Fiche de lecture
Nadja, André Breton
Contexte

Nadja est le premier écrit entièrement narratif d’André Breton. Il contient également des photographies, ce qui en fait un livre illustré.

Il paraît en 1928 en pleine période surréaliste (définie par André Breton en 1924 dans le Manifeste du surréalisme) et sera réédité en 1963 après avoir été revu et corrigé par son auteur. Cette édition sert aujourd’hui de référence.

Par ses thèmes et son contexte, Nadja s’inscrit dans l’expérience surréaliste (qui est un terrain d’expérimentation du langage exercé sans contrôle ou dit automatique) tout en se confrontant à ses propres postulats et sans obéir aux règles de composition surréaliste.

Né d’une rencontre avec Léona Delcourt et pour rendre compte d’une relation vécue, ce récit autobiographique continue de poursuivre les idéologies d’André Breton qui proclame la mort de la « littérature psychologique à affabulation romanesque ».

Personnages

Nadja : Personnage féminin ayant existé (Léona Delcourt), Nadja porte une passion débordante au narrateur. Finalement internée en hôpital psychiatrique, elle aura été cette femme mystérieuse, cette « merveille », qui entraîne le narrateur dans les rues de Paris pour une expérience mystique.
André Breton : Il est le narrateur et est avant tout à la recherche de lui-même. Sa rencontre avec Nadja l’amène à activer sa mémoire et à reprendre ses notes pour tracer leur histoire. Il tâche de transcrire une relation avec le ton dépassionné qui sied aux études cliniques pour éviter toute « fantasmagorie ».

Thèmes

Les manifestations de l’inconscient : L’inconscient, le non contrôle et la folie sont des thèmes forts du surréalisme que l’on retrouve dans Nadja. Perçus comme des manifestations authentiques de l’Esprit, ils vont pourtant se confronter ici à la vraie folie, celle, psychiatrique, de Nadja. Cette aliénation qu’on enferme n’a plus rien de magique ni de mystique. Elle devient inquiétante et sordide et finit par se détacher de toute poésie. André Breton se confrontera durement à cette réalité qui l’a poussé plus d’une fois à abandonner l’écriture de Nadja.
Paris : Paris est vu comme le mythe moderne des surréalistes. Un lieu d’errance, insolite et secret dans lequel Nadja évolue aisément et quotidiennement. Elle initie le narrateur par ses promenades et montre par là comment il est possible d’investir un lieu réel par l’imaginaire.

Résumé

Nadja est une œuvre clé d’André Breton.

Par l’authenticité des photographies, des dessins, des lettres et des faits relatés, l’auteur parvient à éviter qu’on nomme et qu’on lise son ouvrage comme un roman. Souhaitant régler des comptes à la littérature descriptive et à la « littérature » en général, André Breton offre avec Nadja une expérience littéraire significative.

Prolepse

L’auteur justifie ici de son choix d’écriture qui élimine toute description et observe presque froidement les faits. Il explique la présence abondante des photographies qui servent de témoignages et de documentations. Il préfère le dénuement dans son style et donne la vision d’un récit comme « un document pris sur le vif ».

Première partie

La quête identitaire

Breton s’interroge : « Qui suis-je ? » et engage une série de réflexions qui expliquent sa démarche littéraire, critique et biographique. Breton veut essayer de tirer les signes de sa singularité et de sa différenciation.

La critique

Breton remet en cause la critique littéraire qui devrait selon lui davantage se préoccuper du quotidien, qui traduit mieux la vérité d’un homme. Il dénonce également le roman réaliste et la littérature psychologique en louant celle qui ne masque rien de la vie d’un homme. Pour Breton l’écrivain doit être transparent et son objectif est de montrer l’homme dans son quotidien, sans artifices.

La part de l’autobiographie

Les anecdotes se succèdent, dans lesquelles l’auteur souligne les hasards et les coïncidences. Breton précise également sa façon d’écrire : au gré des souvenirs spontanés sans chercher à insérer un ordre. Par la relation des « faits-glissants » (les événements déclencheurs et annonciateurs) et des « faits-précipices » (essentiels et bouleversants), Breton tente de connaître la réalité de sa vie. Il conclut un pacte d’authenticité avec le lecteur.

Le récit

Des événements du passé sont exposés et sont mis en rapport avec le présent. On lit la rencontre de Paul Eluard, la venue de Benjamin Péret, Soupault, l’écriture sous hypnose de Desnos, L’Étreinte de la Pieuvre, Les Détraquées que joue Blanche Derval, l’illusion de la « Maison rouge ». Les déambulations dans Paris témoignent du goût de Breton pour les théâtres. Le hasard ne cesse d’occuper une place importante. Cette énonciation préfigure la rencontre avec Nadja.

Deuxième partie, Nadja

Cette partie commence par un récit traditionnel au passé lorsque Breton rencontre une femme énigmatique (Nadja) qui lui raconte son histoire et ses amours, et avec laquelle Breton ne cesse de voir des coïncidences avec son existence. Le récit prend la forme d’un journal (du 4 au 12 octobre) avant de revenir sur une rétrospection et de terminer sur un mode narratif qui annonce la folie de Nadja et la rupture de Breton avec elle. Tout au long de ce récit, Breton tient à présenter Nadja comme elle est, à travers ses photographies et ses dessins, sans la juger. Entre muse et femme déchue, Nadja est une figure insaisissable.

