La Lettre à d’Alembert sur les spectacles parait en 1758. C’est une réplique de Rousseau à l’article « Genève » de l’Encyclopédie, paru dans le volume VII et écrit par d’Alembert. Ce dernier y recommande l’ouverture d’un théâtre (qui sert à éclairer les consciences) à Genève après la fermeture de ceux-ci, imposée par Calvin.
Dans son ouvrage, Rousseau exprime une pensée indissolublement politique, morale et esthétique : pour lui, le théâtre ne peut avoir les vertus ni la visée que lui confère d’Alembert. Il va jusqu’à condamner Molière et retourner les arguments du dramaturge.
À cette analyse des dangers du théâtre qui cherche plus à plaire qu’instruire, à cette réflexion qui fait de cet art un lieu privilégié du luxe et de l’oisiveté, d’Alembert répondra à Rousseau en mai 1759 avec une Lettre de M. d’Alembert à M. J.J. Rousseau dans laquelle il soutient son idée que le théâtre peut être plaisant et utile à la fois.
Rousseau : Rousseau se rend compte des divergences qu’il entretient avec les encyclopédistes, partisans des progrès scientifiques et d’un athéisme matérialiste. D’Alembert : Il dirige la rédaction de l’Encyclopédie avec Diderot. Pour d’Alembert, le théâtre est un outil indispensable qui contribue au progrès de la morale et de la civilisation. Il favorise la réouverture de ceux-ci.
Paris : Paris est l’image de la capitale du luxe, de l’esprit, du progrès, et d’hommes comme d’Alembert ; c’est un lieu où se concentrent toutes ces formes d’art et de science. Le théâtre et la morale : Rousseau organise sa thèse autour de l’immoralité du théâtre ; pour lui, les comédiens sont condamnés et pervertis par leur fonction de représentation qui les incite plus aux mensonges qu’à la vertu. Selon lui, le lien qui unit la société au spectacle est un lien originellement pervers, car le théâtre déréalise la conscience morale, et les actes les plus vertueux sont ampoulés ou ridiculisés. Le spectacle alimente les artifices. Les spectacles : Rousseau s’interroge sur leur nature et sur leur fonction : l’homme qui travaille ne s’ennuie pas et ses loisirs sont doux, selon Rousseau ; au contraire, les spectacles reposent sur l’ennui, ils sont l’expression d’une oisiveté (pas celle, sereine, de la rêverie) agitée et extravertie. Leur but étant avant tout de plaire, les spectacles attisent les passions et ne touchent ni la vertu ni la raison de l’homme.
Dans sa Lettre à d’Alembert sur les spectacles, Rousseau n’hésite pas à renverser les arguments de l’encyclopédiste et à démontrer que le théâtre est le lieu qui développe toutes sortes de goûts décadents. L’auteur ne tolère pas l’idée du théâtre moderne comme un outil de progrès pour la civilisation. Bien au contraire, il accélère sa corruption et ses désordres. Rousseau préfère faire l’éloge de la fête républicaine, en place publique, qui célèbre la communion d’un peuple rassemblé, à la fois acteur et spectateur.
L’ouvrage se compose de trois parties.
Première partie
Première partie
En faisant référence à l’article « Genève », Rousseau annonce que c’est aux pasteurs de Genève d’exprimer leurs opinions. On n’a pas à argumenter en leur nom. Par là, Rousseau dénonce d’Alembert qu’il accuse d’interpréter leur pensée.
Deuxième partie
Deuxième partie
Rousseau montre les dangers du théâtre. Il ne comprend pas comment cet art peut prétendre corriger les mœurs puisque l’essence du théâtre est de plaire et que pour cela, il doit flatter les goûts du public. L’auteur réfute l’idée que le théâtre rende la « vertu aimable et le vice odieux » car c’est contradictoire avec les moyens qu’il emploie. En prenant le cas de la tragédie, Rousseau montre comment elle ne fait qu’exciter les passions et éveiller la pitié pour des héros criminels. Cette pitié n’est d’ailleurs qu’un attendrissement superficiel, elle ne demande aucun sacrifice de la part de celui qui la sent et elle ne saurait avoir la force de changer une âme mauvaise. En baignant dans l’illusion d’être vertueux, le spectateur ne cherche pas à le devenir davantage. Rousseau affirme également que la tragédie est trop loin de nous pour pouvoir véritablement nous toucher et nous changer. Lorsque l’auteur aborde la comédie, il la rapproche de la vie mais il démontre que ce genre n’en est que plus immoral : le vice est rendu aimable et la vertu est ridiculisée.
« Le plaisir même du comique étant fondé sur un vice du cœur humain, c’est une suite de ce principe que plus la comédie est agréable et parfaite, plus son effet est funeste aux mœurs. »
Rousseau contre-argumente la pensée de Molière qui disait, dans la préface du Tartuffe, - que « l’emploi de la comédie est de corriger les vices des hommes ». Pour le philosophe, la comédie favorise les vices et condamne Le Misanthrope et L’Avare. Un autre danger du théâtre souligné par Rousseau, c’est la peinture de l’amour : au lieu de nous apprendre à dominer nos passions et à vaincre nos faiblesses, les scènes nous amènent à plaindre les amoureux que le devoir sépare et conduisent le spectateur à s’abandonner entièrement à la folie de l’amour.
Troisième partie
Troisième partie
Rousseau condamne le théâtre (ce phénomène social qui isole en vérité les spectateurs au lieu de les assembler), les comédiens (et leurs mœurs dépravés, êtres immoraux et en marge de l’honnête citoyen). Il valorise les distractions simples du peuple et les fêtes patriotiques où les gens sont vraiment rassemblés, à la fois acteurs et spectateurs. Il confirme son approbation du fait qu’il n’y ait pas de théâtre à Genève.
« Je sais que la poétique du théâtre prétend […] purger les passions en les excitant : mais j’ai peine à bien concevoir cette règle. Serait-ce que pour devenir tempérant et sage, il faut commencer par être furieux et fou ? »« Avec la liberté, partout où règne l’affluence, le bien-être y règne aussi. Plantez au milieu d’une place un piquet couronné de fleurs, rassemblez-y le peuple, et vous aurez une fête. Faites mieux encore : donnez les spectateurs en spectacle ; rendez-les acteurs eux-mêmes ; faites que chacun se voie et s’aime dans les autres, afin que tous en soient mieux unis. »« Je ne connais point de plus grand ennemi des hommes que l’ami de tout le monde, qui, toujours charmé de tout, encourage incessamment les méchants, et flatte, par sa coupable complaisance, les vices d’où naissent tous les désordres de la société. »« L’on croit s’assembler au spectacle, et c’est là que chacun s’isole ; c’est là qu’on va oublier ses amis, ses voisins, ses proches, pour s’intéresser à des fables, pour pleurer les malheurs des morts, ou rire aux dépens des vivants. »