais finit par se suicider en découvrant les peines infligées et un monde de péché qu’elle ignorait. Jacques : Il est le fils aîné du pasteur. Étudiant en théologie, il discute volontiers avec son père sur les thèmes bibliques mais ils finissent pas s’opposer. Jacques se convertit au catholicisme et devient prêtre. Il tombe amoureux de Gertrude (comme son père) et lui lit des textes bibliques qui parlent du péché, la désillusionnant sur le monde qu’elle voit désormais de ses propres yeux. Amélie : Elle est l’épouse du pasteur et se consacre aux tâches ménagères et à l’éducation de ses enfants. Bien que vertueuse, elle n’apprécie pas l’arrivée de Gertrude dans leur foyer. Elle comprend vite le danger que représente Gertrude. Peu apte aux dialogues, elle s’exprime par des sous-entendus et des allusions. Le docteur Martins : C’est un ami du pasteur, qui l’aide dans son approche de l’éducation de la jeune Gertrude. Il lui parle du cas américain de Laura Bridgman et l’encourage à amener Gertrude au docteur Roux pour qu’il l’opère et qu’elle recouvre la vue.
L’éducation : Cet ouvrage fait une peinture de l’éducation protestante et d’une éducation plus alternative inspirée par le cas Laura Bridgman, où une personne en déficience peut recevoir la même instruction qu’une personne dite valide. La place de la Bible est prépondérante. L’éducation passe aussi par une observation de la nature et par des promenades qui éveillent l’esprit, par une écoute musicale. Cependant, le pasteur donne ici une éducation incomplète et biaisée qui ignore le péché. L’amour interdit : Trois personnages aiment sans pouvoir vivre leur amour, subissant l’interdit paternel ou religieux : l’amour impossible de Gertrude et de Jacques, l’amour impossible entre Gertrude aveugle et le pasteur marié. Le bonheur et la quête du savoir : Gertrude est volontairement tenue dans l’ignorance puisque le pasteur ne lui enseigne que des éléments du beau (les paysages, le chant des oiseaux, la musique) et du bien. La quête du savoir est donc biaisée. Gertrude finit par découvrir le malheur, le péché et la peine de ses propres yeux, et elle ne peut le supporter. La religion : C’est d’abord l’opposition entre protestantisme et catholicisme. La religion est mentionnée lors de nombreuses lectures de la Bible et des discussions religieuses entre le pasteur et son fils. Finalement, les dogmes religieux sont peu de secours face au sentiment amoureux. La religion s’avère être une véritable source d’aveuglement et de mauvaise foi.
Le récit est présenté sous la forme d’un journal intime, rédigé par le pasteur. L’action se déroule à la fin des années 1890 en Suisse. Le pasteur, narrateur, est marié à Amélie, avec qui il a quatre enfants : Jacques, Charlotte, Claude et un bébé.
Un jour, il rencontre une jeune fille orpheline, enfant sauvage et aveugle, et décide de l’accueillir. N’ayant pas de nom, c’est sa fille Charlotte qui l’appelle Gertrude. Bien qu’Amélie soit réticente à cette arrivée, le pasteur la garde et décide d’éduquer celle qui ne connaît alors rien de la vie, ni de ce qui est bon ou mal. Il en fera une jeune fille intelligente et cultivée en omettant toutefois de lui présenter les péchés du monde. Le pasteur l’emmène assister à un concert à Neufchâtel et l’initie à l’orgue dans la chapelle. Son journal lui sert à noter les progrès de Gertrude.
Le pasteur finit par tomber amoureux de la jeune fille, tout comme son fils Jacques. Lorsqu’il s’en rend compte et qu’il ouvre les yeux sur ses sentiments, il ordonne à son fils de partir de chez lui. Entre temps, l’opération du docteur Roux redonne la vue à Gertrude : elle tombe alors amoureuse de Jacques, bien que lorsqu’elle était aveugle, ses sentiments la portaient vers le pasteur.
Obéissant à son père, loin de la chaumière familiale suisse, Jacques se convertit finalement au catholicisme et renonce à Gertrude en endossant son habit de moine.
Les yeux de la jeune fille observent tout ce que le pasteur lui a caché : le mal et le péché. Désillusionnée, elle tente de suicider par la noyade. Elle finit par mourir de folie quelques semaines plus tard.
La Symphonie pastorale se divise en deux cahiers. Sa composition reste unie et progressive bien que des parallélismes apparaissent entre les événements et notamment leurs conséquences morales.
Le premier cahier est lui-même divisé en une série de chapitres ponctués par de longues phrases réfléchies. Le rythme est lent et manifeste bien le système narratif gidien. Le pasteur y fait le récit de son histoire.
Après quarante jours d’interruption il reprend l’écriture dans un second carnet et, comme il devient en même temps lecteur de son premier journal, le pasteur opère ce que Gide nomme une « rétroaction du sujet sur lui-même ». Il prend alors conscience de son amour pour la jeune aveugle. Dans ce deuxième cahier, il assume pleinement son amour pour elle et fait une relecture libre des Évangiles qui peut paraître discutable. L’auteur pointe l’ambiguïté de l’amour humain, charnel, et de l’amour mystique. Manipulé par son désir, le raisonnement du pasteur se pervertit.
« Dès l’enfance, combien de fois sommes-nous empêchés de faire ceci ou cela que nous voudrions faire, simplement parce que nous entendons répéter autour de nous : il ne pourra pas le faire… »
10 février « Quand vous m’avez donné la vue, mes yeux se sont ouverts sur un monde plus beau que je n’avais rêvé qu’il pût être ; oui vraiment, je n’imaginais pas le jour si clair, l’air si brillant, le ciel si vaste. »
29 mai « Alors pourquoi ne pourrions-nous pas nous aimer ? Dites, pasteur, est-ce-que vous trouvez que c’est mal ?
- Le mal n’est jamais dans l’amour. »
12 mars « […] je veux dire simplement que l’âme de l’homme imagine plus facilement et plus volontiers la beauté, l’aisance et l’harmonie que le désordre et le péché qui partout ternissent, avilissent, tâchent et déchirent ce monde et sur quoi nous renseignent et tout à la fois nous aident à contribuer nos cinq sens. De sorte que, plus volontiers, je ferais suivre le Fortunatos nimium de Virgile, de si sua mala nescient, que du si sua bona norint qu’on nous enseigne : Combien heureux les hommes, s’ils pouvaient ignorer le mal ! »
27 février