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Introduction :
Après la Seconde Guerre mondiale, des changements économiques, politiques et sociaux ont modifié la société. La forte croissance économique, le développement de la protection sociale ou encore l’allongement de la durée des études ont permis d’accroître les revenus de chacun. Les inégalités ont ainsi diminué et un plus grand nombre d’individus ont pu accéder à des emplois mieux rémunérés et plus valorisés : la mobilité sociale s’est accrue.
Toutefois, la croissance n’est plus aussi dynamique et la protection sociale est de plus en plus remise en question. Qu’en est-il de la mobilité sociale aujourd’hui ? Les individus sont-ils aussi mobiles que dans le passé ?
Dans un premier temps, nous étudierons la mobilité sociale durant les Trente Glorieuses et nous distinguerons les trajectoires sociales possibles des individus. Puis, nous analyserons celles qui se dessinent à partir des années 1980 et qui caractérisent le monde d’aujourd’hui.
Des trajectoires sociales plutôt courtes
L’ascension sociale des baby-boomers
Après la Seconde Guerre mondiale, la natalité augmente fortement : on appelle cette génération d’enfants les « baby-boomers ». Ces derniers vont profiter d’un contexte économique favorable : les Trente Glorieuses.
Les Trente Glorieuses correspondent à la période allant de la fin de la guerre en 1945 au premier choc pétrolier de 1973. C’est une période de forte croissance au cours de laquelle celle-ci oscillait entre et par an.
Ainsi, de 1945 à 1973, le revenu national, c’est-à-dire le Produit intérieur brut (PIB), a fortement augmenté. Cette hausse a entraîné une augmentation des revenus des entreprises, autrement dit des profits, que celles-ci ont pu investir dans des améliorations de leur productivité.
La hausse du PIB s’est aussi traduite par l’augmentation des revenus des ménages. Les salaires et les revenus de transfert (exemple : les allocations familiales) ont connu une forte croissance.
Le niveau de vie moyen a donc augmenté et les écarts de revenus entre les individus ont diminué : on parle de « moyennisation de la société ».
Le sociologue Henri Mendras a illustré ce phénomène de moyennisation : ce n’est plus la forme pyramidale qui permet de représenter la société mais une forme de toupie.
IMG01 Du classement pyramidal à la toupie de Mendras
Au centre de la toupie, les barrières entre les catégories sociales se sont effacées et les individus sont mobiles : ils peuvent passer de la constellation populaire à la constellation centrale. La constellation centrale, qui représente la catégorie des cadres, est en forte croissance pendant les Trente Glorieuses. Les baby-boomers ont ainsi profité de cette moyennisation. Leur position sociale, en comparaison de celle de leurs parents (autrement dit en fonction de leur origine sociale), s’est améliorée.
Mobilité sociale ascendante (ou promotion sociale) :
La mobilité sociale ascendante fait référence à une situation dans laquelle la position sociale de l’individu est supérieure à son origine sociale.
IMG02 Évolution de la mobilité sociale en France à partir des années 1950 ©Insee
La mobilité nette est obtenue en soustrayant la mobilité structurelle à la mobilité brute ().
La mobilité sociale a particulièrement évolué des années 1950 aux années 1970 : la mobilité structurelle augmente de 12 points de pourcentage et la mobilité nette de 14 points de pourcentage entre 1953 et 1977. Cette période correspond à celle des Trente Glorieuses. Les évolutions de la mobilité sociale sont moins marquées pour les décennies suivantes mais toujours davantage que dans les années 1950.
La mobilité sociale des baby-boomers résulte d’une transformation des emplois disponibles. En outre, le nombre d’emplois d’agriculteur·rice·s, d’artisan·e·s et d’ouvrier·ère·s a diminué au profit d’une hausse des emplois des professions intermédiaires et des cadres. On parle de mobilité structurelle.
