La bioéthique

Introduction :

Quand on parle des limites de l’être humain, il faut se demander si ces limites sont nécessaires, comme celles que la nature et l’ordre des choses nous imposent, ou si ces limites sont contingentes, comme lorsque nous fixons des limites à nos capacités.
Par exemple, nous ne pouvons voler dans le ciel sans outil technique pour nous assister, comme le fait l’oiseau. La loi de la gravité et les lois biologiques qui font que je n’ai pas d’ailes sont des contraintes nécessaires. Imaginons maintenant qu’il soit possible de modifier nos gênes pour que des ailes nous poussent dans le dos. Outre le défi technique que cela représente, la première question à se poser est : est-ce souhaitable d’un point de vue éthique ?

Certaines ambitions et certains intérêts peuvent pousser à imaginer et à espérer une puissance humaine sans limite. Cette imagination et cet espoir sont nourris par les progrès réels des sciences et des techniques. Cependant, non seulement l’idée d’un pouvoir illimité peut être une fausse croyance mais, en outre, nous devons, face aux nouvelles technologies et possibilités matérielles que nous inventons, définir des limites quant à leur usage. Par exemple, la mise au point de la bombe atomique amène trois questions : tout d’abord, faut-il la fabriquer ? Ensuite, faut-il s’en servir ? Et si oui, selon quelles limites ?

Il est possible de se poser ces trois questions pour toute invention, en particulier les nouvelles idées, technologies, pratiques, procédures que la recherche biomédicale met en œuvre, ainsi que les nouveaux médicaments qu’elle expérimente. Quels sont leurs buts ? Améliorer notre santé ou, dans le cadre d’une économie de profit, nous laisser croire en « la vie éternelle » tout comme le font certaines publicités pour produits cosmétiques « rajeunissant », et nous proposer des techniques qui entretiennent cette fausse idée ? À partir de quel moment nous maintenir en vie relève-t-il encore de la médecine, et à partir de quel moment l’acte médical commence-t-il à relever de l’acharnement thérapeutique, c’est-à-dire du désir de nous maintenir en vie coûte que coûte, quel que soit notre état ? Quelle est la limite que nous devons nous fixer ? Le « nous », ici, ne désigne pas le spécialiste, mais le citoyen.

  • La biologie et la médecine sont-elles toujours au service de l’humain ?

L’éthique médicale

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Définition

Bioéthique :

La bioéthique est une discipline qui s’intéresse aux problèmes éthiques liés à la recherche en biologie et au développement de nouvelles technologies biomédicales. Elle est en général directement liée à la pratique médicale et à la recherche dans ce domaine, mais concerne, de manière plus générale les modifications du vivant.

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Attention

Bien souvent « bioéthique » et « éthique médicale » désignent la même chose, c’est pourquoi pour ce cours nous utiliserons ces deux termes de façon interchangeable.

Loin de se réduire au serment d’Hippocrate, l’éthique médicale est l’ensemble des règles de conduites, destinées à faire l’objet d’une légifération ou d’un code déontologique, que le professionnel de santé, par sa pratique thérapeutique, doit appliquer dans sa relation au patient.

  • Ainsi, l’euthanasie est une pratique très discutée en bioéthique en ce qu’elle va à l’encontre du serment d’Hippocrate.

Cependant l’éthique médicale concerne également la recherche sur les nouveaux procédés qui permettent d’étendre le champ des pratiques médicales, comme l’ensemble de lois de bioéthique concernant la procréation médicalement assistée (PMA) : l’insémination artificielle, la fécondation in vitro (FIV), ou encore la gestation pour autrui (GPA). En France la PMA est aujourd’hui accessible seulement aux couples hétérosexuels et la GPA est interdite.

L’éthique médicale concerne donc à la fois :

  • la relation entre le patient et le médecin
  • et la recherche biomédicale.

Ces deux domaines de l’éthique médicale ne sont pas séparables. En effet, si, dans la consultation médicale, le patient est en face de son médecin, dans la recherche biomédicale, le citoyen est face à des choix de société auxquels il participe ou devrait participer. De plus, les moyens médicaux conçus et fabriqués dans les laboratoires et entreprises sont ceux qui seront utilisés par le médecin pour son patient, dans le cabinet du généraliste comme dans le bloc opératoire du chirurgien.

