Fiche de lecture
Les Caves du Vatican, André Gide
Contexte

Gide avait en tête le projet des Caves du Vatican depuis 1893, mais ce n’est qu’en 1911 qu’il en commence la rédaction. Le roman sera publié en 1914 et ne rencontrera aucun succès. Gide qualifie ce livre de « sotie » : la sotie est une pièce médiévale bouffonne que l’on donnait lors de la fête des Fous, caractérisée par un assemblage disparate d’éléments très différents. Gide affirme ainsi son parti pris : ce roman ne se soucie ni de réalisme ni de vraisemblance. Il s’agit au contraire d’un divertissement, qui s’abrite derrière son apparente folie pour faire une satire de la société. Tous les aspects de la morale commune sont en effet mis à mal, et les idéaux se retournent systématiquement en leur contraire, dépeignant la société comme une vaste mascarade.

Personnages

Anthime Armand-Dubois : Physiologiste, athée et franc-maçon, il souffre d’une sciatique jusqu’à sa conversion, qui reviendra lorsqu’il renoncera à la religion. Lors de sa crise religieuse, il a abandonné ses recherches scientifiques, qu’il reprendra ensuite, et renoncé à sa fortune.
Véronique Armand-Dubois : C’est la femme d’Anthime. Femme très pieuse, elle est pourtant perturbée par la crise religieuse de son mari.
Julius de Baraglioul : Le comte Julius de Baraglioul, beau-frère d’Anthime, est un romancier mondain, ultra-catholique et candidat à l’Académie. C’est un écrivain peu talentueux et à la recherche des honneurs. Il est décrit comme bigot de faible raisonnement.
Juste-Agénor de Baraglioul : Le comte Juste-Agénor de Baraglioul est le père de Julius, il meurt au début du roman.
Lafcadio Wluiki : Lafcadio est un jeune roumain, fils illégitime du vieux comte de Baraglioul. Il a été le petit ami de Carola mais s’en est séparé avant de partir pour l’Italie. Personnage très séduisant et plein de vie, il mêle absence de moralité et mauvaise conscience.
Protos : Protos est un ancien condisciple de Lafcadio. C’est un être sans illusion, le seul qui ait compris la réalité de la société. Il joue auprès de Lafcadio le rôle de mentor, et efface les traces des crimes de son protégé. Il divise le monde en deux catégories : les « crustacés », c’est-à-dire les gens normaux, et les subtils, c’est-à-dire ceux qui se tiennent en marge de la loi.
Carola : Carola était la petite amie de Protos, puis a été celle de Lafcadio. Femme au grand cœur, elle fait tout pour protéger Amédée.
Amédée Fleurissoire : Le beau-frère de Julius, homme naïf et d’une profonde piété, a fait vœu de chasteté. Il a contracté un mariage blanc avec Arnica Fleurisoire.

Thèmes

La sotie : Ce roman décousu et dépourvu de vraisemblance doit être lu comme une parodie du genre romanesque. Les hasards très nombreux et les rebondissements in extremis témoignent de l’humour de Gide. Certains personnages s’amusent eux-mêmes de la situation. C’est surtout le cas de Julius, qui est d’ailleurs romancier : il incarne ainsi la figure de l’écrivain qui observe les incongruités humaines.
La religion : Gide mêle le thème de l’invraisemblance romanesque à celui de la religion, suggérant ainsi que la religion n’est qu’un récit fallacieux parmi d’autres. Les personnages croyants sont systématiquement ridicules, et leur foi confine à la crédulité. Gide traite d’ailleurs le thème avec beaucoup de légèreté et d’humour en ouvrant le livre par la conversion d’un athée, et en le refermant par le reniement du même personnage.
La morale : La grande interrogation du livre est de nature morale. L’histoire littéraire a essentiellement retenu le thème de l’acte gratuit, mais Gide n’a pas voulu faire un livre à thèse. Il affirme d’ailleurs : « Mais non, je ne crois pas, pas du tout, à un acte gratuit. Même, je tiens celui-ci pour parfaitement impossible à concevoir, à imaginer. » (Correspondance, 1929).
La liberté : La vraie discussion philosophique porte ici sur la liberté, mais la conclusion est ambiguë. Au moment où Lafcadio croit avoir affirmé sa liberté, il se retrouve au contraire pris au piège de Protos. Cependant, le hasard lui donne une chance de se sortir de cette situation. Le roman se termine par ses hésitations : doit-il ou non se rendre ? C’est pourtant à ce moment-là qu’il est réellement libre, et la vraie liberté n’apparaît pas comme un bien précieux mais comme une hésitation inconfortable entre différents possibles.

