Cette fiche de lecture fait partie du programme pour le bac de français 2024.
Cours sur Mes forêts en 1ere
Impossible de comprendre Mes forêts sans avoir en tête que le recueil a été composé après la pandémie de Covid-19. L’autrice, qui vit entourée par la forêt canadienne a dû se confiner chez elle, comme des millions de personnes, durant des mois. En ressortant, elle a ressenti le besoin de se relier à une nature qui lui avait fait défaut. De cette tentative de réconciliation avec ce qu’il y a de plus primaire en nous naît une réflexion sur ce qui peut apparaître de plus superficiel : le monde numérique. À travers soixante-quatre poèmes en vers libres dénués de ponctuation, qui jouent avec les sons et les images, Dorion explore notre besoin de beauté et d’unité face à l’éparpillement accéléré de notre modernité.
Le « je » : Le lecteur suit la promenade en forêt d’un « je » qui est celui d’une femme qui cherche à créer une filiation avec d’autres femmes écrivaines. Fidèle à la tradition lyrique qui met le « je » au cœur des préoccupations de l’écriture, Dorion explore ses propres émotions, mais c’est pour mieux les faire entrer en résonnances avec les nôtres ou avec celles d’Ann Lauterbach, Sylvia Baron Supervielle, Kathleen Raine ou Annie Dillard, dont plusieurs citations sont placées en épigraphes des différentes parties du recueil. Le « je » est donc mis en relation avec un réseau d’autres individus. L’enjeu est de porter une voix féminine attentive au sensible et au charnel dans la poésie contemporaine. La forêt : La forêt n’est pas un endroit comme les autres. Rempli de mystères et de dangers, c’est un lieu souvent employé pour évoquer une tension entre sauvagerie naturelle et domination humaine. C’est bien ce qui se passe dans le recueil de Dorion, puisque la forêt est présentée à la fois comme un refuge où s’abriter de la barbarie du monde, comme un espace menacé par le développement technologique des hommes, et comme un lieu abrupt qui reste encore à découvrir. La poétesse parle de « mes » forêts, ce qui montre bien en quoi cet espace est propice à l’exploration de son monde intérieur. La faune et la flore : Arbres, mousse, pierre, animaux, etc. : la faune et la flore sont fréquemment personnifiées dans Mes forêts. Le « je » montre qu’il vit en harmonie avec les êtres vivants qui sont à respecter à tout prix. Il s’agit de décortiquer chaque composant des arbres et de la végétation autour. Les jeux d’ombres et de lumières, les bruissements au sol ou en hauteur fabriquent une poésie verticale d’un monde qui grouille. L’espace est rarement traversé à l’horizontale, sauf par la « bête », indéterminée, incarnation de la violence.
La nature: Le rapport à la nature de Dorion, tout en s’inscrivant dans une tradition poétique bien connue, a ceci de très actuel qu’il est fortement lié au développement de la conscience écologique. Si elle écrit sur la relation qui unit l’homme à son environnement, c’est pour mieux appeler à la protection de la nature face au progrès. Elle postule que la connaissance sensible de la forêt, par nos sens et en même temps par nos émotions, permet d’accroître le respect pour celle-ci chez le lecteur. Par contraste, la promenade poétique de Dorion au milieu des feuillus des Laurentides (lieu sacré où peut s’épanouir la spiritualité) crée une dualité entre la vie que fait proliférer un monde biologique, et la mort que propage une société préoccupée d’objets transformés, inertes. Le temps : « Mes forêts sont de longues traînées de temps/ elles sont des aiguilles qui percent la terre » : le recueil fait sentir l’avancée inexorable du temps. Les écrans auxquels nous sommes soumis le feraient passer plus rapidement encore, nous coupant du présent. Mais Dorion ne se satisfait pas d’un tel état des choses. Elle montre qu’avec la poésie il est possible de se relier à un temps circulaire où tout peut se régénérer. C’est le temps des saisons, celui de la nuit qui prépare le jour, du calme qui revient après la tempête. C’est pourquoi l’histoire humaine est si présente dans le recueil : son avancée détruit le monde, mais elle porte aussi la mémoire de tout ce qui fut et