Fiche de lecture
Le Roman inachevé, Louis Aragon
Contexte

Le Roman inachevé, dont le sous-titre est Poème, se présente comme la troisième grande période créatrice du poète qui, après avoir prôné le retour au sonnet en 1954, déconstruit l’idée qu’on se faisait alors de sa poésie en jouant avec audace sur les rythmes et la liberté d’expression.

Il s’agit d’une autobiographie d’Aragon écrite en vers, et à laquelle ce dernier mêle des éléments narratifs fictionnels. Il faut donc comprendre le mot « roman » dans son sens médiéval : récit en vers français, c’est-à-dire en vers roman (en opposition aux vers latin). Aragon y parle avec franchise de sa jeunesse – malheureuse –, de la Première Guerre mondiale, du surréalisme, des années 30, de son engagement politique (et du communisme), des femmes dans sa vie et particulièrement d’Elsa, sa femme et muse, à qui il dédie de nombreux recueils dont Les Yeux d’Elsa (1942) ou encore Le Fou d’Elsa (1963).

Personnages

Nancy Cunard : Dite Nane, elle est la grande passion d’Aragon de 1926 à 1928.
Elsa : Il s’agit d’Elsa Triollet, jeune femme soviétique et écrivain, que le poète rencontre en 1928. Leur amour fait presque figure de légende aujourd’hui. Elle donne au poète le goût de vivre, le désir de chanter et la joie d’espérer.
Le poète : Le portrait d’Aragon est celui d’un homme contradictoire, à la fois sûr de lui, optimiste, et en même temps sceptique, voire pessimiste, persécuté et faible. Il ressuscite en rencontrant Elsa, ce don généreux et presque divin qu’il célèbre avec la plénitude de la poésie. Il échappe ainsi à l’angoisse permanente de la dégradation.

Thèmes

Le lyrisme : Le poète s’exprime grâce à une voix singulière, celle du « je » poétique qui construit le roman de sa vie. Un lyrisme déchiré et sans cesse interrogatif, allant jusqu’à l’auto-accusation et le dénigrement de soi :

« Moi qui n’ai jamais pu me faire à mon visage
Que m’importe traîner dans les clarté des cieux ».

Le lyrisme poétique sert à la confidence qui se fait le plus souvent éclat et cri de douleur : « Enfin que signifie
Ce râle prolongé qu’à tout chant je préfère ? » mais qui toujours se ré-harmonise par la vertu de l’écriture qui tisse des échos.
L’amour : C’est l’amour brisé (« Le long pour l’un pour l’autre est court ») et ce qui en découle : une nostalgie illusoire et la souffrance. Finalement, l’émerveillement d’aimer et de « frémir » ressurgit à nouveau avec Elsa qui offre une brutale résurrection au poète émerveillé par le miracle de l’amour.
L’Histoire : Bien que le recueil soit une autobiographie, il n’en traverse pas moins l’Histoire, que vit parallèlement Aragon : la Première Guerre mondiale, les années 30, la remise en question du communisme, la question sur l’engagement politique…

« Strophes pour se souvenir » écrit en mémoire du groupe Manouchian (des résistants étrangers, fusillés par la gestapo en 1944) montre le souci du poète de raviver le souvenir, de remémorer et de marquer certains faits d’une Histoire en marche tout au long du Roman inachevé.

Résumé

Le Roman inachevé, d’une grande richesse poétique, joue sur la diversité des formes employées, sur la métrique, les strophes, les rimes et s’écarte des formes traditionnelles. Aragon aime utiliser le caractère inachevé du quintil, des rimes tout autant que de la prose, des strophes tout autant que des vers libres.

On peut s’interroger sur le « mentir-vrai » de tout récit autobiographique, mais ce que recherche Aragon avant tout, et avec audace, c’est un renouveau poétique par le biais d’une expression créatrice et libératrice.

Le Roman inachevé contient trois parties où un prologue renouvelle à chaque fois le pacte autobiographique.

  • La première partie présente surtout des poèmes du souvenir où se mêlent des noms de lieux, d’événements historiques, de femmes. Aragon interroge la légitimité de sa mémoire sur cette « histoire éteinte » en même temps qu’il l’érige comme force poétique.
  • La deuxième partie est celle du lyrisme, qui donne place au langage (Aragon s’interroge sur son pouvoir) et à l’amour : « Ici commence la grande nuit des mots ».
  • La troisième partie reprend les précédents thèmes tout en soulignant le rôle poétique qui s’attache à Aragon et à son émerveillement d’aimer : « Je passe le temps en chantant / Je chante pour passer le temps ».
Citation

« Il n’aurait fallu
Qu’un moment de plus
Pour que la mort vienne
Mais une main nue
Alors est venue
Qui a pris la mienne

Qui donc a rendu
Leurs couleurs perdues
Aux jours aux semaines
Sa réalité
À l’immensité
Des choses humaines »

« Il n’aurait fallu »
« Tu m’as trouvé comme un caillou que l’on ramasse sur la plage
Comme un bizarre objet perdu dont nul ne peut dire l’usage
Comme l’algue sur un sextant qu’échoue à terre la marée
Comme à la fenêtre un brouillard qui ne demande qu’à entrer
Un lendemain de carrefour dans les papiers gras de la fête
Un voyageur sans billet assis sur le marchepied du train »

Sans nom
« Enfance
Un beau soir vous avez poussé la porte du jardin
Du seuil voici que vous suivez le paraphe noir des arondes
Vous sentez dans vos bras tout à coup la dimension du monde
Et votre propre force et que tout est possible soudain »

« La beauté du diable »
« Ce qu’il m’aura fallu du temps pour tout comprendre
Je vois souvent mon ignorance en d’autres yeux
Je reconnais ma nuit je reconnais ma cendre
Ce qu’à la fin j’ai su comment le faire entendre
Comment ce que je sais le dire de mon mieux »

Sans nom