Fiche de lecture
Le Père Goriot, Honoré de Balzac
Contexte

En 1834, Balzac (1799-1850) a déjà à son actif quelques succès d’estime, dont Eugénie Grandet, paru l’année précédente. Il vit comme un dandy, bien au-dessus de ses moyens, se fait un nom dans la bonne société parisienne, et travaille comme un forçat. Il a l’idée de faire revenir certains de ses personnages d’un roman à l’autre, comme ce sera le cas pour Vautrin et Rastignac. Son ambition est de dépeindre la génération de 1830, prise entre les espoirs déçus de la Révolution et de l’Empire, le retour au régime monarchique et une société en pleine mutation, obsédée par l’argent. À l’heure où Dumas, Vigny ou Hugo se jettent dans le romantisme, Balzac préfère représenter la réalité sociale avec lucidité, ce qui poussera les critiques ultérieures à le ranger un peu vite parmi les réalistes. Sa Comédie humaine, constituée en 1842, prend néanmoins forme dans ces années de formation, notamment avec les « scènes de la vie privées », dont fait partie Le Père Goriot.

Personnages

Eugène de Rastignac : Jeune étudiant en droit de 22 ans, très ambitieux, il ne recule pas devant des moyens détournés pour arriver à ses fins, « se faire un nom », comme se servir des relations de sa maîtresse. Pour autant, il est encore assez novice dans les usages de la société pour s’émouvoir de la façon dont les filles Goriot traitent leur père et il sera le seul à se soucier réellement du vieil homme.
Jean-Joachim Goriot : Ancien vermicellier, Goriot a fait fortune pendant la Révolution mais cette richesse a fondu lorsqu’il a constitué la dot de ses filles. L’amour qu’il leur porte dépasse la raison, elles sont sa raison de vivre et il leur passe tous leurs caprices pour quelques minutes d’affection. Pauvre et malade, il attendra la venue de ses « anges » jusque sur son lit de mort.
Delphine de Nucingen : La fille cadette de Goriot a épousé un banquier alsacien qui finira par les ruiner, après qu’elle ait noué une liaison avec Rastignac. Moins hautaine que sa sœur, mais égoïste et frivole, elle n’hésite pas à jouer les fillettes affectueuses pour obtenir toujours plus d’argent de son père qu’elle laissera pourtant mourir seul.
Anastasie de Restaud : La fille aînée de Goriot a épousé le comte de Restaud, qui lui a permis de faire rapidement son entrée dans le monde. Ruinée par un amant volage, consignée chez elle par un mari furieux, elle ne viendra voir son père que pour lui demander de l’argent et se rendra trop tard à son chevet. Les deux sœurs se jalousent et se détestent copieusement.
Vautrin : Ce personnage apparaît à plusieurs reprises dans l’œuvre de Balzac, et c’est ici sa première apparition. Il est possible que l’auteur se soit inspiré de Vidocq, ancien forçat reconverti. Ici, Vautrin, avec ses moyens expéditifs, fait figure de tentateur, même si Rastignac n’accepte pas sa proposition.
Madame de Beauséant : Cousine de Rastignac, la vicomtesse est une personnalité influente de la vie parisienne. Elle aide le jeune provincial à s’y faire une place et lui donne ses premières leçons d’arrivisme. Elle quitte Paris lorsque son amant épouse une autre femme.

Thèmes

L’argent : Dans la société balzacienne, l’argent n’est pas simplement un moyen de survie, c’est la clé qui ouvre toutes les portes : affection, estime, réussite. Du plus pauvre au plus riche, chaque personnage court après le gain, qui sert de lien entre les différentes figures du roman. Ce « nerf de la guerre », qui permet de devenir ce que l’on rêve d’être, est une arme à double tranchant : lorsqu’il disparaît, tous les liens sociaux, familiaux et affectifs, s’effondrent.
L’amour paternel : Balzac décrit Goriot comme un « christ de la paternité ». L’amour qu’il porte à ses filles le fait vivre et le tue au sens propre ce qui prête au personnage une tonalité pathétique qui frise parfois le ridicule, ou du moins l’outrance. Cet amour débordant et tragique, car le vieil homme sait à quoi s’en tenir, est lié, avec beaucoup de cynisme, au motif de l’argent, les deux filles de Goriot n’acceptant les signes d’affection de leur père que si l’argent coule à flot.
Paris et la société : Balzac donne ici à voir deux tranches différentes de la population du Paris en 1830, reliées par le personnage de Rastignac qui navigue de l’une à l’autre. Une frange misérable, celle de la pension Vauquer, où l’on court après chaque centime et où l’on n’hésite pas à commettre toutes les bassesses (délation, extorsion, meurtre, vol). Et une frange huppée, celle du Tout-Paris, qui ne vaut que parce qu’on rêve d’y entrer. Pour autant, les deux groupes comportent de nombreuses similitudes, notamment parce que la fin (l’argent) justifie les mêmes moyens.


Initiation et ambition : À bien des égards, Le Père Goriot est un roman sur l’ambition et l’arrivisme. On suit le parcours d’un jeune ambitieux, qui se défait peu à peu de ses illusions et de sa candeur pour atteindre son but. De Mme de Beauséant à Vautrin, Rastignac reçoit des leçons d’arrivisme, toutes plus cyniques les unes que les autres, mais redoutablement efficaces. Avec la mort de Goriot, c’est une forme d’ambition généreuse (donner à ses filles) qui disparaît ; le roman de Rastignac à la conquête de Paris peut alors commencer.

