Corrigé Bac
Sujet bac S - Annale philosophie 2017 - Corrigé - Sujet 3

3e sujet

Expliquez le texte suivant :

À la limite, la vie, c'est ce qui est capable d'erreur. Et c'est peut-être à cette donnée ou plutôt à cette éventualité fondamentale qu'il faut demander compte du fait que la question de l'anomalie traverse de part en part toute la biologie. À elle aussi qu'il faut demander compte des mutations et des processus évolutifs qu'elle induit. À elle qu'il faut demander compte de cette mutation singulière, de cette « erreur héréditaire » qui fait que la vie a abouti avec l'homme à un vivant qui ne se trouve jamais tout à fait à sa place, à un vivant voué à « errer » et destiné finalement à l'« erreur ». Et si on admet que le concept, c'est la réponse que la vie elle-même donne à cet aléa, il faut convenir que l'erreur est à la racine de ce qui fait la pensée humaine et son histoire. L'opposition du vrai et du faux, les valeurs qu'on prête à l'un et à l'autre, les effets de pouvoir que les différentes sociétés et les différentes institutions lient à ce partage, tout cela même n'est peut-être que la réponse la plus tardive à cette possibilité d'erreur intrinsèque1 à la vie. Si l'histoire des sciences est discontinue, c'est-à-dire si on ne peut l'analyser que comme une série de « corrections », comme une distribution nouvelle du vrai et du faux qui ne libère jamais enfin et pour toujours la vérité, c'est que, là encore, l'« erreur » constitue non pas l'oubli ou le retard d'une vérité, mais la dimension propre à la vie des hommes et au temps de l'espèce.

FOUCAULT, Dits et Écrits (1978).

1 Intrinsèque : qui provient de la vie elle-même.

La connaissance de la doctrine de l’auteur n’est pas requise. Il faut et il suffit que l’explication rende compte, par la compréhension précise du texte, du problème dont il est question.

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Attention

Il s’agissait cette année-là d’un sujet difficile. Le texte de Foucault, comme sa pensée, est complexe et subtil : non seulement presque chaque phrase contient une idée souvent difficile à comprendre, mais il faut en plus saisir le lien entre ces différentes idées. Par ailleurs, on ne comprend réellement l’intérêt du texte que si on le place dans l’histoire de la philosophie et qu’on comprend à quelles doctrines Foucault s’oppose.

Il fallait en tout cas comprendre que la notion centrale de ce texte est celle d’erreur et voir que Foucault cherchait à en proposer une signification entièrement nouvelle.

Si le vivant peut être compris comme un ensemble de processus qui se répètent de façon relativement stable selon les individus, voire selon les espèces, se pose alors la question de tout ce qui dévie par rapport aux normes que l’observation, l’expérience ou la science peuvent établir. Foucault apporte un éclairage à ce problème en l’abordant non par le concept d’anormalité mais par celui d’erreur. L’originalité de son approche est double : non seulement il redéfinit le concept d’erreur, dans lequel il voit un principe fondamental de la vie, mais en plus, il étend cette idée au domaine de la pensée et de la connaissance. L’intérêt est de ne plus penser l’erreur comme antithèse au vrai mais comme source d’invention et de nouveauté. Se trouvent aussi remise en question l’idée de régularité et de vérité comme principes essentiels à la fois pour le scientifique et pour le philosophe. Les deux temps de cette réflexion se retrouvent dans la structure du texte : Foucault commence par s’interroger sur la place de l’erreur dans la nature et plus particulièrement dans le processus de vie ; puis il étend cette analyse à la pensée et à l’histoire de l’humanité.

Définir ce qu’est la vie est une difficulté à laquelle se heurte l’approche théorique : bien que nous sachions ce qu’est la vie et le vivant, nous pouvons difficilement en donner une définition. Or, Foucault propose non pas une définition mais un critère qui fait de la possibilité de l’erreur la marque essentielle de la vie.

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Astuce

Lorsque vous étudiez un texte, cherchez à définir les concepts ou mots nouvellement introduits. Il ne s’agit pas de donner une définition générale mais de montrer ce que signifie ce terme pour cet auteur précis. De la même manière, vous pouvez faire attention au fait que l’auteur va souvent procéder en définissant les concepts dont il parle, même si c’est de façon implicite.

  • Ici par exemple, il fallait voir que Foucault propose une définition de la vie comme « ce qui est capable d’erreur ».

Il souligne cependant lui-même la difficulté d’une telle affirmation, en la posant d’emblée comme un point « limite » du raisonnement. De plus, il procède avec nuance : ce n’est pas l’erreur qui est le critère de la vie mais bien la capacité d’erreur. L’erreur est donc envisagée ici en tant qu’éventualité et non en tant qu’événement qui se produit nécessairement. Cette nuance est d’autant plus intéressante qu’elle correspond aux conséquences que Foucault prête à l’erreur.