La mobilité ascendante des Trente Glorieuses, qui peut être qualifiée d’exceptionnelle, n’est pas indépendante du contexte historique. Elle prend source après un conflit historique majeur qui donne lieu à des volontés politiques fortes comme celles de reconstruire le pays ou encore de sortir de la pauvreté et d’améliorer les conditions de vie.
Des trajectoires sociales plutôt courtes et variables selon l’origine sociale
Pendant et après les Trente Glorieuses, le secteur tertiaire se développe fortement, l’agriculture perd de son importance et les créations d’emplois de cadres augmentent.
Tous ces changements ont pour conséquence de modifier l’offre d’emplois disponibles : il y a moins de petites exploitations agricoles, donc mécaniquement il y a moins d’agriculteur·rice·s. En revanche, les besoins en travailleur·se·s diplômé·e·s augmentent, il y a donc plus d’emplois de cadres.
Les emplois sont alors mieux rémunérés et plus valorisés socialement : les individus occupent des positions sociales supérieures à leur origine sociale. Ils connaissent une mobilité sociale ascendante ou une promotion sociale.
IMG03 Mobilité sociale en 2014-2015 : que deviennent les fils de ?
La table des destinées ci-dessus apporte des informations sur l’état de la mobilité sociale en France en 2014.
L’ascenseur social fonctionne :
Il peut s’agir de transfuges de classe.
Transfuge de classe :
Un transfuge de classe est un individu qui occupe désormais une position sociale beaucoup plus élevée que celles de ses parents.
Cependant, les trajectoires ascendantes des individus dans l’espace social sont rarement de longue portée. Les fils d’ouvriers et d’employés qui connaissent une mobilité ascendante occupent une position proche de leur origine sociale :
Ce sont surtout les fils de cadres qui deviennent cadres à leur tour : d’entre eux. On parle de reproduction sociale. On observe le même phénomène avec les fils d’ouvriers : des fils d’ouvriers deviennent ouvriers.
Ainsi, la reproduction sociale caractérise particulièrement les catégories socioprofessionnelles « extrêmes » : les cadres et les ouvriers sont les plus immobiles.
En revanche, les individus situés au centre de l’espace social sont plus mobiles.
En effet, les fils enquêtés sont nombreux à occuper une profession différente de celle de leur père, sans pour autant changer de statut social :
On parle alors de mobilité sociale horizontale.
Il y a mobilité sociale horizontale lorsqu’un individu exerce une profession différente de celle de ses parents tout en conservant le même statut social.
Cette lecture de la table des destinées met en évidence que la mobilité sociale d’un individu dépend de son origine sociale.
Pierre Bourdieu fait partie des sociologues qui tentent d’expliquer pourquoi l’origine sociale impacte les possibilités de promotion sociale d’un individu. Selon lui, la culture transmise à l’enfant par la socialisation familiale conditionne la réussite scolaire et ses parcours professionnels.
Cette culture familiale est acquise surtout de façon inconsciente par l’individu, elle s’inscrit durablement dans son comportement. Elle va affecter ses goûts, ses façons de voir le monde mais aussi ses choix et notamment ses choix professionnels. C’est ce que Bourdieu appelle « l’habitus ».
Des trajectoires sociales plutôt courtes et variables selon le genre
IMG04 Mobilité sociale en 2014-2015 : que deviennent les filles et fils de ?
Le tableau de données ci-dessus apporte des informations sur les différences de trajectoires sociales entre les hommes et les femmes.
Voici ce qu’on peut y lire :
Ainsi, les trajectoires sociales observées varient, non seulement en fonction de l’origine sociale, mais aussi en fonction du genre des individus.
Les femmes ont été nombreuses à entrer sur le marché du travail pendant les Trente Glorieuses, elles ont connu une ascension sociale importante : elles occupent des positions sociales supérieures à celles occupées par leur mère. En revanche, ces positions sont plus souvent inférieures à celles occupées par leur père.