L’éthique médicale du soin s’articule autour de la notion de « colloque singulier » : chaque relation médecin/patient est spécifique et sa qualité se fonde sur la singularité du patient, dans sa pathologie comme dans sa personne et son entourage. La notion d’éthique de la « personne globale » signifie que le malade ne doit pas être réduit à sa maladie.
Ainsi le médecin ne va pas simplement traiter la maladie. Il va prendre en compte la personne globale, c’est-à-dire les besoins du patient dans son ensemble, notamment ses besoins psychologiques : être soutenu par ses proches, ne pas souffrir, ne pas s’ennuyer…

  • Le but n’est donc pas seulement de soigner la maladie à tout prix, mais d’améliorer la qualité de vie du patient, ce qui améliore également les chances de guérison.

Le patient doit également pouvoir comprendre le mieux possible les choix qui s’offrent à lui pour son traitement. Dans le cas du cancer, par exemple, il s’agit de faire connaître au patient les options qui s’offrent à lui et ce qu’elles impliquent, notamment la chimiothérapie qui est un traitement lourd qui provoque à court terme des effets négatifs sur sa santé. Le traitement du patient se fait avec lui, en collaboration, et non dans une relation de subordination. De là vient la notion de « colloque singulier », qui désigne la relation particulière entre un patient et son médecin, qui n’est jamais la même d’un patient à l’autre ou d’un médecin à l’autre.

De cette manière, l’éthique médicale propose un modèle relationnel où le paternalisme médical doit être évité, et le patient doit être traité comme une personne et non une « chose » malade.

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Astuce

Le paternalisme médical consiste à considérer le patient comme un enfant ignorant, jugé sans aucune connaissance sur son propre cas pathologique et incapable de participer aux prises de décision qui le concernent.

Louis Portes, médecin et président de l’Ordre national des médecins en 1950, donne une illustration de l’attitude paternaliste dans un article intitulé « Du consentement à l’acte médical ». Il critique la notion de « consentement éclairé » dont on parlait à l’époque et qui constitue désormais une obligation légale : le médecin doit tout mettre en œuvre pour informer son patient et pour s’assurer que ce dernier ait bien compris l’information (par exemple les raisons et le déroulement d’une intervention chirurgicale) :

« Face au patient, inerte et passif, le médecin n’a en aucune manière le sentiment d’avoir à faire à un être libre, à un égal, à un pair, qu’il puisse instruire véritablement. Tout patient est et doit être pour lui comme un enfant à apprivoiser, non certes à tromper – un enfant à consoler, non pas à abuser – un enfant à sauver, ou simplement à guérir. […] Je dirai donc que l’acte médical normal n’étant essentiellement qu’une confiance [celle du patient] qui rejoint librement une conscience [celle du médecin], le consentement “éclairé” du malade […] n’est en fait qu’une notion mythique que nous avons vainement cherché à dégager des faits. Le patient, à aucun moment, ne “connaissant” au sens strict du terme, vraiment sa misère, ne peut vraiment “consentir” à ce qui lui est affirmé, ni à ce qui lui est proposé – si du moins nous donnons au mot consentement sa signification habituelle d’acquiescement averti, raisonné, lucide et libre. »

Louis Portes, « Du consentement à l’acte médical », 1950.

L’application de l’éthique médicale, s’opposant au paternalisme, renvoie à plusieurs principes.

  • D’abord, ne pas nuire (« Primum non nocere »). Le soin et la guérison sont la finalité première de la médecine mais, un soin pouvant être douloureux, il convient d’être attentif à cette douleur et de la minimiser au mieux.
  • Mettre le patient dans une position d’autonomie éclairée en lui donnant les informations nécessaires concernant sa maladie et les possibilités thérapeutiques ou palliatives qui existent, et ainsi le placer en situation de participer aux décisions qui le touchent.
  • La confiance dont le patient peut éprouver vis-à-vis de son médecin doit être une confiance éclairée et non une confiance aveugle : une « confiance » face à une « conscience ».

De ces principes éthiques, des actes de légifération ont découlé. Tout d’abord, des règles déontologiques (propre à la profession) ont été précisées dans le Code de déontologie médicale de 1995 :

« Le médecin doit à la personne […] qu’il soigne […] une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu’il lui propose. Tout au long de la maladie, il tient compte de la personnalité du patient dans ses explications et veille à leur compréhension ».