Résumé

Paris, automne 1819. À la pension Vauquer séjournent plusieurs résidents, dont Eugène de Rastignac, étudiant sans le sou, Vautrin, personnage peu engageant au lourd passé, Mlle de Taillefer que la famille de son père refuse de reconnaître, et M. Goriot, un ancien fabricant de pâtes et de pains qui a fait fortune avant d’être mystérieusement ruiné. Presque tous considèrent Goriot, dit « le père Goriot », comme un vieillard presque sénile et ridicule, n’hésitant pas à en faire leur bouc émissaire. Rastignac de son côté est aussi pauvre qu’ambitieux. Il se trouve invité au bal de Mme de Beauséant où il tombe sous le charme d’Anastasie de Restaud. Lors d’une visite ultérieure à Mme de Beauséant, il apprend la raison de la ruine du père Goriot : le brave homme a deux filles, prunelles de ses yeux, qu’il a mariées, l’une au comte de Restaud, l’autre au banquier Nucingen, avant de se retrouver ruiné par les dots. À présent qu’il n’a plus d’argent, filles et gendres ne se soucient plus de lui. Voyant Rastignac ému de cette histoire, Mme de Beauséant lui conseille, pour se faire un nom, de passer par femmes et l’envoie à la rencontre de la seconde fille de Goriot, Delphine. Le jeune étudiant demande à sa mère et à sa sœur de lui envoyer leurs dernières économies afin de pouvoir faire son entrée dans le monde. Il reçoit également les conseils de Vautrin, qui échafaude un plan machiavélique pour s’emparer de la fortune de Victorine Taillefer dès que son père la reconnaîtra. Rastignac refuse, préférant la solution de Mme de Beauséant et se fait présenter Delphine de Nucingen, à laquelle il fait une cour empressée. Par ailleurs, une réelle amitié s’établit entre le jeune et le vieil homme ruiné, qui croit toujours ses filles aimantes mais victimes de maris insensibles. Lorsque Rastignac devient l’amant de Delphine, la jeune femme lui avoue n’avoir aucune fortune personnelle, son mari s’étant accaparé toute sa dot. Rastignac gagne pour elle 7 000 francs à la roulette.

Goriot se désespère des problèmes d’argent de sa fille et continue de se ruiner. Rastignac se fait une place dans la bonne société parisienne et dépense des sommes folles, tout en comprenant que seul l’argent permet de se faire un nom.

À la pension, Mme Taillefer avoue à Rastignac les sentiments qu’elle lui porte, tandis que Vautrin tente toujours de mettre son plan à exécution. Suite à une dénonciation d’une autre pensionnaire, Mme Michonneau, on apprend que Vautrin est en réalité un ancien forçat évadé du nom de Trompe-la-Mort. Il est arrêté le jour où son complice assassine le frère de Victorine Taillefer. La pension Vauquer se vide peu à peu, au grand dam de Mme Vauquer, la logeuse.

Goriot, dans un ultime effort pour plaire à Delphine, loue pour Rastignac un appartement meublé rue d’Artois. Lui-même en est réduit à monter vivre dans l’une des chambres de bonne du même immeuble, afin, dit-il, de se rapprocher un peu de sa fille par le biais de son amant. Tous trois passent une agréable soirée dans l’appartement. La vicomtesse de Beauséant accepte d’inviter Delphine de Nucingen à l’une de ses soirées… La chance semble avoir tourné. Mais dès le lendemain, Delphine vient annoncer à son père que son mari a perdu toute leur fortune. De la même façon, sa sœur Anastasie de Restaud, a été ruinée par son amant et son mari est au courant. Goriot veut faire arrêter ses gendres. Les deux sœurs jouent la comédie du désespoir devant leur père au bord du malaise, jusqu’à ce Rastignac sauve la situation en donnant à Anastasie une lettre de change laissée par Vautrin.

Les deux filles de Goriot reprennent le cours de leur vie, mais leur père est au plus mal et sombre dans la folie. Lorsque Rastignac annonce cela à Delphine, elle ne se préoccupe que du bal donné par Mme de Beauséant. Au retour du bal, Rastignac et son ami Bianchon, étudiant en médecine, veillent le père Goriot, mourant. Le vieil homme pourtant ne pense qu’à ses filles, qui lui ont pris jusqu’au dernier centime pour s’offrir des robes. Rastignac tente de les faire venir au chevet de leur père, mais seule Anastasie viendra, trop tard. Goriot est enterré seul, aux frais de Rastignac et de Bianchon. Mme Vauquer va jusqu’à subtiliser le médaillon contenant les cheveux de ses filles. La scène finale montre Rastignac seul devant la tombe, à contempler Paris qu’il se promet de conquérir.

Citation

« Goriot mettait ses filles au rang des anges, et nécessairement au-dessus de lui, le pauvre homme ! Il aimait jusqu’au mal qu’elles lui faisaient. »
« Eugène ne pouvait pas se dissimuler que l’amour du père, qu’aucun intérêt personnel n’entachait, écrasait le sien par sa persistance et par son étendue. L’idole était toujours pure et belle pour le père, et son adoration s’accroissait de tout le passé comme de l’avenir. »
« Il lança sur cette ruche bourdonnante un regard qui semblait par avance en pomper le miel, et dit ces mots grandioses : “À nous deux maintenant !” »
« L’argent donne tout, même des filles. Oh ! mon argent, où est-il ? Si j’avais des trésors à laisser, elles me panseraient, elles me soigneraient ».