Cours Indivisibilité de la République et décentralisation
- Introduction
- 1 . Le principe d’indivisibilité, un héritage de la Révolution française
- 2 . La décentralisation : vers une meilleure répartition des compétences entre l’État et les collectivités territoriales
- 3 . La prise en compte des particularités territoriales : la Corse et les territoires ultramarins
- Conclusion
Introduction
La Constitution de la Ve République affirme dans son article premier : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Son organisation est décentralisée. »
Cette formulation semble juxtaposer deux principes qui peuvent paraître contradictoires : l’indivisibilité de la République, qui consacre l’unité du peuple français sur tout le territoire, et la décentralisation, qui reconnaît des pouvoirs propres aux collectivités territoriales (communes, départements, régions).
Comment la République française parvient-elle à concilier ce principe d’indivisibilité avec une organisation fondée sur la décentralisation ?
Pour répondre à cette problématique, il conviendra d’abord de présenter le principe d’indivisibilité de la République, avant d’expliquer pourquoi la décentralisation n'est pas contradictoire avec ce principe, mais permet une meilleure efficacité de l’action publique. Enfin, il s'agira d'étudier la question des territoires à statut particulier : la Corse et les territoires ultramarins.
Le principe d’indivisibilité, un héritage de la Révolution française
Le principe d’indivisibilité, un héritage de la Révolution française
Le principe d’indivisibilité de la République française est un fondement essentiel de l'organisation politique et sociale du pays. Ce principe affirme que la République est unique et ne peut être divisée en territoires ou régions autonomes possédant leurs propres lois ou gouvernements. Il interdit donc toute partition du territoire ou tout régime d’exception à l’échelle locale susceptible de créer des inégalités entre citoyens.
Son origine remonte à la Révolution française. Les révolutionnaires souhaitaient, au nom des principes d’égalité et de souveraineté nationale, abolir les privilèges des nobles et garantir que tous les citoyens, peu importe leur origine sociale ou géographique, aient les mêmes droits.
Le serment du jeu de paume, Jacques-Louis David, 1789
Le principe d’indivisibilité, tel qu’il est aujourd’hui affirmé dans l’article premier de la Constitution de la Ve République (1958) est donc un héritage de la période révolutionnaire : chaque Français, qu'il vive à Lyon, Bordeaux ou Ajaccio, doit être soumis aux mêmes lois. Cela vise à éviter la fragmentation du pays et à promouvoir un sentiment d’appartenance à une même nation.
Principe d'indivisibilité :
Principe républicain selon lequel les lois sont les mêmes sur tout le territoire national permettant ainsi à la population française de faire nation.
Le jacobinisme a longtemps influencé la manière de gouverner en France, jusque dans les années 1980. Héritier d’une tradition centralisatrice instaurée pendant la Révolution française, il prône l’unité nationale et refuse toute autonomie locale susceptible de fragiliser l’État. Ce modèle a longtemps façonné les institutions françaises, imposant une organisation politique centrée à Paris d’où devaient être prises les décisions politiques importantes, souvent au mépris des besoins et particularités exprimées aux échelles régionale et locale.
Une séance au club des Jacobins en 1791, par Henri Nicolas Vangorp
Le jacobinisme trouve son origine dans le Club des jacobins, fondé en 1789 à Paris durant la Révolution française. Réunissant des révolutionnaires, il devient un centre important de débats politiques. Défenseurs de l’unité nationale et de la souveraineté populaire, les jacobins promeuvent l’idée d’un pouvoir fort et centralisé à Paris afin de défendre la Révolution face à ses ennemis intérieurs et extérieurs.
En somme, le principe d’indivisibilité de la République française, hérité des idéaux révolutionnaires de 1789, affirme l’unité nationale et l’égalité des citoyens en rejetant toute autonomie locale, notamment lorsque celle-ci est susceptible de fragmenter et d’affaiblir l’État.