Puis, de nouvelles lois ont été promulguées dans le Code de la santé publique :

« Le médecin doit à la personne qu’il examine, qu’il soigne ou qu’il conseille, une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu’il lui propose. Tout au long de la maladie, il tient compte de la personnalité du patient dans ses explications et veille à leur compréhension.
Toutefois, lorsqu’une personne demande à être tenue dans l’ignorance d’un diagnostic ou d’un pronostic, sa volonté doit être respectée, sauf si des tiers sont exposés à un risque de contamination.
Un pronostic fatal ne doit être révélé qu’avec circonspection, mais les proches doivent en être prévenus, sauf exception ou si le malade a préalablement interdit cette révélation ou désigné les tiers auxquels elle doit être faite. »

Outre la relation du médecin avec son patient, l’éthique médicale s’intéresse également au champ de la recherche. En recherche biomédicale, les tests cliniques sont indispensables afin de garantir l’utilité du traitement, ce qui implique de tester les traitements sur des être humains. Une éthique de la recherche est donc indispensable afin de garantir le respect des droits des patients tests. Sur ce sujet, l’exemple des xénotransplantations est particulièrement intéressant.

La bioéthique : l’exemple des xénotransplantations

Le champ de la recherche et de l’expérimentation biomédicales s’est également doté de moyens institutionnels afin de garantir l’application d’une éthique et d’éviter que l’être humain ne soit le cobaye involontaire et sans consentement des progrès de la médecine.
Ainsi, dans les années 1990, sont créés les comités consultatifs pour la protection des personnes en recherche biomédicale (CCPPRB). Aujourd’hui, appelés plus sobrement comités pour la protection des personnes (CPP), ils ne sont plus seulement consultatifs mais décisionnaires. Les comités sont régionaux et interdisciplinaires. Ils ont pour mission de donner un avis (favorable, favorable sous conditions, ou défavorable) avant la mise en œuvre de tout projet de recherche biomédicale, publique comme privée, sur l’être humain. L’avis est fondé sur plusieurs critères, en particulier la conformité du projet à la loi et aux règles de l’éthique (ce qui explique la présence de juristes et de philosophes au sein du comité), l’assurance que la sécurité physique et psychologique des personnes participant à l’étude clinique soit garantie (c’est pourquoi on y retrouve également des psychologues et des médecins), ainsi que sur la qualité des formulaires et documents d’information détaillés, compréhensibles et honnêtes permettant aux participants volontaires, qu’ils soient malades ou non malades, d’exprimer leur « consentement libre et éclairé ».

Le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) est créé en 1983. Sa mission est de donner un avis, à la suite d’une demande – appelée saisine – d’une institution (un hôpital par exemple) ou d’un organisme, sur un problème susceptible de poser un problème éthique dans le cadre d’une recherche biomédicale. Les premiers avis ont été donnés sur des thèmes tels que le prélèvement, la collection et l’usage des tissus d’embryons et de fœtus morts, l’euthanasie, le diagnostic prénatal ou encore la détection des troubles comportementaux des jeunes enfants.

En 1999, le CCNE a travaillé sur une question très délicate, celle des xénotransplantations.

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Définition

Xénotransplantation :

Une xénotransplantation est une technique par laquelle on remplace par greffe (transplantation) l’organe défaillant d’un être vivant appartenant à une espèce par l’organe sain d’un être vivant appartenant à une autre espèce, étrangère (xénos-). La pratique relève, dans certains cas, du soin courant, comme le remplacement de valves de cœur de porc chez l’être humain.