Résumé

Livre I : Anthime Armand-Dubois

L’intrigue commence vers 1890.
Anthime Armand-Dubois, profondément athée, est en conflit avec son beau-frère, le très catholique comte Julius de Baraglioul. Mais lors d’un séjour de son beau-frère à Rome, Anthime se convertit au catholicisme à la suite d’un prétendu miracle qui le guérit de sa sciatique.

Livre II : Julius de Baraglioul

Julius, revenu de Rome, est chargé par son vieux père mourant, le comte Juste-Agénor de Baraglioul, de faire des recherches sur un jeune roumain de dix-neuf ans, Lafcadio Wluiki.

Lafcadio est intrigué de l’intérêt qu’on lui témoigne et il comprend finalement qu’il est le fils du vieux comte qui, avant de mourir, lui lègue une importante fortune à l’unique condition qu’il ne tente rien pour se faire reconnaître par la famille du vieux comte.

Le même jour, Lafcadio, lors d’un sauvetage héroïque, fait la connaissance de Geneviève, fille ainée de Julius.

Livre III : Amédée Fleurissoire

À Pau, une bande d’escrocs, appelée « le Mille-Pattes » répand le bruit que le pape a été emprisonné dans les caves du Vatican, puis au château de Saint-Ange, victime d’une conspiration de francs-maçons et de jésuites. La comtesse de Saint-Prix, sœur de Julius, est assez crédule pour les croire. Quant à Amédée Fleurissoire, un autre beau-frère de Baraglioul, fabricant d’objets de piété, il part pour Rome afin de délivrer le pape.

Livre IV : Le Mille-Pattes

Parmi les escrocs se trouve Protos, un ancien compagnon de collège de Lafcadio sur lequel il exerce une mauvaise influence. À Rome, Protos exploite la crédulité d’Amédée. Mais celui-ci est protégé par Carola, l’amie de Protos.

Livre V : Lafcadio

Julius est à Rome pour assister à un congrès. Il projette d’écrire un livre qui exposera l’histoire d’un crime absolument gratuit qui, pour cette raison, ne peut être puni.

Dans le train entre Rome et Naples, Lafcadio précipite un inconnu par la portière, sans le moindre motif, uniquement pour éprouver sa liberté. Cet inconnu est Amédée Fleurissoire. Mais Protos a tout vu et le fait chanter : il veut que Lafcadio devienne son complice, ce que le jeune homme refuse. Carola dénonce Protos, qu’elle croit coupable du meurtre d’Amédée auquel elle s’était attaché. Protos la tue et est arrêté.

Le meurtre a des conséquences inattendues : Julius oublie ses idées immorales et retourne à sa foi initiale, tandis qu’Anthime, au contraire, renie sa conversion. Lafcadio comprend la gravité de son geste et se confie à Julius. Il envisage de se livrer à la police, ce que Julius lui déconseille. Par ailleurs, Geneviève lui offre son amour.

Citation

« Il y a le roman, et il y a l'histoire. D'avisés critiques ont considéré le roman comme de l'histoire qui aurait pu être, l'histoire comme un roman qui avait eu lieu. Il faut bien reconnaître, en effet, que l'art du romancier souvent emporte la créance, comme l'événement parfois la défie. Hélas ! certains sceptiques esprits nient le fait dès qu'il tranche sur l'ordinaire. Ce n'est pas pour eux que j'écris. »

Livre III


« Nous ne saurions trop mettre en garde, lut Fleurissoire, les âmes dévotes contre les agissements de faux ecclésiastiques, et particulièrement d'un pseudo-chanoine qui se prétend chargé de mission secrète et qui, abusant de la crédulité, arrive à soutirer de l'argent pour une œuvre qui se baptise : CROISADE POUR LA DÉLIVRANCE DU PAPE. Le titre seul de cette œuvre en dénonce l'absurdité. »

Livre IV


« Pour la première fois je vois devant moi le champ libre… Comprenez-vous ces mots : le champ libre ?… Je me dis qu’il l’était déjà ; je me répète qu’il l’est toujours, et que seules jusqu’à présent, m’obligeaient d’impures considérations de carrière, de public, et de juges ingrats dont le poète espère en vain récompense. Désormais je n’attends plus rien que de moi. Désormais j’attends tout de moi ; j’attends tout de l’homme sincère ; et j’exige n’importe quoi ; puisque aussi bien je pressens à présent les plus étranges possibilités en moi-même. »

Livre V


« Sa raison de commettre le crime, c'est précisément de le commettre sans raison. »

Livre V