Les Provinciales, dont le titre complet est Lettres écrites par Louis de Montalte à un provincial de ses amis et aux RR. PP. Jésuites sur le sujet de la morale et de la politique de ces Pères, est une série de dix-huit lettres que Pascal a publiées d’abord sous pseudonyme.
Dans ces lettres, Pascal cherche à défendre le théologien et janséniste Antoine Arnauld, dont il était proche, et auquel la Sorbonne faisait un procès. Les jansénistes s’opposaient en effet depuis plusieurs années aux jésuites, à la fois sur des points de dogme religieux et sur des positions éthiques. Pour défendre leur cause, ils s’adressent directement à l’opinion publique et font appel à Pascal qui s’était jusqu’alors distingué essentiellement en tant que mathématicien et physicien.
Ces lettres eurent une influence décisive sur leurs lecteurs, tous membres de l’élite intellectuelle et sociale, en présentant une autre image du jansénisme et en exposant les limites de la Compagnie de Jésus. Cela n’empêchera pas par la suite que le mouvement janséniste, basé à l’abbaye de Port-Royal, soit persécuté et l’abbaye bientôt évacuée.
Si le débat entre jésuites et jansénistes ainsi que les questions de la grâce et de la prédestination sont peu compréhensibles aujourd’hui, ces lettres restent d’une grande importance, tant d’un point de vue littéraire, par la maîtrise stylistique de Pascal et son usage de l’ironie, que d’un point de vue moral : Sainte-Beuve a ainsi rappelé que c’est Pascal qui, avec Les Provinciales, a débarrassé la morale de la scolastique qui l’encombrait.
Le narrateur : C’est un personnage fictif. Il n’a pas de nom dans les premières lettres, puis est baptisé Louis de Montalte. Il vit à Paris et suit le procès d’Arnauld. Ce n’est pas un janséniste, bien qu’il défende les jansénistes et leurs idées. L’ami : Ami janséniste du narrateur, il accompagne celui-ci lors de ses discussions avec un père jésuite. Il prend la parole pour discuter des points les plus techniques. Le père jésuite : Homme d’Église assez naïf pour répondre aux questions du narrateur. C’est malgré tout le jésuite type, se sortant de toutes les controverses.
La théologie : Les principaux thèmes des Provinciales sont de nature théologique. La grâce est le principal point de conflit. Les jansénistes défendent la conception de la grâce que l’on trouve chez saint Augustin, et estiment que saint Thomas a repris cette définition. L’enjeu porte sur la liberté humaine : si l’homme a la grâce parce que celle-ci lui a été conférée par Dieu, cela pourrait signifier que l’homme ne l’obtient pas librement, par exemple par ses mérites, et que ce n’est pas son libre arbitre qui le guide mais les décisions de Dieu. Les jansénistes se défendent de cette interprétation, qui est celle des calvinistes, par le raisonnement suivant : ce n’est pas par absence de liberté que les hommes ne résistent jamais à la grâce de Dieu mais parce que la délectation des choses célestes est plus importante pour eux.
Ces points de théologies sont néanmoins très complexes, et Pascal essaie de les vulgariser pour les rendre compréhensibles au public non théologien. Il s’efforce de présenter les différentes doctrines discutées ici simplement mais sans les dénaturer pour autant.
La scolastique et la casuistique font l’objet de la critique de Pascal. Il décortique les hypocrisies qui se déguisent sous la logique formelle des jésuites et cherche à montrer que ces principes reposent sur une mauvaise foi et une impiété premières. La morale : Au-delà de ces questions théologiques, ce sont finalement à des enjeux moraux que Pascal se confronte. La question reste toujours de savoir ce qu’est le bien, comment s’y conformer, comment ne pas se détourner face à son devoir et comment affronter la mauvaise conscience lorsqu’on a fait le mal. Pascal prône une morale droite et rigoureuse : il n’est pas besoin de délibérer sans fin, ce qui est bien est facile à reconnaître, de même que ce qui est mal. S’il peut y avoir parfois des raisons valables pour faire le mal, ça ne légitime pas pour autant ces mauvaises actions et surtout ne les transforme jamais en bien.