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Nous allons ici montrer quelle définition et quel sens Foucault donne à l’erreur.

En effet, l’erreur est comprise ici non comme quelque chose de négatif, qui s’oppose à un chemin correct, mais justement comme une ouverture des possibilités. L’erreur est bien ce qui échappe à la nécessité, ce qui permet que se produise l’imprévu. C’est en ce sens que Foucault voit dans cette capacité à se tromper la source des évolutions que, depuis Darwin au moins, on sait être une des caractéristiques des êtres vivants. On peut comprendre ce lien de deux façons. Tout d’abord, c’est parce qu’il est possible de sortir des normes et des schémas établis que de nouvelles directions peuvent être tracées. L’erreur est d’abord comprise comme la capacité à ouvrir de nouvelles voies. Ensuite, d’un point de vue factuel et chronologique, Foucault fait de l’erreur le point de départ de certaines mutations et évolutions. On peut ainsi imaginer qu’une mutation apparaisse d’abord comme une anomalie et non comme une adaptation à une situation donnée, puis qu’elle se perpétue et devienne une nouvelle norme. Par rapport à la simple adaptation, l’erreur entraîne donc dans des directions absolument imprévues et recèle donc un pouvoir créatif supérieur.

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La réflexion de Foucault se poursuit de façon logique : c’est maintenant l’homme qui est redéfinit à partir du concept d’erreur, puisque l’homme est également un être vivant.

Grâce à ce postulat, Foucault peut maintenant penser la vie non plus depuis l’idée de norme – l’être vivant serait un système organisé de façon stable et homogène, qui suit un certain nombre de normes et de lois – mais au contraire comme capacité à créer des formes nouvelles. La vie est d’abord une suite de mutations, lesquelles sont avant tout des erreurs. C’est dans cette perspective qu’il faut définir l’homme comme un être d’erreurs. En effet, en tant qu’être vivant qui apparaît à la suite d’une longue chaîne d’évolution, l’homme est le fruit d’une série d’erreurs. Foucault emploie l’expression en apparence oxymorique d’« erreur héréditaire ». Les deux termes sont antithétiques si on considère l’erreur comme un phénomène unique, imprévu et déviant par rapport à une norme, tandis que l’hérédité renvoie justement à l’idée de reproduction et de régularité. Ce que Foucault souligne ainsi, c’est que la vie, y compris sans sa continuité, doit être vue également comme une suite de jaillissements et de variations, et qu’elle contient, jusque dans son programme même – le programme prévu par les gènes par exemple – la possibilité de l’erreur et la reproduction perpétuelle de nouvelles erreurs. Si l’homme est plus que d’autres êtres vivants « destiné » à l’erreur, c’est peut-être parce qu’il est moins que les autres circonscrit par les nécessités naturelles. On peut en effet définir l’homme comme ce qui n’existe pas uniquement dans le cadre de lois naturelles et qui peut, au contraire, évoluer dans d’autres systèmes, comme par exemple celui de la culture. Foucault creuse l’étymologie du mot « erreur » en le rapprochant du verbe « errer » : l’homme est un être qui erre. Cela signifie que sa place n’est pas entièrement fixée et qu’il peut aller dans des directions imprévues. Paradoxalement, Foucault fait de ce phénomène une forme de fatalité, comme l’indiquent les termes « voué » et « destiné ». Une manière de le comprendre est de voir dans cette contingence propre à l’homme une forme de nécessité, au même titre qu’on peut, avec Lévi-Strauss, penser que la culture est la nature de l’homme : la seule règle qui gouverne réellement l’espèce humaine est le fait de ne pas être contraint par des règles. Mais on peut également y lire une certaine tristesse : ce qui constitue l’exception humaine, la chance de l’humanité, est également une fatalité, puisque l’absence de place déterminée signifie aussi une condamnation à l’errance et une privation de repos.

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Il peut sembler déroutant que Foucault passe ainsi d’une réflexion portant sur la vie à une analyse de la pensée et de la science. Il faut garder en tête que c’est toujours la notion d’erreur qui sert de fil conducteur. Mais il est utile de s’étonner de cette curieuse transition : en faisant ainsi, Foucault assimile la vie et la pensée, ce qui est une idée très intéressante.