qu’il est encore possible de sauver. La réparation : La déchirure, la fracture, la faille ou la plaie sont des images omniprésentes dans Mes forêts. C’est à la fois une figure très concrète puisque la poétesse constate les brèches taillées dans les troncs par la brutalité humaine, et c’est aussi une figure métaphorique : elle écrit à partir de ce qu’elle ne connaît pas, de ce qu’elle porte en elle et qu’elle fait rejaillir par l’opération poétique. La blessure de la nature et la blessure de l’être se répondent donc dans les bruits et les formes du poème. Mais toute l’entreprise du recueil est de trouver un moyen de soigner cette blessure, de réparer la faille grâce à la ligne d’écriture : « elles sont des lignes au crayon/ sur papier de temps ». Cette idée du soin ne va pas sans l’idée de la protection, puisque Dorion s’interroge sur la façon dont nous pourrions nous mettre à l’abri (dans les forêts ?) de nos propres méfaits. La technologie : Dans un entretien avec Murielle Szac, Dorion déclare : « Créer c’est résister d’une certaine manière à un monde de production et de consommation, à des impératifs de performance et d’efficacité. » L’univers dominé par « facebookinstagramtwitter » dans Mes forêts incarne ce monde dangereux des villes dans lequel nous choisissons massivement de vivre au détriment des espaces naturels. Ce monde d’acronymes et de raccourcis se situe aux antipodes du monde au ralenti, ancré dans le présent, qu’elle décrit quand elle décrit la forêt. La poésie apparaît comme la seule réponse viable à ce dessèchement de nos cœurs. C’est en cela que la poésie de Dorion n’est pas seulement une poésie contemplative : elle est une poésie engagée qui pousse son lecteur à la réflexion.
Mes Forêts est un recueil divisé en quatre sections séparées par des poèmes qui commencent tous par « Mes forêts sont… ». Une telle structure s’inspire très certainement du chœur dans la tragédie grecque.
« L’écorce incertaine »
« L’écorce incertaine »
La première section, « L’écorce incertaine », explore en détail la composition des arbres de la forêt dans laquelle évolue la poétesse. Au terme de cette promenade, après avoir réfléchit sur la place de l’homme et des animaux dans cette végétation, elle se retrouve prise dans les quatre éléments : l’eau, la terre, le vent, le feu.
« Une chute de galets »
« Une chute de galets »
« Une chute de galets » est le nom de l’unique poème qui compose la deuxième section. Après une exploration visuelle de la forêt, c’est maintenant une exploration spirituelle qui s’engage, puisque le « je » écoute le temps s’échapper : « C’est le bruit du monde/ l’écoulement du temps ».
« L’onde du chaos »
« L’onde du chaos »
La troisième section, « L’onde du chaos », est la plus longue partie du recueil. Il s’agit de dresser la liste de ce qui menace le monde. Pour Dorion, il y a deux dangers principaux : la violence des humains qui se manifeste à travers la guerre, les famines, etc., et la surinformation que provoque l’omniprésence des écrans, de la technologie. Il y a tout lieu de s’interroger sur la place de la poésie dans ce monde où « chutent nos poèmes ». Contre toute attente, Dorion ne désespère pas et affirme que le monde est réparable.
« Le bruissement du temps »
« Le bruissement du temps »
Trois poèmes structurent la dernière section, « Le bruissement du temps ». Tous les trois sont organisés autour de l’adverbe « avant ». L’objet de cette section est d’imaginer un monde possible et souhaitable pour demain. À partir d’une histoire de l’humanité, Dorion propose une renaissance qui s’inspire de la Genèse biblique. À cette histoire du monde s’intègrent des souvenirs personnels de l’autrice.
« les forêts entendent nos rêves
et nos désenchantements »
« L’écorce incertaine »
« je ne sais pas
ce qui se tait en moi
quand la forêt
cesse de rêver »
« L’écorce incertaine »
« Mes forêts sont un champ silencieux
de naissances et de morts
la mémoire de saisons
qui se lèvent et retombent »
« Mes forêts sont… »
« une voix s’avance
dans le bégaiement de l’histoire
œuf eau sang reptile poisson
os arbre grotte créature homme
femme langue main souffle rêve »
« Une chute de galets »