C’est encore la socialisation (Bourdieu) qui permet de comprendre l’impact du genre dans les possibilités d’ascension sociale : les apprentissages durant la socialisation primaire sont différents selon que l’on soit une fille ou un garçon.
Ainsi, certains comportements sont perçus par la société comme propres aux garçons et, à l’inverse, impropres aux filles. Ces comportements vont s’ancrer inconsciemment chez l’individu et influencer ses façons d’être et ses choix à l’âge adulte.
Un exemple très parlant reste celui de la commercialisation des jouets. Des jeux axés sciences et technologies sont, la plupart du temps, mis en marché de manière à cibler précisément un public de garçons. Comment ne pas y déceler un lien avec la faible proportion de femmes dans les métiers correspondants ?
Garçon jouant avec une loupe
Peur ou montée du déclassement depuis les années 1980
À partir des années 1980, la croissance économique est ralentie et les échanges mondiaux, en pleine croissance, imposent aux économies nationales toujours de plus de compétitivité. Les créations d’emplois sont moins nombreuses et le chômage de masse apparaît.
Tous ces facteurs fragilisent les possibilités de promotion sociale.
Premier constat : les diplômes ne fournissent plus une ascension sociale assurée aux individus.
Les diplômes élevés ne garantissent plus une meilleure situation que les générations précédentes
La génération des baby-boomers a profité d’un contexte de créations d’emplois de cadres élevées. On avait alors besoin d’individus diplômés pour répondre aux transformations du marché du travail et de l’économie. Les baby-boomer détenant des diplômes ont donc facilement pu les valoriser. Les probabilités de promotion sociale étaient alors élevées pour les diplômé·e·s.
Cependant, après les deux chocs pétroliers de 1973 et de 1979, la croissance économique et la création d’emplois ont diminué. Dans le même temps, l’École s’est démocratisée et le nombre d’individus diplômés a fortement augmenté.
Les diplômé·e·s ont été plus nombreux à rechercher un travail dans les années 1980 ; pour autant, les créations d’emplois de cadres étaient moins nombreuses que pendant les Trente Glorieuses.
L’offre de travail des diplômé·e·s était alors supérieure aux embauches de cadres par les entreprises. Les individus entrés sur le marché du travail à partir des années 1980 ont eu plus de difficultés à valoriser leur diplôme : il était plus compliqué pour eux de trouver un travail correspondant à leurs qualifications et d’occuper une position sociale supérieure à leur origine sociale.
C’est ce qu’illustre le paradoxe d’Anderson présenté dans le tableau de données ci-dessous.
Paradoxe d’Anderson :
Le paradoxe d’Anderson correspond à la situation où un individu, qui détient un diplôme supérieur à celui de ses parents, ne parvient toutefois pas à occuper une position sociale supérieure à ceux-ci.
IMG06 Illustration du paradoxe d’Anderson Enquête réalisée par l’Insee en 1993
D’après ce document, en 1993 :
Le paradoxe d’Anderson met en évidence et en lien ce que l’on appelle le déclassement scolaire et le déclassement intergénérationnel.
Déclassement intergénérationnel :
Le déclassement intergénérationnel est une situation dans laquelle un individu occupe une position sociale inférieure à celle de ses parents.
Déclassement scolaire :
Le déclassement scolaire correspond à la situation où un individu occupe une position sociale inférieure à celle à laquelle il pourrait accéder avec son diplôme.
En période de ralentissement économique, les « places à prendre » sont moins nombreuses et le diplôme n’est plus suffisant pour décrocher l’emploi désiré. Afin de trouver l’emploi correspondant aux qualifications, l’individu peut faire appel à son réseau de connaissances : nous pouvons prendre comme exemple les amis de la famille, le réseau professionnel du père ou de la mère, les maîtres de stage ou encore les camarades d’université.
