Fiche de lecture
Le Colonel Chabert, Honoré de Balzac
Contexte

Le Colonel Chabert, qui paraît d’abord en 1832 sous la forme d’un feuilleton, est désormais l’un des principaux romans de la vaste Comédie humaine qu’a entreprit Balzac. Il s’agit d’un portrait du personnage éponyme, à mi-chemin entre le court roman et la nouvelle, qui rend hommage au « grognards » de Napoléon Ier. Comme tout ouvrage de Balzac, Le Colonel Chabert s’inscrit dans un contexte historique et socio-culturel réel.

Les différentes éditions de cette œuvre permettent également à Balzac de la lier plus facilement à ses nouvelles compositions en faisant vivre ailleurs des personnages à qui il a donné vie (Desroches, Godeschal, Alexandre Crottat, duc de Navarreins) et en insérant dans ce roman réaliste des bouts d’intrigues du Père Goriot par exemple.

Personnages

Maître Derville : Derville est l’avoué intègre des grands personnages de La Comédie humaine : César Birotteau, Félix de Vandenesse, le comte de Sérizy, les ducs de Chaulieu, de Grandlieu, de Navarreins, de Restaud… Bon et généreux, il est l’un des personnages centraux de l’œuvre balzacienne et du roman étudié ici : il est le seul qui aide vraiment Chabert.
Le Comte Ferraud : Il s’agit d’un aristocrate qui a émigré pendant la terreur et qui est resté fidèle aux Bourbons. En 1808, il épouse la « veuve » Chabert et sa fortune.
La Comtesse Ferraud : Elle est un personnage clé de l’œuvre et elle est même le seul personnage féminin. Bien qu’elle apparaisse parmi les femmes vertueuses de la préface du Père Goriot, c’est elle qui « tue » Chabert. Elle sait faire preuve d’une habileté et d’une cruauté étonnante malgré ses atours séduisants. Elle est un symbole de la société que Balzac peint avec critique.
Louis Vergniaud : Il est le seul ami fidèle de Chabert. Il sera emprisonné pour son implication dans un complot bonapartiste.
Le Colonel Chabert : Balzac s’est inspiré de plusieurs personnages pour créer le Colonel Chabert, dont un vrai Colonel Chabert né en 1770. Ce personnage perd son identité lorsqu’il est inscrit sur la liste des morts de la bataille d’Eylau. Sa quête est celle de retrouver cette identité.
Delbecq : Cet « ancien avoué ruiné » doué dans les affaires est considéré comme un anti-Derville. Dissimulateur, il est complice de la comtesse dans toutes ses intrigues malhonnêtes et il complète sa noirceur. Avec la comtesse, il représente une société cupide et corrompue où « l’intelligence peut se mettre au service du mal ».

Thèmes

L’argent : Il devient un élément négatif de la société du XIXe siècle. Balzac le décrit comme un poison qui détruit les rapports humains et familiaux et corrompt les valeurs humanistes auxquelles Chabert reste attaché : l’honneur, la générosité, la fidélité, la droiture.
La justice : Le roman explore de façon assez minutieuse le monde des affaires juridiques. L’intrigue est judiciaire et les avoués (Derville et Delbecq), à travers l’usage réciproque de leur métier et des valeurs qu’ils y attachent, peignent la société de leur temps avec son fonctionnement, ses vices et ses changements. La notion de transaction (composer et proposer un arrangement, un compromis pour régler un différend) est le symbole de cette justice moderne à laquelle le Colonel Chabert, en tant qu’esprit de militaire, ne peut adhérer.
L’Histoire : La période historique du roman parcourt la fin de l’Ancien Régime (1780), la Monarchie de Juillet (1830-1848) et avant tout la Restauration. Deux mondes se confrontent : celui, disparu, de l’Empire (période politique du Directoire en 1795, du Consulat en 1800, et de l’Empire en 1815, qui représente les valeurs du Colonel Chabert) et celui, présent, de la Restauration (Delbecq et la Comtesse).
L’errance : Le Colonel Chabert est un vagabond en quête d’identité : « Depuis le jour où je fus chassé de cette ville par les événements de la guerre, j’ai constamment erré comme un vagabond, mendiant mon pain, traité de fou » (p.69). Cette errance est à son image : un être perdu, sans identité qui s’engage dans une quête jonchée d’échecs et dont le parcours est de passer de l’hôpital à l’hospice.
L’identité : C’est un thème qui jalonne tout le récit puisque c’est l’obsession même du Colonel Chabert et la bataille juridique que livre Derville pour l’aider. Il s’agit d’obtenir de la société une reconnaissance officielle (une légitimité et une dignité), de retrouver un nom, un titre, une femme, une fortune. Or, Chabert se confronte à un monde qui le préfère mort, favorisant une nouvelle identité sociale bâtie sous la Restauration. L’identité révélée de sa femme (qui a honte de ses origines) dévoile un autre aspect de l’identité qu’on cherche à tout prix à effacer.

