Discours de la servitude volontaire

Introduction :

Le Discours de la servitude volontaire d’Étienne de La Boétie est un texte qui fait l’objet de nombreux fantasmes, et dont le propos a pu être mal interprété, repris, détourné, disqualifié ou au contraire porté aux nues. Le titre lui-même est objet de polémiques. La Boétie aurait été surpris que nous parlions aujourd’hui de son Discours de la servitude volontaire, car sur la première de couverture de son texte, publié par fragments en 1574, après sa mort, est écrit : Contr’un. En pleine guerre de religion entre les catholiques et les protestants, ces derniers publient le petit texte, car ils y voient une attaque en règle du pouvoir de la monarchie absolue, qui est alors catholique. Pourtant, c’est une interprétation réductrice. Une lecture attentive permet de se rendre compte que La Boétie ne remet pas en cause le pouvoir d’un roi en particulier. Il s’en prend plutôt à la figure abstraite du tyran, à plusieurs époques et en diverses latitudes.
Son Discours de la servitude volontaire a donc une portée beaucoup plus universelle. C’est un appel à réfléchir sur ce qui fait que nous sommes prêts à obéir à telle ou telle personne. En s’interrogeant sur ce qui pousse le peuple à servir un tyran, La Boétie fait de la question de la liberté une question politique cruciale. Mais là encore, des idées reçues se sont installées au fil du temps. Des générations de lecteurs et de lectrices ont pu croire que ce texte était un appel à la rébellion, alors que par endroits son auteur critique le peuple, qu’il juge incapable de se rendre libre. Nous essaierons donc de montrer que le Discours de la servitude volontaire est moins une diatribe qu’un guide sur les moyens disponibles pour s’émanciper d’une oppression. Pour ce faire, nous présenterons d’abord la relation que les humanistes du seizième siècle entretiennent avec le pouvoir, ensuite nous rendrons explicite la stratégie argumentative de La Boétie, enfin nous identifierons ce qui est présenté comme des remèdes à la tyrannie.

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Définition

Diatribe :
Attaque écrite violente, voire injurieuse, de quelqu’un ou de quelque chose.

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Définition

Émancipation :
Action de libération d’un état de dépendance à quelqu’un ou quelque chose.

Les humanistes et le pouvoir

Étienne de La Boétie est un homme de la Renaissance. Cela implique qu’il grandit à une époque où la culture, qu’il s’agisse de l’art ou de la science, est davantage valorisée par les érudits que les textes religieux, ce qui n’était pas systématiquement le cas au Moyen Âge. Ce jugement de valeur influence la représentation du pouvoir, et favorise notamment les discours de résistance.

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Définition

Érudit :
Personne qui a accumulé une grande quantité de connaissances, de façon méthodique.

Une pensée de l’équité

L’humanisme est un courant de pensée du seizième siècle qui accorde plus de confiance en l’Homme qu’en Dieu. Pour les artistes et les philosophes qui portent ce mouvement, il est possible de devenir plus humain afin de devenir meilleur. Ils s’inspirent ainsi de la sagesse et des vertus des auteurs de l’Antiquité, qu’ils redécouvrent : « L’homme est la mesure de toute chose », a écrit le philosophe grec Protagoras. En plaçant l’homme au centre de toutes les préoccupations et en l’incitant à penser par lui-même, les penseurs humanistes accordent plus d’importance à sa faculté de jugement, et par conséquent ils le croient plus prompt à critiquer les injustices.

vitruve - de Vinci - français - première - SchoolMouv L’Homme de Vitruve, dessin de Léonard de Vinci à la fin du XVe siècle, Galeries de l’Académie, Venise, Italie

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Attention

Ce n’est pas parce que les humanistes ont tenu à se tenir à distance du Moyen Âge que cette période était véritablement obscure. Même si le savoir était fondé sur les connaissances religieuses plus que sur l’expérience, et même si la hiérarchie féodale était stricte, il n’en reste pas moins qu’une véritable pensée complexe s’est développée pendant mille ans.