Foucault ne s’en tient pas à une approche purement biologique mais cherche le lien entre cette errance fondamentale de l’homme et sa faculté à se rapporter au monde par la pensée. La vie, et peut-être avec elle tout ce qu’on perçoit comme étant le réel, est par essence « aléa », c’est-à-dire soumis au hasard. Il est d’autant plus difficile pour l’homme d’exister face à ce hasard qu’il est lui-même, comme Foucault vient de le montrer, un être de hasard et d’erreur. La solution que l’évolution de l’espèce a trouvée réside dans le concept. En effet, le concept est le fait d’être capable, par la pensée, de percevoir une régularité et une fixité plutôt qu’une discontinuité et un devenir. Si nous voyions le monde effectivement comme une suite perpétuelle d’erreurs, nous ne pourrions probablement construire aucune société ni même établir les conditions de notre survie. Par le concept, au contraire, nous tentons de percevoir des schémas réguliers qui nous permettent donc de faire des prévisions et d’organiser notre vie. L’originalité et la complexité de la pensée de Foucault est qu’il inverse ici totalement les valeurs habituelles : ce n’est pas la vérité, l’essence ni la loi naturelle qui sont premières mais l’erreur, l’imprévu, le changement. Plus encore, la pensée, qui nous apparaît généralement comme l’une des plus hautes formes de la rationalité, n’est en fait qu’un produit de l’erreur. Foucault est ici totalement à l’opposé de la pensée de Platon pour qui la stabilité de l’idée est ce qu’il y a de plus fondamental, et se rapproche au contraire beaucoup de Nietzsche, qui rejette la primauté de la vérité et jusqu’à son existence.

En effet, puisque Foucault a établi que la pensée est une réponse à l’erreur, que l’erreur est première et qu’elle est à l’origine de toute forme de vie, il lui faut soulever l’hypothèse que les concepts mêmes de vrai et de faux ne sont que des constructions humaines. On peut cependant noter que Foucault se montre ici plus mesurée de Nietzsche, puisque c’est bien sous forme d’hypothèse et non de conclusion que cette idée est proposée. Par ailleurs, il ne s’agit pas pour lui de détruire les concepts de vrai et de faux, puisqu’ils constituent des réponses adaptées à l’homme, qui lui sont donc probablement nécessaires.

Foucault souligne plutôt que le mode d’organisation humain, par exemple les institutions et les formes de pouvoir, découlent directement du système de valeurs des hommes et que ce système de valeurs lui-même, qui repose sur les concepts de vrai et de faux, est une construction proprement humaine et non un reflet de la réalité. Foucault n’en conclut pas que les valeurs humaines sont dépourvues d’intérêt et de consistance : elles sont elles aussi des formes d’erreur, mais comme toutes erreurs, elles sont sources d’inventions et de créations. C’est justement parce que les concepts de vrai et de faux ont été définis comme de pures constructions que l’erreur n’est pas comprise de façon négative.

La seule conclusion que Foucault en tire quant à la vie humaine porte sur l’histoire de l’humanité. Puisque c’est depuis l’idée d’erreur que sont envisagés l’homme et la pensée humaine, on ne peut pas voir l’histoire des connaissances comme une progression continue, répondant par exemple à des lois historiques. L’approche de l’histoire est ici à l’opposé de celle de Hegel : il n’y a pas ni nécessité ni logique dans la progression de la science. En effet, Foucault ne peut plus comprendre la science comme une lecture objective du réel mais seulement comme une construction, une tentative pour rationaliser notre rapport au monde. La science ne progresse donc pas vers la vérité, par série de rectifications : Foucault parle au contraire de « distribution nouvelle du vrai et de faux » qui indique bien la dimension aléatoire de ce que l’homme appelle vérité et connaissance. Foucault réaffirme que le monde n’est pas constitué de vérités qu’il faudrait mettre à jour : dans le domaine de la connaissance, l’erreur n’est donc pas quelque chose de faux mais plutôt une instabilité, une façon temporaire de comprendre ce qui nous entoure.

Foucault propose ici une véritable réhabilitation de l’erreur. L’erreur n’est pas le fait de se tromper, c’est-à-dire d’être dans le faux, mais plutôt le fait de s’écarter des normes, d’introduire de la nouveauté de façon imprévue et involontaire : c’est avant tout le fait d’errer. La nouveauté, mouvement qui porte en avant, est justement le principe fondamental de la vie. En liant l’erreur et la vie et en cherchant à en tirer des conclusions, Foucault comprend la vie dans un sens plus large encore : la vie est le surgissement continu de choses nouvelles. Il s’agit donc aussi bien d’êtres vivants que de choses produites par la pensée. La pensée est elle aussi une manifestation de la vie, une des fonctions du vivant, et non une faculté supérieure aux autres qui permettrait d’organiser toutes nos autres fonctions. Plus encore, la pensée découle elle aussi de l’erreur.

L’intérêt de cette réflexion est de renverser l’idée d’une primauté de la vérité, et par extension, le besoin de se référer à une norme. Il y a donc des applications directement politiques et éthiques de cette manière de voir : si on suit la pensée de Foucault, on conclut qu’il faut accepter toutes les différences et toutes les particularités comme étant non pas des déviations mais d’autres manières de vivre, de penser ou d’être.