Fiche de lecture
Les Complaintes, Jules Laforgue
Contexte

Le recueil Les Complaintes, qui marque la fin du XIXe siècle, regroupe des poèmes variés de Jules Laforgue qui pourtant s’unissent sous la forme poétique de la complainte. Poète inclassable, inventeur du vers libre, les critiques ne savent pas où classer ce poète, entre héritier du romantisme, poète décadent, symboliste, moderniste, postmoderniste…

Dans son ouvrage, Jules Laforgue choque les habitudes des lecteurs en jouant sur le discours poétique, sur les influences, les parodies, la contrefaçon, la réécriture même. Il s’ancre également dans l’esprit de la fin du siècle, décadent, qui se situe en décalage avec l’idée d’harmonie, de beauté et d’équilibre des romantiques. Avec ironie, il montre dans Les Complaintes, les défauts et les excès du romantisme.

Personnages

Des dieux et des déesses : Leurs amours sont contrariés et parfois contre nature, ils sont dérisoirement dépeints et munis d’attributs triviaux : Vénus, Antigone, Galatée, la Pythie, Léda, Memnon, les Danaïdes, Prométhée.
Des personnages de l’Histoire sainte et de l’Orient : Salomon, la Vierge, l’Ange Gardien, Maïa, Brahma, le Roi de Thulé, Faust-fils, le Chevalier-Errant. Ils sont tous désenchantés.
Des gens de société et de chansons populaires : Marion à la fontaine ; la Barbe bleue ; Cendrillon.
Pierrot : Il est celui qui vit ailleurs, un être gris, peu sentimental, délivré des appels de séduction, au cœur chaste, irréel, triste et moqueur.

Thèmes

Le décadentisme : Le décadentisme est un mouvement littéraire et artistique qui touche à la recherche de l’étrangeté et du bizarre, à l’observation des phénomènes naturels et qui voit ce que le dégoût peut avoir d’attrayant.
Le mal de vivre : Il est lié à la plainte, aux émotions étalées qui conduisent parfois à la rêverie mais surtout au dégoût de la société. C’est aussi la hantise face au grand tout universel que soulignent les tons tragique et pessimiste. L’ironie amère témoigne de la nature profonde du poète : une nature triste, railleuse et hantée par la maladie.
L’amour difficile et la femme : L’amour unilatéral est un amour bafoué, un sentiment dont les suites ne sont pas heureuses. Il conduit le mari trompé aux lamentations qui expriment sa douleur intérieure. L’homme cherche l’amour et se voit pris dans un cercle vicieux d’efforts et de refus continuels.
La vie sociale et ses difficultés : On retrouve dans ce recueil la société du XIXe siècle et ses valeurs bourgeoises. L’humain est amené à prendre l’air imbécile, à se dissimuler sous des masques pour tenir le jeu social. Seule la solitude est vue comme un refuge. Le poète ne peut donc que rejeter la société.
L’évasion : Elle symbolise l’isolement hors de la société. L’évasion est permise par le rêve, l’onirisme, fantasmagorie d’un monde intérieur. Le monde intérieur est comme un cocon où l’on peut se réfugier et l’écriture est le moyen de l’atteindre.

Résumé

Dans ce recueil moderne de poèmes, Jules Laforgue mêle les registres de langue, du plus vulgaire au plus soutenu, et s’exprime en vers libres.

La poésie de Laforgue, qui rappelle ce que feront plus tard les surréalistes, est souvent considérée comme hermétique (le sens des poèmes n’est pas évident). La poésie des Complaintes n’est pas écrite pour communiquer un message mais bien plus pour jouer avec les mots.

Le recueil s’ouvre sur un diptyque de deux complaintes écrites sur le ton de la prière : « Complainte propitiatoire à l’Inconscient » et « Complainte-placet de Faust fils ». Les deux complaintes suivantes peuvent encore être lues comme un prolongement des deux premières, puis l’ouvrage se laisse porter par les jeux de langage, sans se soucier de créer une véritable structure.

Citation

« Ô toi qu’un remords fait si morte,
Qu’il m’est incurable, en tes yeux,
D’écouter se morfondre aux portes
Le vent aux étendards de cieux ! »

« Complainte du vent qui s’ennuie la nuit »
« Ah ! Qu’est-ce que je fais, ici, dans cette chambre !
Des vers. Et puis, après ! ô sordide limace !
Quoi ! La vie est unique, et toi, sous ce scaphandre,
tu te racontes sans fin, et tu te ressasses !
Seras-tu donc toujours un qui garde la chambre ?
Ce fut un bien au vent d’octobre paysage… »

« Complainte d’un autre dimanche »
« Menez l’âme que les Lettres ont bien nourrie,
Les pianos, les pianos, dans les quartiers aisés !
Premiers soirs, sans pardessus, chaste flânerie,
Aux complaintes des nerfs incompris ou brisés. »

« Complainte des pianos qu’on entend dans les quartiers aisés »
« Orgue, orgue de Barbarie !
Scie autant que Souffre-Douleur,
Vidasse, vidasse ton cœur,
Ma pauvre rosse endolorie. »

« Complainte de l’orgue de Barbarie »