La décentralisation : vers une meilleure répartition des compétences entre l’État et les collectivités territoriales
La décentralisation : vers une meilleure répartition des compétences entre l’État et les collectivités territoriales
Les trois lois Defferre, du nom du ministre de l’Intérieur, votées en 1982 et 1983, instaurent pour la première fois la décentralisation. Elles marquent un tournant historique dans la manière de gérer le pays. Elles visaient alors à renforcer la démocratie locale, à moderniser l’administration publique et à mieux adapter les politiques aux besoins spécifiques des territoires.
Gaston Defferre, ministre de l’Intérieur entre 1981 et 1984
Les lois de décentralisation transfèrent une partie des compétences de l’État aux collectivités territoriales. Celles-ci disposeront dorénavant d’un budget de fonctionnement qui leur est propre. Des élections devront être organisées au suffrage universel direct pour élire le conseil départemental et le conseil régional.
Décentralisation :
Transfert de pouvoirs et de compétences jusqu’alors exercés par l’État vers les collectivités territoriales.
Collectivités territoriales :
Ensemble des communes, des départements, des régions, des collectivités d'outre-mer et des collectivités à statut particulier qui composent l’État français.
La révision constitutionnelle de 2003 ancre encore davantage la décentralisation dans le fonctionnement des institutions de la République française en modifiant l’article premier de la Constitution. Ce dernier précise désormais que « son organisation est décentralisée ».
En France, une révision constitutionnelle est proposée par le président de la République. Elle doit être votée en termes identiques par l’Assemblée nationale et le Sénat. Ensuite, elle doit être approuvée soit par référendum, soit par le Congrès du Parlement réunissant l’ensemble des députés et des sénateurs à Versailles.
Concernant la répartition des compétences en matière d’éducation, l’État reste en charge de l’élaboration des programmes scolaires et de la rémunération des enseignants. Les régions assurent la construction et l’entretien des lycées. Les départements s’occupent de la construction et de l’entretien des collèges. Enfin, les communes gèrent les écoles primaires et maternelles.
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Les lois de décentralisation de 1982 et 1983 ne sont pas contradictoires avec le principe d’indivisibilité de la République française, car elles transfèrent des compétences administratives de l’État vers les collectivités territoriales sans leur transférer des pouvoirs de souveraineté. L’État reste garant de l’unité nationale et conserve ainsi toutes ses compétences régaliennes.
Ainsi, les lois Defferre de 1982 et 1983 ont profondément réformé la gestion du pays en transférant des compétences aux collectivités territoriales pour mieux adapter les politiques publiques aux besoins spécifiques des territoires tout en conservant le principe d’indivisibilité de la République française.
Compétences régaliennes :
Ensemble des pouvoirs qui relèvent exclusivement de l’État, telles que la défense nationale, la justice et la sécurité intérieure.
La prise en compte des particularités territoriales : la Corse et les territoires ultramarins
La prise en compte des particularités territoriales : la Corse et les territoires ultramarins
Tout en maintenant le principe d’indivisibilité du territoire et de son peuple, la République française prend désormais mieux en compte les diversités locales et régionales pour adapter son fonctionnement.
Ainsi, la Corse dispose aujourd’hui d’une organisation administrative particulière. La région Corse est créée en 1982, à la suite des lois de décentralisation. En 1991, son statut évolue pour devenir une collectivité territoriale à statut particulier. Cette situation est unique en France. Cela s’explique par le souhait d’une partie importante de la population corse d’aller vers plus d’autonomie. En son sein, est élu un conseil exécutif que l’on ne retrouve dans aucune autre région française. Cela signifie que la Corse peut gérer ses affaires locales avec plus de liberté, notamment en matière de culture, de langue et de développement économique. Cette spécificité est le résultat de son histoire complexe et de sa volonté d'affirmer une identité culturelle forte. Depuis le 1er janvier 2018, la collectivité territoriale à statut particulier est devenue la collectivité de Corse.