Résumé

Le roman du Colonel Chabert s’articule essentiellement autour de la quête du personnage éponyme qui cherche à retrouver son identité perdue, laissée sur le terrain de bataille d’Eylau en février 1807 où il est inscrit comme mort. Malheureusement, le dénouement montrera que ses pérégrinations sont loin d’amener une réussite. Au contraire, le personnage va jusqu’à renoncer à son humanité, et au lieu d’évoluer et de se construire, le héros apprend à ne plus exister et à renoncer à son identité.

Lorsqu’il rentre à Paris en 1819 sous la Restauration, il constate que son hôtel n’existe plus, que sa fortune est confisquée et que durant son absence sa femme s’est remariée au Comte Ferraud. Chabert fait alors appel pour retrouver sa situation, son nom et son rang mais la société a changé. Repoussé par la Comtesse et condamné pour vagabondage, il préfère abandonner sa quête pour devenir le numéro 164 d’un hospice anonyme. Derville, qui s’est occupé de son cas comme avoué, le rencontre à nouveau vingt ans plus tard dans des conditions qui le dégoûteront définitivement de la société. L’homme est transformé, à moitié fou parmi les malades mentaux et les criminels du centre, semblable à une épave.

Introduction

Les deux premières scènes se déroulent en février 1819. Chabert se présente chez Derville (en vain la première fois et avec succès la seconde). Ces scènes présentent les personnages et l’intrigue : Chabert raconte son passé et sa situation de « mort-vivant ».

Les péripéties

Trois mois plus tard Derville reçoit les papiers qui attestent de l’identité du Colonel. En allant lui rendre visite, Derville rencontre son logeur et ami, Vergniaud. Le portrait de Chabert se perfectionne.

Derville rend ensuite visite à la Comtesse (en écho à ces précédentes scènes) et l’on se rend compte de tout ce qui sépare ces deux personnages : misère et luxure, grandeur d’âme et manipulation. Les chapitres suivants soulignent les manipulations de la Comtesse et sa volonté de voir le Colonel Chabert disparaître de sa vie, ce qu’il finit par faire.

L’épilogue

Chabert renonce à exister et sombre dans un vieil hospice. Derville rencontre Chabert vingt ans plus tard à l’hospice : la dégradation de l’ancien Colonel est stupéfiante. La chute de Chabert est évidente.

Citation

« Ils ont des robes noires, peut-être parce qu’ils portent le deuil de toutes les vertus, de toutes les illusions »

Chapitre III, L’hospice de la vieillesse
« Le colonel Chabert était aussi parfaitement immobile que peut l’être une figure en cire de ce cabinet de Curtius où Godeschal avait voulu mener ses camarades. Cette immobilité n’aurait peut-être pas été un sujet d’étonnement, si elle n’eût complété le spectacle surnaturel que présentait l’ensemble du personnage. Le vieux soldat était sec et maigre. Son front, volontairement caché sous les cheveux de sa perruque lisse, lui donnait quelque chose de mystérieux. Ses yeux paraissaient couverts d’une taie transparente : vous eussiez dit de la nacre sale dont les reflets bleuâtres chatoyaient à la lueur des bougies. Le visage pâle, livide, et en lame de couteau, s’il est permis d’emprunter cette expression vulgaire, semblait mort. ».

Chapitre I, Une étude d’avoué
« J’ai été enterré sous les morts ; mais, maintenant je suis enterré sous des vivants, sous des actes, sous des faits, sous la société tout entière, qui veut me faire rentrer sous terre ! »

Chapitre I, Une étude d’avoué
« Enfin, toutes les horreurs que les romanciers croient inventer sont toujours au-dessous de la vérité ».

Chapitre III, L’hospice de la vieillesse