Alors que Tristan Tzara est à Zurich, après avoir quitté la Roumanie, il fonde avec Hugo Ball et Huelsenbeck un nouveau mouvement artistique, dont le nom, selon la légende, est choisi au hasard en recourant à un dictionnaire : Dada. Tristan Tzara en est rapidement la figure la plus emblématique. Ce mouvement artistique concerne d’abord la peinture. Après la création d’une galerie Dada, les membres fondent une revue littéraire et critique. Suite au succès de cette revue, dont la diffusion devient mondiale, Tristan Tzara écrit les premiers textes Dada, dont font partie les Sept manifestes Dada.
L’aspiration à la modernité : Témoignant de la vitalité de ce courant, dont les soirées et les manifestations n’ont cessé de se multiplier dans la deuxième décennie du XXe siècle, ces manifestes, qui sont donc des textes de circonstance, reflètent la mentalité de ces années marquées par le dégoût causé par la Première Guerre mondiale. La jeunesse ne croit plus aux valeurs prônées jusque là, elle a vu la civilisation détruire elle-même ses plus grandes réalisations, et elle est prête à s’emparer de ce geste de destruction. Création et destruction par la poésie : Accompagnant un véritable tournant dans la sensibilité européenne et préparant des courants artistiques ultérieurs, Dada et ces Sept Manifestes témoignent d’un nihilisme joyeux, d’un humour destructeur et presque enfantin. La posture la plus fréquente de Tzara est ici la recherche du scandale, si bien que la poésie devient arme et agression : c’est ainsi qu’il veut retourner la langue et secouer les esprits.
Sous ce titre, Tzara a regroupé des textes écrits et lus entre 1818 et 1916 :
- « Le Manifeste de monsieur Antipyrine », lu à Zurich le 14 juillet 1916 ;
- « Le Manifeste Dada 1918», lu à Zurich le 23 mars 1918 ;
- « La Proclamation sans prétention », lue à la huitième soirée Dada à Zurich, le 8 avril 1919
- « Le Manifeste de M. Aa l’antiphilosophe », lu au Grand Palais des Champs-Élysées, le 5 février 1920 ;
- « Le Manifeste Tristan Tzara », lu le 19 février 1920 ;
- « M. Aa nous envoie ce manifeste », lu au festival Dada, salle Gaveau, à Paris, le 22 mai 1920 ;
- « Le Manifeste sur l’amour faible et l’amour amer », lu à la Galerie Povolozky à Paris le 12 décembre 1920. En 1963, Tristan Tzara y ajoute une : « L’Annexe : Comment je suis devenu charmant, sympathique et délicieux », texte lu à la Galerie Povolozky le 19 décembre 1920.
Mi-théoriques, mi-comiques, ces manifestes sont écrits pour provoquer autant que pour définir une nouvelle sensibilité littéraire. Ils cherchent à transcrire le goût de vivre, l’impatience, l’énergie et la volonté à la fois de détruire et de créer qui anime la joyeuse bande de Dada.
C’est surtout à notre rapport au langage que Tzara s’attaque ici, cherchant à montrer combien sa logique est castratrice. Ce qu’il faut, c’est ouvrir de nouvelles possibilités, c’est-à-dire malmener le langage pour mieux en révéler toutes les potentialités.
Cet idéal poétique est également moral, puisque ce sont bien les mentalités et les sensibilités que Dada veut changer en agissant sur la langue. Le but de Tristan Tzara est de voir l’homme libéré de ses asservissements économiques, intellectuels, moraux et religieux. Le langage est l’un des liens qui le maintiennent prisonnier. Pour libérer l’homme, il faut d’abord rendre aux mots leur liberté.
« Coucher sur un rasoir et sur les puces en rut - voyager en baromètre - pisser comme une cartouche - faire des gaffes, être idiot, prendre des douches de minutes saintes, être battu, être toujours en dernier, crier le contraire de ce que l’autre dit, être la salle de rédaction et de bain de Dieu qui prend chaque jour un bain en nous, en compagnie du vidangeur, voilà la vie des dadaïstes. »« Pas de pitié. Il nous reste après le carnage l’espoir d’une humanité purifiée… »« Je détruis les tiroirs du cerveau et ceux de l’organisation sociale : démoraliser partout et jeter la main du ciel en enfer, les yeux de l’enfer au ciel, la roue d’un cirque universel dans les puissances réelles de chaque individu. »« Je vous dis : il n’y a pas de commencement et nous ne tremblons pas, nous ne sommes pas sentimentaux. Nous déchirons, vent furieux, le linge des nuages et des prières, et préparons le grand spectacle du désastre, l’incendie, la décomposition. Préparons la suppression du deuil et remplaçons les larmes par les sirènes tendues d’un continent à l’autre. Pavillons de joie intense et veufs de la tristesse du poison. DADA est l’enseigne de l’abstraction; la réclame et les affaires sont aussi des éléments poétiques. »