Avec Georges Feydeau, Georges Courteline fut, à la Belle Époque, le maître incontesté du théâtre de boulevard et du vaudeville. Cette pièce de théâtre, intitulée Le Gora, très courte, n’est constituée que d’une scène où dialoguent seulement deux personnages, sans véritable intrigue.
Gustave : Gustave est un bourgeois qui entretient une liaison avec une jeune femme, Bobéchotte, qui le surnomme Trognon. Bobéchotte : Bobéchote est la maîtresse de Gustave.
Une scène de ménage comique : Le dialogue s’ouvre sur un événement banal (le chat offert à Bobéchotte par la concierge) puis révèle un conflit au sein du couple, à propos de la question du mariage. C’est un jeu autour de la polysémie du mot « liaison » qui permet ce glissement : d’abord employé pour désigner le fait de prononcer la dernière lettre d’un mot précédent la voyelle initiale du mot suivant, il est pris ensuite au sens de relation amoureuse. L’incompréhension qui résulte du double sens de ce mot produit un effet comique. Du burlesque à la satire : Le burlesque réside dans la caricature des personnages : Bobéchotte est particulièrement inculte et bête ; Gustave se montre méprisant envers elle et la traite plus comme une enfant que comme une amante. Tous deux s’attribuent des surnoms ridicules. Dans cette caricature, on perçoit une satire sociale à travers ce bourgeois et cette femme de milieu modeste dont il veut bien faire sa maîtresse mais qu’il n’est pas pressé d’épouser.
Bobéchotte annonce fièrement à son amant Gustave que la concierge lui a offert « un gora ». S’ensuit une querelle autour de ce mot : quand elle lui précise qu’il s’agit d’un chat, Gustave essaie de lui faire comprendre que le bon mot est « angora », mais la jeune femme entend « nangora », puis « tangora » et enfin « zangora »… Et quand son amant évoque, à propos du mot « angora », la notion de liaison, Bobéchotte en profite pour lui reprocher de ne l’avoir pas encore épousée.
« BOBÉCHOTTE, égayée :
Mon pauvre Trognon, je te savais un peu poire, mais à ce point-là, je n’aurais pas cru. Alors, non, tu ne sais pas qu’un gora, c’est un chat ! »
« GUSTAVE :
[…] On ne dit pas : un petit nangora.
BOBÉCHOTTE :
Tiens ! Pourquoi donc ?
GUSTAVE :
Parce que c’est du français de cuisine.
BOBÉCHOTTE :
Eh ben ! elle est bonne, celle-là ! Je dis comme tu m’as dit de dire.
GUSTAVE :
Oh ! mais pas du tout ; je proteste. Je t’ai dit de dire : un angora, mais pas : un petit nangora. »
« BOBÉCHOTTE :
Et ça dit bien ce que ça veut dire. Oui, je crois que pour un tangora, le nom n’est pas mal trouvé. (Elle rit.)
GUSTAVE :
Pour un quoi ?
BOBÉCHOTTE :
Pour un tangora.
GUSTAVE :
Ce n’est pas pour te dire des choses désagréables, mais ma pauvre cocotte en sucre, j’ai de la peine à me faire comprendre. Fais donc attention, sapristoche ! On ne dit pas : un tangora. »
« GUSTAVE :
[…] Je dis : "On dit un angora, un petit angora ou un gros angora" ; il n’y a pas de quoi fouetter un chien, et tu ne vas pas te fâcher pour une question de liaison.
BOBÉCHOTTE :
Liaison !… Une liaison comme la nôtre vaut mieux que bien des ménages, d’abord ; et puis, si ça ne te suffit pas, épouse-moi ; est-ce que je t’en empêche ? »