Dans les années 1990 s’est posée la question de la possibilité de greffer des organes complets, tel que le cœur, et selon l’hypothèse la plus plausible, de transplanter un cœur de porc sur un être humain. Dans l’avis du CCNE, « les promesses » de la xénotransplantation sont ainsi exposées :

« Le recours à la xénotransplantation serait de nature à réduire cette pénurie [pénurie d’organes humains pour des personnes ayant besoin d’une greffe] et à permettre de disposer d’un organe en bon état au moment exact où on le désire : on supprimerait à la fois les mois d’attente pendant lesquels la santé se détériore et les situations d’intervention en urgence, parce qu’un organe est brusquement disponible, sur un individu insuffisamment préparé.
En effet, le sentiment de devoir la vie au décès d’un autre homme ou la reconnaissance implicite que le receveur devra à un donneur vivant peuvent être des handicaps psychologiques importants que les études ont maintenant largement mis en évidence. Ils devraient, dans la majeure partie des cas, disparaître en cas de xénotransplantation.
L’utilisation des xénogreffes devrait supprimer le risque de trafic clandestin d’organes toujours à craindre, malgré l’interdiction législative de la plupart des pays, par l’induction d’élevages commerciaux d’animaux donneurs d’organes soigneusement encadrés par la loi.
Enfin, la possibilité d’utiliser des tissus embryonnaires animaux plutôt qu’humains lèverait bien des interrogations éthiques sur la légitimité des pratiques de l’utilisation de fœtus humains.
L’idée d’un recours à la xénotransplantation pour pallier la pénurie d’organes humains n’est pas nouvelle. Des valves de cœur de porc sont utilisées chez l’homme depuis près de trente ans. »

Cahiers du CCNE, « Avis sur l’Éthique et la xénotransplantation », n° 61 - 11, juin 1999.

À la suite d’un rapport d’une dizaine de page, l’avis donné a été le suivant :

« Le problème central est celui de l’éthique de la décision de mise en œuvre clinique. En estimant l’équilibre entre le risque et le bénéfice, le principe de précaution s’applique et doit prendre d’abord en compte l’efficacité, mais un principe de précaution qui soit davantage un principe de responsabilité des cliniciens et des chercheurs engagés qu’un principe d’immobilisme. Un chimpanzé qui vivrait une vie normale avec un rein de porc assurerait la possibilité technique d’une xénogreffe. Si les problèmes scientifiques, infectieux, immunologiques et psychologiques étaient résolus, ouvrant la voie à la réalisation de xénogreffes chez l’homme, il faudrait alors prendre en considération la circulation des personnes à l’échelon européen et mondial. L’OCDE1 pose le problème de l’importation des animaux OGM et demande à ce qu’il y ait un réseau de communications internationales sur la question du risque. On voit mal comment un pays européen isolé autoriserait le principe d’une xénogreffe sans en référer aux pays voisins. »

Cahiers du CCNE, « Avis sur l’Éthique et la xénotransplantation », n° 61 - 11, juin 1999.

1 Organisation de coopération et de développement économiques.

L’avis est fondé sur le principe de précaution : la balance bénéfices/risque ne penchant pas immédiatement du côté des bénéfices certains, des risques étant persistants sur le plan psychologique (incertitude du résultat et forte probabilité de faux espoirs) et sur le plan physiologique (forts risques de rejet du greffon à cause de l’incompatibilité immunologique entre espèces différentes et ce, même en cas de traitement immunosuppresseur).

L’avis est également fondé sur le principe de responsabilité : il faut ne pas s’engager pour l’heure dans la recherche sur l’être humain, ce qui n’empêche pas, au regard des services que les xénotransplantations pourraient rendre, de prendre la décision de poursuivre la recherche, notamment sur les animaux, afin de tester l’efficacité de la pratique : « Un chimpanzé qui vivrait une vie normale avec un rein de porc assurerait la possibilité technique d’une xénogreffe. »
Il s’agit de faire de cette règle de précaution une règle internationale, notamment eu égard aux problèmes d’infection que ces expérimentations pourraient entraîner, puisque le risque de zoonose (transmission de maladies de l’animal à l’être humain) n’est pas évalué.

Si l’éthique médicale concerne bien souvent le rapport du médecin à son patient, ce n’est pas le cas pour l’épidémiologie car celle-ci ne traite pas de la santé d’un patient mais de celle d’une population donnée. Elle ne s’intéresse pas aux maladies elles-mêmes et à leurs traitements, mais aux problèmes de santé en général, à leur cause, à leur répartition et leur propagation.

