Pour toute une génération née sous l’Empire, Napoléon constitue une véritable légende.
La fascination de Julien Sorel pour cet homme est au fondement de sa personnalité : Napoléon Bonaparte incarne à ses yeux celui qui est parvenu à se faire « le maître du monde avec son épée », le « lieutenant obscur et sans fortune » qui est devenu un héros à force d’exploits et de courage.
Dès lors, il s’agit d’être héroïque, courageux, de poursuivre gloire et conquêtes et de relever d’ambitieux défis.
Grâce à son tuteur (le vieux chirurgien-major), il a lu le Mémorial de Sainte-Hélène et le recueil des bulletins de la Grande Armée qui sont ses livres de chevet.
Dans ses lectures, il est attentif à ce que l’empereur dit des femmes : il en tire même un modèle d’éducation sentimentale.
Chaque victoire de Julien (même sentimentale) le rapproche à ses yeux de la destinée de Napoléon.
Il utilise à ce titre un vocabulaire militaire et se met dans la peau d’un stratège : « Oui, j’ai gagné une bataille, se dit-il, mais il faut en profiter, il faut écraser l’orgueil de ce fier gentilhomme pendant qu’il est en retraite. C’est là Napoléon tout pur. »
Cette métaphore militaire, appesantie par une rhétorique très lourde, met en évidence les valeurs démodées de Julien.
Il se rend peu à peu à l’évidence : ses valeurs sont celles d’un autre temps, d’une époque passée et révolue.
Pendant la Restauration, qui voit le retour au pouvoir des Bourbon, la naissance compte plus que le mérite personnel.
Fils de charpentier, Julien aurait brillé par le mérite militaire sous l’Empire, mais aujourd’hui, c’est seulement en se faisant prêtre qu’il peut espérer devenir quelqu’un d’important.
Sa résolution subite d’entrer dans les ordres est donc opportuniste.
Il renonce à l’état militaire mais en conserve les valeurs pour atteindre un héroïsme d’une autre nature mais toujours empreint du sens du devoir.
Un nouvel héroïsme
Julien fuit la lâcheté et, bien qu’anxieux à plusieurs reprises, il s’exhorte à ne pas être faible et affronte le danger.
Cette attitude bravache qui consiste à ne reculer devant aucun danger, peut être comprise comme une forme de puérilité en ce qu’elle le conduit à se précipiter sur la moindre opportunité de montrer sa valeur.
Car c’est l’orgueil qui dicte son courage à Julien, ce que résume en ces mots l’abbé Chélan : « ce jeune homme quoique né bien bas a le cœur haut ».
Le caractère héroïque de Julien est conduit par son courage, mais aussi par son intelligence.
Il est admiré, d’abord par M. de Rênal et ensuite par Mathilde qui estime qu’il possède « les hautes qualités qui peuvent valoir à un homme l’honneur d’être condamné à mort ».
Toutefois, la noblesse le rejette justement à cause de son esprit : il est trop brillant pour ne pas être dangereux.
C’est parce qu’il n’a pas de naissance que Julien Sorel doit faire preuve de grandes qualités et s’illustrer par ses actions.
C’est pourquoi il voit la séduction de Mme de Rênal comme une conquête militaire.
Une fois le défi relevé, il est convaincu d'avoir rempli un « devoir héroïque » et « gagné une bataille ».
D’ailleurs, la métaphore militaire est constamment présente dans les monologues intérieurs du personnage, ou dès que le narrateur passe en point de vue interne : « Il était un dieu ».
L’ambition de Julien peut donc être qualifiée d’hybris moderne : il est tout entier tourné vers sa carrière et sa gloire personnelle.
L’ambition et la réussite
Cette envie de réussir est qualifiée d’« ardeur sombre » par l’abbé Chélan et de « noire ambition » par le narrateur.
Sa volonté de « se faire un nom » impose à Julien de ne pas perdre de temps : c’est pourquoi il refuse la proposition de Fouqué.
Cependant, la conduite de Julien relève moins de l’opportunisme que d’une sorte de revanche sociale.
« Je suis petit, madame, mais je ne suis pas bas » ; cette formule adressée par Julien à Mme de Rênal résume l’enjeu de son ambition : prouver que sa valeur est au-delà de sa condition sociale.
Être estimé d’eux afin de s’estimer lui-même, tel est son combat.
Pourtant, il méprise les gens riches auprès desquels il vit et dont il a besoin : c’est là toute l’ambiguïté de sa situation.
Julien échoue avant d’être parvenu à la fortune car son complexe d’infériorité sociale est trop fort.
Les derniers mots qu’il adressera aux jurés seront dédiés aux « jeunes gens qui, nés dans une classe inférieure et en quelque sorte opprimés par la pauvreté, ont le bonheur de se procurer une bonne éducation et l’audace de se mêler à ce que l'orgueil des gens riches appelle la société ».
Il est en somme le martyr d’une jeunesse fascinée par le modèle de Napoléon (désormais anachronique) ; il éprouve ainsi l’mpossible conciliation de son modèle de valeurs et de la réalité.
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