Cependant, le sociologue souligne que tous les individus ne sont pas dotés du même capital social et qu’ils n’ont donc pas les mêmes chances de valoriser leur diplôme.
Nous allons voir que ce sont surtout les individus issus des classes moyennes qui peinent aujourd’hui à améliorer leur statut social
La peur du déclassement caractérise les classes moyennes
Pendant les Trente Glorieuses, on assiste à la moyennisation (Mendras) de la société.
Le niveau de vie augmente pour une majeure partie de la population et les barrières entre les catégories sociales s’effacent, favorisant les expériences d’ascension sociale, caractéristiques de la classe moyenne.
Cependant à partir des années 1980, on parle du déclassement de la classe moyenne.
Il existe au total trois formes de déclassement :
Pour étudier le déclassement de la classe moyenne, nous allons seulement nous intéresser au déclassement intergénérationnel et scolaire mis en évidence par le paradoxe d’Anderson.
Le déclassement intergénérationnel est un phénomène qui s’observe davantage depuis la fin des Trente Glorieuses.
En témoigne le tableau de données ci-dessous.
IMG07 Évolution de la part des trajectoires intergénérationnelles (1983-2003) Enquêtes Emploi 1983-2003
Les individus sont moins nombreux à occuper une position sociale identique à celle de leur père : ils représentent des enquêtés en 1983 et plus que en 2003, l’immobilité sociale diminue entre 1983 et 2003.
De plus, la part des trajectoires ascendantes évolue moins rapidement que la part des trajectoires descendantes : entre 1983 et 2003, la mobilité sociale ascendante évolue de point de pourcentage, passant de à des enquêté·e·s ; tandis que la mobilité sociale descendante augmente de points de pourcentage, passant de à des enquêté·e·s.
Cependant le constat d’un déclassement de la classe moyenne ne fait pas l’unanimité chez les sociologues.
Le diplôme du baccalauréat pouvait être suffisant pour être embauché·e en tant que cadre dans les années 1970. Aujourd’hui, la majorité des cadres sont titulaires d’un diplôme du second degré comme une licence ou un master.
Éric Maurin préfère donc parler de peur du déclassement des classes moyennes. Selon lui, il y a bel et bien des individus de classes moyennes déclassés mais leur proportion n’augmente pas. Elles restent un groupe au sein duquel les individus ont plus de chances d’occuper une position sociale supérieure à celle de leurs parents.
Il montre également que le diplôme constitue un solide bouclier face au chômage.
IMG08 Évolution du taux de chômage selon le diplôme, 4 ans après la fin des études
Le graphique en courbes ci-dessus montre bien que, quelle que soit la période étudiée, le chômage est toujours plus élevé pour les individus les moins diplômés.
Pour le sociologue Éric Maurin, il est donc plus intéressant d’étudier le déclassement intragénérationnel.
Conclusion :
L’immobilité sociale et les trajectoires sociales descendantes sont des phénomènes que l’on peut observer : à diplôme égal, les individus de deux générations n’auront pas les mêmes probabilités d’être promus socialement. Les possibilités de mobilité sociale doivent donc être étudiées en tenant compte du contexte économique et social.
Les baby-boomers ont profité d’une modification de l’économie et donc du marché du travail : on avait besoin de plus de cadres, les possibilités d’ascension sociale étaient alors plus élevées. À partir des années 1980, la croissance ralentit et les faibles créations d’emplois augmentent la difficulté des individus à trouver un travail qui corresponde à leur diplôme. Les possibilités d’ascension sociale sont plus faibles et l’on fait font davantage l’expérience de trajectoires descendantes. On parle alors de déclassement de la classe moyenne dont le paradoxe d’Anderson permet de rendre compte : des fils plus diplômés que leur père occupent des positions sociales identiques, voire inférieures.
Néanmoins, bien que le diplôme ne garantisse plus forcément une promotion sociale, il reste une solide protection contre le chômage dans un contexte de croissance économique ralentie.