Épidémiologie et politiques de santé publique

Début 2020, le monde a connu une épidémie sans précédent d’un virus de type coronavirus dont la maladie a été baptisée COVID 19. Il s’agit d’une pandémie en raison de sa propagation à l’échelle mondiale. Les mesures qui ont été prises pour limiter sa propagation n’étaient pas nécessairement des mesures sanitaires, mais avant tout des contraintes imposées aux comportements des individus, comme le confinement par exemple. Se laver les mains, porter un masque, éviter les rassemblements ou encore garder une distance d’un mètre, ne sont pas des mesures de soin mais de prévention. Il s’agit de prévenir le risque d’infection plutôt que de devoir soigner la maladie. C’est pourquoi on parle de « gestes barrières » : ils ont pour but de stopper l’épidémie.

Lorsqu’on étudie une épidémie, il faut en étudier la cause (virus, bactérie, champignon…), les effets (la maladie, les symptômes), et les moyens de propagation (l’air, les surfaces, les animaux…). Une épidémie dépend de facteurs biologiques comme la possibilité de zoonose (transmission d’une espèce vers une autre) mais aussi de facteurs sociologiques et comportementaux comme le fait de se serrer la main ou de faire la bise quand on se salue.

En cas d’épidémie, de nombreuses questions d’ordre éthique se posent concernant les mesures à prendre pour protéger la population. Parmi les plus intéressantes, on trouve la question suivante : jusqu’où a-t-on le droit de contraindre une population pour la protéger d’elle-même ?
Remarquez que cette question se pose déjà à propos d’un individu. Par exemple : peut-on imposer une pratique médicale si le patient refuse les soins, pour des raisons religieuses par exemple ?
Parfois elle concerne les deux échelles : celle de l’individu et celle de la population, comme par exemple la question des vaccins, que certains refusent parce qu’ils pensent qu’ils sont nocifs au niveau individuel. Or, la vaccination n’est véritablement efficace que si tout le monde se vaccine.

  • Doit-on alors l’imposer ?

Pour le COVID 19, des questions biomédicales se sont également posées chez les spécialistes notamment sur la question du traitement. Il existe aujourd’hui des procédures très strictes qui permettent de valider l’efficacité d’un traitement. Or la rapidité de propagation de l’épidémie de COVID 19 a mené certains médecins, comme le professeur Raoult en France, à envisager des traitements non-conventionnels pour pouvoir traiter plus efficacement les patients, sans qu’ils soient entièrement validés par des tests cliniques, jugés trop longs. Les processus de validation clinique ont pour but de confirmer l’efficacité d’un traitement avant de le diffuser, afin de valider son efficacité et son innocuité.

  • A-t-on le droit de prendre un tel risque ?
  • À l’inverse, ne met-on pas en danger inutilement des patients en choisissant d’attendre les résultats des tests ?

En bioéthique il n’y a pas de question facile ni de réponse toute faite. Il faut toujours adapter la question à son contexte, qui bien souvent change la réponse d’un cas à l’autre. Les épidémies comme la grippe aviaire, la grippe porcine, ou encore le SRAS ont été traitées différemment. Mais d’une manière ou d’une autre, la bioéthique touche à une question plus profonde qui a trait aux limites de l’être humain. La première de ses limites, source de fantasmes et d’effroi, est bien entendu la mort.

La mort, limite du progrès humain

Si l’on s’interroge sur « l’humain et ses limites », il faut admettre que, parmi les limites que nous pouvons mettre à notre progrès, s’il en est une qui est construite par l’éthique, il en est une autre qui nous est imposée : la mort.

Certains philosophes antiques acceptaient la mort.
Platon voyait la mort comme un retour vers le monde des Idées.
Selon Épicure dans la Lettre à Ménécée : « La mort n’est rien pour nous », car elle n’est littéralement rien. Selon lui il n’y a rien après la mort, c’est pourquoi il n’y a littéralement rien à craindre : pas de jugement ni de châtiment divin.
Montaigne, penseur français du XVIe siècle, empreinte des leçons des Anciens : « Ce n’est pas la mort que je crains, c’est de mourir ».
Aujourd’hui, nous cherchons de plus en plus à échapper à la mort. En vain.

Mais il arrive que la science veuille se mettre au service de la morale, en particulier de l’ultime morale d’une personne qui, parce qu’elle souffre d’une maladie incurable, veuille mourir sans avoir les moyens d’exaucer son dernier vœu sur Terre.

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Astuce

Le mot « euthanasie » vient du grec ancien : eu-, « bon », et thanatos, « la mort ». On peut donc le traduire par « la bonne mort ».