La loi de 1991, réformant le statut administratif de la Corse, faisait référence dans son texte au « peuple corse, composante du peuple français ». Cette formulation ne fut pas autorisée par le Conseil constitutionnel car elle allait, selon lui, à l’encontre du principe d’indivisibilité de la République française.
Toutefois, la Corse continue de respecter le principe d'indivisibilité de la République française à travers plusieurs aspects. D'abord, bien qu'elle ait un statut particulier, elle demeure une collectivité territoriale faisant partie intégrante de la France. Cela signifie que ses lois et règlements doivent rester conformes à la Constitution française et aux lois nationales.
Ensuite, la langue corse ne remplace pas le français, qui reste la langue officielle. De plus, l'Assemblée de Corse exerce ses compétences dans le respect des valeurs et des principes républicains, notamment la laïcité et l'égalité des droits. Enfin, la Corse participe pleinement aux élections nationales, ce qui renforce son attachement à l’unité de la République. Ainsi, tout en affirmant son identité, la Corse respecte le principe d’indivisibilité de la République française.
Le statut administratif des outre-mer a lui-aussi beaucoup évolué dans le temps. Dès 1946, les anciennes colonies de Guadeloupe, de Martinique, de Guyane et de La Réunion deviennent des départements d’outre-mer (DOM). Ces territoires sont pleinement intégrés à la République et appliquent les mêmes lois que la métropole.
Les territoires ultramarins sont devenus des territoires d’outre-mer (TOM), comme la Polynésie française ou la Nouvelle-Calédonie. Les TOM se caractérisaient par une grande autonomie : ils peuvent adapter la législation française à leurs réalités locales et disposer d’institutions spécifiques.
Territoire ultramarin :
Territoire français situé en dehors de l’Europe.
En 2003, une réforme constitutionnelle transforme les DOM en départements et régions d’outre-mer (DROM), pour souligner leur double fonction administrative. Les anciens TOM deviennent pour la plupart des collectivités d’outre-mer (COM). Ces COM, tels Saint-Barthélemy ou Wallis-et-Futuna, ont un statut particulier leur permettant d’exercer une autonomie plus large, notamment en matière fiscale ou douanière, tout en restant sous la souveraineté française.
Par ailleurs, les terres australes et antarctiques françaises (TAAF), des territoires inhabités, sont administrées directement par l’État.
Malgré ces statuts variés, le principe d’indivisibilité est là aussi respecté : l’État reste garant de l’unité nationale et de l’égalité des citoyens. Les DROM et COM, dotés de statuts spécifiques, demeurent des parties intégrantes du territoire français et relèvent de la Constitution de la Ve République. Ces adaptations permettent donc de concilier diversité locale et le principe d’indivisibilité de la République française.
Enfin, l’article 75-1 de la Constitution de la Ve République, modifié en 2008, reconnait désormais officiellement l’existence des langues régionales comme faisant partie du patrimoine français. Ainsi, même si les documents administratifs émanant d’un service public doivent obligatoirement être rédigés en français, cela n’exclut pas la possibilité d’une traduction dans une langue régionale.
Tout en respectant le principe d’indivisibilité de la République française, la Corse et les territoires ultramarins bénéficient de statuts particuliers qui reconnaissent leurs spécificités culturelles, linguistiques et administratives, en leur donnant une certaine autonomie sur les plans exécutif et économique tout en les maintenant pleinement intégrés à l’unité nationale.
Conclusion
Le principe d’indivisibilité de la République, hérité de la Révolution française, est particulièrement important car il garantit l’unité du pays et l’égalité entre tous les citoyens. Depuis les années 1980, la décentralisation et la reconnaissance de certaines particularités locales (comme en Corse ou dans les territoires d’outre-mer) montrent que l’État français sait aussi tenir compte des différences entre les régions.
Ainsi, l’indivisibilité et la décentralisation ne s’opposent pas : elles sont deux éléments qui se complètent pour assurer à la fois l’égalité et le respect des spécificités locales.