Le déploiement de l’esprit critique permet à certaines minorités de prendre une revanche sur des majorités. Par exemple, les traités d’Érasme sur l’éducation ou la folie démontrent que l’élève ou le fou sont capables de prendre de bonnes décisions. Le mouvement de la Réforme remet en cause la domination du christianisme et entraîne la création du protestantisme.
Sur le plan esthétique et administratif, la langue française, perçue jusqu’alors comme vulgaire, s’impose sur le latin, ancienne langue officielle. Du Bellay va ainsi publier une Défense et illustration de la langue française. Sur le plan politique, les sujets du roi paraissent de plus en plus en mesure de remettre en question ses décisions. Dans Le Prince, Machiavel invite donc les puissants à mieux considérer celles et ceux à qui ils donnent des ordres. En résumé, l’équité est partout discutée. Chacun revendique la faculté de juger par lui-même de ce qui est bon ou non pour lui.

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Définition

Équité :
Appréciation et respect de ce qui est dû à chacun.

La Boétie : fin conseiller et ami sincère

La Boétie est l’un de ces penseurs de la Renaissance qui forment la « République des Lettres » en Europe, et qui remettent en cause le pouvoir en place au nom de l’autonomie de jugement de l’individu. C’est un jeune homme brillant qui appartient à l’élite sociale. Sa noblesse, sa culture, ses études de droit lui permettent de fréquenter les hautes sphères du pouvoir. À seulement vingt-trois ans, il devient conseiller au Parlement de Bordeaux. En parallèle, il traduit des œuvres grecques, et retouche son Discours de la servitude volontaire, qu’il rédige à dix-huit ans.

Boétie - français - SchoolMouv - 1re Portrait d’Étienne de La Boétie

Le rôle politique et juridique de La Boétie devient de plus en plus important, notamment grâce à la relation d’amitié qu’il entretient avec Michel de Montaigne, le maire de Bordeaux, un humaniste qui est aussi l’un des philosophes français les plus importants du siècle. Le chapitre « De l’amitié » dans Les Essais, le grand livre de Montaigne, rend un hommage poignant au jeune La Boétie, qui meurt à trente-deux ans. Pour justifier leur amitié, Montaigne écrit sobrement : « Parce que c’était lui, parce que c’était moi. »

Essais - Montaigne - SchoolMouv - Français - 1re Une page des Essais de Michel de Montaigne (1580)

Montaigne remarque tout de suite la vivacité intellectuelle de son conseiller, qui deviendra son meilleur ami. Dans le Discours de la servitude volontaire, La Boétie fait preuve d’un esprit à la fois critique et ironique. Contrairement à Machiavel, qui entend donner des conseils directement au « Prince », La Boétie interpelle le peuple, et surtout l’élite du royaume : les « mieux nés ». La subtilité de son discours fait qu’il n’est pas facile de savoir exactement ce qu’il pense de la monarchie. Ce qui est certain, c’est qu’il n’encourage pas l’assassinat des rois. Il critique surtout les mauvais conseillers et appelle à s’en méfier. Lui-même conseiller politique, il sait de quoi il parle.

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Exemple

En bon humaniste, La Boétie défend la langue française et rend hommage aux poètes de la Pléiade, parmi lesquels Du Bellay, Ronsard, Peletier du Mans et Baïf :

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Citation

« […] pour ne pas ravir à notre poésie française ce beau divertissement, où elle pourra fort s’escrimer, maintenant qu’elle est non pas arrangée mais comme refaite à neuf par notre Ronsard, notre Baïf, notre Du Bellay – qui en cela font progresser si bien notre langue que j’ose espérer que bientôt ni les Grecs ni les Latins n’auront à cet égard plus d’avance sur nous, si ce n’est éventuellement le droit d’ainesse. »

Dans ce passage, la flatterie de La Boétie envers ses contemporains est bien visible. Il s’agit de montrer que les auteurs contemporains sont aussi brillants que les illustres anciens. Cependant, il met aussi en garde ces poètes de ne pas trop se rapprocher des cercles de pouvoir, au risque de se perdre eux-mêmes.

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À retenir

Fidèle à l’état d’esprit des érudits humanistes, dans son Discours de la servitude volontaire La Boétie critique les rapports de pouvoir, même s’ils se développent à l’intérieur de ses cercles amicaux.