Un parisien écrit à un ami de province pour lui raconter le procès d’Arnauld à la Sorbonne.
Lettres 1 et 2
Ces deux lettres traitent de points de théologie au centre du jansénisme et discutés lors du procès d’Arnauld : le pouvoir prochain et la grâce suffisante.
Lettre 3
Cette lettre est écrite alors que le procès est terminé et traite de la condamnation d’Arnauld.
Le narrateur constate que les écrits d’Arnauld sont conformes à la pensée des pères de l’Église et qu’il a été condamné sans argument.
Le procès étant terminé, les lettres suivantes traitent des jésuites et de la casuistique (partie de la théologie qui traite des cas de conscience), que Pascal dénonce avec beaucoup d’ironie.
Lettre 4
Le narrateur, accompagné d’un ami janséniste, discute avec un père jésuite qui lui fait part avec naïveté de ses connaissances en matière de casuistique. Celui-ci définit la « grâce actuelle » ainsi : on ne peut accuser quelqu’un de pécher si Dieu n’a pas donné à cette personne la connaissance du mal et les moyens de l’éviter.
Le narrateur peut alors faire remarquer ironiquement que cette pensée permet d’innocenter tous ceux qui font le mal.
Lettre 5
L’ami janséniste s’en prend aux maximes casuistes qui visent à défendre le relâchement des mœurs. La justification de ces maximes est de ne pas se couper des chrétiens les moins rigoureux.
Afin de tester ce phénomène, le narrateur va voir un père jésuite et lui dit avoir du mal à jeûner. Le père lui propose alors des textes et des interprétations qui l’absolvent de cette obligation.
Comme le narrateur s’étonne de ces préceptes, le père lui dit ne pas les partager et lui explique que selon la doctrine des probabilités, il suffit qu’un docteur en théologie émette une telle maxime pour qu’elle soit tenue pour vraie, même si elle est contraire à la doctrine des pères de l’Église. Il devient même obligatoire pour un homme d’Église de s’y référer.
Lettre 6
Le jésuite explique au narrateur comment fonctionne la doctrine des probabilités et comment celle-ci s’emploie à rendre plus doux les préceptes de l’Église. Toute doctrine émise par un religieux est vérifiée par son supérieur. Si elle ne reçoit pas de contestation, elle est désormais valide.
L’idée des casuistes est de rendre plus souples les préceptes de l’Église afin de ne pas perdre totalement les hommes portés sur le vice.
Suivent alors différents exemple particulièrement édifiants de cette nouvelle tolérance. Ainsi, un valet peut voler son maître s’il s’estime mal payé.
Lettre 7
Le jésuite montre comment cette nouvelle morale s’applique à l’honneur, valeur importante parmi la noblesse : il suffit de transformer une mauvaise intention en bonne intention. Il devient ainsi permis de tuer pour se venger d’une offense. Seule réserve : dans l’intérêt de l’État, il est recommandé de ne pas tuer trop souvent.
Lettre 8
Le jésuite présente des maximes relatives à certaines professions et conditions sociales.
Les juges peuvent accepter d’être corrompus et rendre des verdicts non conformes à leur opinion. Les hommes d’affaire peuvent ne pas payer leur dettes et pratiquer l’usure : il suffit de présenter les choses sous un jour favorable. De manière générale, l’argent mal acquis peut être conservé.
Lettre 9
Selon un ouvrage religieux présenté par le jésuite, il suffit, pour accéder au Paradis, de quelques pratiques de dévotion faciles tel que le port d’objets pieux. Un autre religieux a démontré que les péchés mortels ne l’étaient qu’à condition de porter directement atteinte à l’Église ; dans le cas contraire, on peut parfaitement s’en accommoder.
Le cas du mensonge est traité à part : il suffit de démentir son mensonge à voix basse ou mentalement pour que ce ne soit plus considéré comme un mensonge.
Lettre 10
On traite maintenant des maximes relatives à la confession.