Le journal

  • 4 octobre 1926 : Breton rencontre Nadja par hasard. Ce sont les premiers regards et les premiers mots échangés. Nadja lui raconte ses histoires, son passé, sa présence à Paris et lui parle de sa santé. Elle se définit comme une « âme errante ». Ils doivent se voir le lendemain. Breton écrit aussi au sujet du travail.
  • 5 octobre 1926 : Nadja arrive, élégante (ce qui contraste avec son aspect de la première rencontre). Elle se confie à propos du « grand ami » et « d’un Américain ». Nadja instaure l’un de ses jeux favoris avec Breton : celui des questions / réponses.
  • 6 octobre 1926 : Nadja et Breton se rencontrent par hasard alors que Nadja avait choisi de ne pas se rendre au rendez-vous fixé. Ils s’embrassent pour la première fois dans un taxi et ils errent dans Paris ensemble. Nadja annonce qu’elle a une fille avec laquelle elle ne vit pas. Elle dépasse la perception du réel et avoue à Breton l’effet qu’il a sur elle. Ils prennent rendez-vous pour le surlendemain.
  • 7 octobre 1926 : Breton se questionne sur la relation qu’il entretient avec Nadja et sur les sentiments qu’il éprouve. Il veut à tout prix la voir et la rencontre à nouveau par hasard en sortant. Breton accepte d’aider Nadja qui est en difficulté financière.
  • 8 octobre 1926 : Breton se trompe de lieu de rendez-vous et pense que Nadja n’est pas venue. Il se rend jusqu’à son hôtel.
  • 9 octobre 1926 : Breton évoque de « pétrifiantes coïncidences » qui ont marquées sa vie.
  • 10 octobre 1926 : Nadja exerce un pouvoir troublant sur les hommes. Elle en profite pour demander à Breton d’écrire un livre sur eux deux.
  • 11 octobre 1926 : Les deux amants déambulent dans Paris mais ils ne semblent pas complices. Breton ressent de l’ennui.
  • 12 octobre 1926 : Nadja offre un dessin à Breton et lui explique ce qu’il représente mais Breton ne saisit pas les propos de la jeune femme. Ils partent pour Saint-Germain en train mais comme tout est fermé, ils repartent pour Paris. Le journal se termine.

La suite de leur relation

La narration change. Breton se questionne sur le personnage de Nadja qu’il perçoit à la fois comme « un génie libre » et comme une « pauvre femme ». L’auteur dévoile et partage des poèmes et des aphorismes qu’a écrit Nadja et explique certains de ses dessins. Nadja est internée pour avoir troublé l’ordre de l’hôtel où elle vivait. Breton en profite pour écrire ses pensées en ce qui concerne la psychiatrie et les asiles en dénonçant leurs méthodes qu’il juge la plupart du temps scandaleuses.

Troisième partie, l’épilogue

  • Bilan : Breton fait un bilan critique sur ses actes et sur la société (qu’il juge conformiste et nihiliste), sur les institutions psychiatrique et revient jusque sur les lieux de sa rencontre avec Nadja. Breton avoue que sa relation avec Nadja stimulait davantage son esprit. Elle est d’ailleurs rapidement remplacée par la « Merveille », une nouvelle figure qui apparaît. Il se demande s’il est utile d’écrire alors que la vie se présente à lui.
  • Sur l’illustration : Breton annonce son insatisfaction envers les illustrations de Nadja qui ne correspondent pas toujours à sa vision des choses.
  • La Merveille : Le « Toi » et la « Merveille » apparaissent en cette fin d’ouvrage, adressés à une femme anonyme qu’il aime passionnément et dont Nadja aura été l’ambassadrice. L’excipit se présente comme une méditation sur la Beauté et dévoile l’espoir réalisé d’un « amour fou », subjugué par cette femme idéale et irremplaçable. Même son livre lui paraît futile. Breton conclut que la beauté ne doit pas être statique, mais « oscillatoire ». « La beauté sera CONVULSIVE ou ne sera pas ».
Citation

« Tout ce qui fait qu’on peut vivre de la vie d’un être, sans jamais désirer obtenir de lui plus que ce qu’il donne, qu’il est amplement suffisant de le voir bouger ou se tenir immobile, parler ou se taire, veiller ou dormir, de ma part n’existait pas non plus, n’avait jamais existé »
« Nadja, parce qu’en russe, c’est le commencement du mot espérance, et parce que ce n’en n’est que le commencement. »
« Qui vive ? Est-ce vous, Nadja ? Est-il vrai que l’au-delà, tout l’au-delà soit dans cette vie ? Je ne vous entends pas. Qui vive ? Est-ce moi seul ? Est-ce moi-même ? »
« Je n’ai dessein de relater, en marge du récit que je vais entreprendre, que les épisodes les plus marquants de ma vie telle que je peux la concevoir hors de son plan organique, soit dans la mesure même où elle est livrée aux hasards, au plus petit comme au plus grand, où regimbant contre l’idée commune que je m’en fais, elle m’introduit dans un monde comme défendu qui est celui des rapprochements soudains, des pétrifiantes coïncidences, des réflexes primant tout autre essor du mental, des accords plaqués comme au piano, des éclairs qui feraient voir, mais alors voir, s’ils n’étaient encore plus rapides que les autres ».