On entend souvent qu’il s’agit du droit de mourir dans la dignité. Quelle dignité ? Celle de mourir selon sa conscience propre.

Concept ancien déjà discuté en Grèce antique pour parler de la « bonne mort », le mot apparait pour la première fois sous la plume de Francis Bacon au début du XVIIe siècle.

« […] dans cette autre recherche qui a pour objet les maladies, il en est qu’ils [les médecins] déclarent incurables, les uns dès le commencement de l’attaque, les autres après une certaine période révolue. […] Je ne balancerai […] pas à ranger parmi les choses à créer un ouvrage sur la cure des maladies réputées incurables. […]
L’office du médecin n’est pas seulement de rétablir la santé, mais aussi d’adoucir les douleurs et souffrances attachées aux maladies ; et cela non pas seulement en tant que cet adoucissement de la douleur, considérée comme un symptôme périlleux, contribue et conduit à la convalescence, mais encore afin de procurer au malade, lorsqu’il n’y a plus d’espérance, une mort douce et paisible ; car ce n’est pas la moindre partie du bonheur que cette euthanasie […]. Mais de notre temps les médecins semblent se faire une loi d’abandonner les malades dès qu’ils sont à l’extrémité ; au lieu qu’à mon sentiment, s’ils étaient jaloux de ne point manquer à leur devoir, ni par conséquent à l’humanité, et même d’apprendre leur art plus à fond, ils n’épargneraient aucun soin pour aider les agonisants à sortir de ce monde avec plus de douceur et de facilité. Or, cette recherche, nous la qualifions de recherche sur l’euthanasie qui a pour objet la préparation de l’âme, et nous la classons parmi les desiderata ».

Francis Bacon, Du progrès et de la promotion des savoirs, 1605.

Chez le philosophe du XVIe siècle, l’euthanasie est un nouvel objet de recherche que doit explorer la médecine pour adoucir la mort. Au-delà de sa fonction curative (éliminer le maladie), il donne à la médecine une dimension de soin qui a trait à la réduction des peines psychologiques liées à la douleur plutôt que de se concentrer uniquement sur les troubles physiques. Plus encore, il affirme que le rôle de la médecine n’est pas de maintenir en vie à tout prix mais d’accompagner jusqu’à la mort.

L’époque contemporaine a donné à ce mot une signification plus restreinte et plus technique : il désigne une pratique volontaire, par action ou omission, ayant pour but de provoquer la mort d’une personne qui la demande ou l’a demandée. Cet acte est encadré par la loi Leonetti qui stipule les cas particuliers dans lesquels sa pratique est autorisée. En dehors de ces cas, l’euthanasie est interdite sous peine d’être considérée, sur le plan du droit français, comme un meurtre. Toute la difficulté réside dans les notions de consentement et d’acharnement médical.

  • À partir de quel moment doit-on considérer le soin comme un acharnement thérapeutique ?
  • Dans quelle mesure est-on capable de dire si le patient ou son entourage choisit sa mort de façon éclairée pour le bien du patient ?
  • Autrement dit, comment différencier l’euthanasie d’un suicide ou d’un meurtre ?

C’est tout l’objet du débat public qui se ravive à chaque cas médiatisé, comme celui de Vincent Humbert ou celui de Vincent Lambert.

Conclusion :

La bioéthique traite de sujets complexes qu’il est impossible de trancher définitivement car l’éthique est toujours en mouvement, c’est pourquoi elle fait l’objet de nombreux débats. Qu’il s’agisse de nouvelles pratiques comme la xénotransplantation, de l’apparition de nouvelles épidémies comme la COVID 19, ou encore des limites que doit se donner la médecine pour maintenir un patient en vie, il est impossible de trancher définitivement vers une réponse ou une autre. De nombreuses autres questions n’ont pas été abordées mais font l’objet d’un vif débat : la transidentité, le clonage, le transhumanisme… De manière générale, la bioéthique traite de la définition des pratiques de soin, de ce qu’est soigner, de ce qu’est être vivant, de ce qu’est être humain, des limites de la technique, de notre rapport à la mort, bref du rapport entre ce que l’Homme veut faire, ce qu’il peut faire et ce qu’il doit faire.