Sont présentées les différentes méthodes pour alléger le devoir de confession et surtout la pénitence qui lui est associée. Point culminant de ces chefs-d’œuvre de casuistique, il n’est désormais plus indispensable d’aimer Dieu. Le narrateur s’emporte alors devant ces manifestations d’impiété.
Lettre 11
À la onzième lettre, Pascal, abandonnant ses personnages fictifs, entreprend de répondre directement aux critiques des jésuites sur les lettres précédentes.
Il répond à ses adversaires qui l’accusent de tourner en dérisions les principes de l’Église. Il montre que ce sont les maximes étudiées précédemment qui raillent les choses saintes. La justice et la charité veulent que l’on expose le mal lorsqu’on le voit, et non qu’on le dissimule ou qu’on l’excuse.
Lettre 12
Pascal a été accusé de déformer les propos des casuistes. Il entreprend de montrer que ce n’est pas le cas et qu’il est toujours soigneusement resté dans la vérité.
Lettre 13
Pascal doit se défendre d’autres accusations d’impostures concernant les maximes touchant au meurtre.
Il dénonce également la doctrine du probabilisme : la Compagnie de Jésus cherche à avoir des docteurs de chaque opinion afin de toucher le public le plus large possible. Si certains de ses principes sont réellement chrétiens et saints, cela ne peut pas prouver la sainteté de l’ensemble.
Lettre 14
Pascal continue de traiter de la question du meurtre. Il maintient que seule l’interdiction de tuer est conforme au dogme chrétien, et plus généralement à la morale. Pascal montre que les jésuites se placent sur ce point en opposition avec l’Église, avec la morale et avec la loi civile. Leur pensée relèvent du diable et non de Dieu.
Lettre 15
Pascal montre ici comment les jésuites parviennent à mentir en toute bonne conscience.
Lettre 16
Pascal dément des accusations portées par les jésuites à l’égard des jansénistes. Il défend particulièrement les religieuses de Port-Royal qui avaient été accusées de soutenir des pensées calvinistes.
Lettre 17
Pascal dément ici les accusations d’hérésie portées contre lui et contre Port-Royal.
Lettre 18
Pascal défend les jansénistes de l’accusation qui leur est faite d’adopter la pensée de Calvin.
« Quand nous ne pouvons pas empêcher l’action, nous purifions au moins l’intention ; et ainsi nous corrigeons le vice du moyen par la pureté de la fin. Voilà par où nos Pères ont trouvé moyen de permettre les violences qu’on pratique en défendant son honneur ; car il n’y a qu’à détourner son intention du désir de vengeance, qui est criminel, pour la porter au désir de défendre son honneur, qui est permis selon nos Pères. »« De même ; il est dit dans l’Évangile : Donnez l’aumône de votre superflu. Cependant plusieurs casuistes ont trouvé moyen de décharger les personnes les plus riches de l’obligation de donner l’aumône. Cela vous paraît encore contraire ; mais on en fait voir facilement l’accord, en interprétant le mot de superflu, en sorte qu’il n’arrive presque jamais que personne en ait ; et c’est ce qu’a fait le docte Vasquez en cette sorte, dans son traité de l’aumône, c. 4 :
Ce que les personnes du monde gardent, pour relever leur condition et celle de leurs parents n’est pas appelé superflu ; et c’est pourquoi à peine trouvera-t-on qu’il y ait jamais de superflu dans les gens du monde, et non pas même dans les rois. »« On peut jurer, dit-il, qu’on n’a pas fait une chose, quoiqu’on l’ait faite effectivement, en entendant en soi-même qu’on ne l’a pas faite un certain jour ou avant qu’on fût né, ou en sous-entendant quelque autre circonstance pareille, sans que les paroles dont on se sert aient aucun sens qui le puisse faire connaître ; et cela est fort commode en beaucoup de rencontres, et est toujours très juste quand cela est nécessaire ou utile pour la santé, l’honneur ou le bien. »« La vérité est si délicate, que pour peu qu’on s’en retire, on tombe dans l’erreur ; mais cette erreur est si déliée, que pour peu qu’on s’en éloigne, on se trouve dans la vérité. »