Se rendre au chevet de la liberté

Le Discours de la servitude volontaire est un traité de philosophie politique qui explore les mécanismes du pouvoir et s’interroge sur le rapport que l’individu entretient avec la liberté. Il ne détermine pas quel est le meilleur régime politique, mais étudie les ressorts de la servitude. Le texte est écrit à un moment d’essoufflement du système féodal, dans lequel les sujets devaient obéir aveuglément à leur seigneur. L’objectif de La Boétie est de les pousser à faire preuve de discernement.

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Définition

Servitude :
État de soumission de tout un peuple.

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Définition

Discernement :
Faculté à distinguer les choses et à en juger.

L’acceptation de la servitude

Dans son prélude, La Boétie s’étonne de ce que les peuples acceptent de se soumettre à un tyran. À ses yeux, ils sont malades, parce qu’ils se tiennent en état de « servitude volontaire ». Ce n’est pas la même chose qu’une obéissance éclairée. S’il est nécessaire à toute organisation sociale que le peuple obéisse, le servage féodal est une organisation sociale et économique qui ne repose pas sur le consentement. Il apparaît à La Boétie que les peuples s’habituent vite à cette situation de servilité. Il faudrait donc renverser la coutume et s’opposer à ce que même des chiens ne toléreraient pas. C’est pourquoi l’auteur affirme : « Soyez résolus de ne plus servir, et vous voilà libres. » Son étonnement initial se transforme donc en indignation vis-à-vis de la passivité des peuples.

hommage - Clermont - français - SchoolMouv - 1re Hommage du comté de Clermont en Beauvaisis, copie d’un manuscrit de 1373-1376

La liberté est un bien naturel, ancré dans la nature humaine, et qu’il convient de protéger. Pour La Boétie, l’état gouvernant par la force et la domination n’est jamais légitime. En outre, lorsque la liberté est perdue « tous les maux viennent ensuite ». Voilà pourquoi La Boétie en fait l’éloge. Nous devrions tous faire œuvre de raison afin de nous indigner de notre servage : « Il y a en notre âme quelque naturelle semence de raison. »

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Attention

La Boétie distingue la liberté de la « franchise », qui désigne les personnes libres dans la société féodale. Chacun dispose de sa franchise, et pour La Boétie, ce ne sont pas « le laboureur et l’artisan » qui sont les plus asservis, mais bien les « favoris », c’est-à-dire l’élite un peu molle, qui écoute sans trop réfléchir les ordres du seigneur, du roi ou du tyran.

Interpeller le lecteur

Avec le Discours de la servitude volontaire, La Boétie se donne pour mission d’éveiller les consciences, pour donner exemple à l’élite de son temps. Pour ce faire, il ne rédige pas un pamphlet ni un essai théorique. Il propose plutôt de multiplier les récits illustrant son sujet, afin de tirer des leçons de l’Histoire et des œuvres culturelles.

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Définition

Pamphlet :
Petit écrit satirique, polémique, écrit sur un ton violent.

L’éloquence épidictique et les codes de la rhétorique sont des armes majeures pour interpeller le lecteur et le convaincre de refuser son asservissement. Lorsqu’il s’agit de dénoncer les tyrans, La Boétie emploie le registre du blâme. Pour rappeler au lecteur son devoir moral ou l’appeler à partager son indignation, il utilise le ton de la délibération. Le tout donne l’impression d’une forte oralité, qui fait du Discours de la servitude volontaire une déclamation.

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Définition

Éloquence épidictique :
Type de discours qui vise à montrer les vertus d’une personne ou d’une chose ou d’un événement.

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Définition

Blâme :
Jugement défavorable porté sur une chose ou une personne.

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Définition

Délibération :
Présentation du pour et du contre, afin de prendre une décision.

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Définition

Déclamation :
Art de réciter un texte de manière expressive.

La Boétie est un fin connaisseur des cultures grecques et latines, et il utilise son savoir pour structurer son discours. Le déroulement logique de son livre s’appuie sur les étapes de l’argumentation proposées par les philosophes grecs de l’Antiquité. Il commence par un exorde censé attirer l’attention du lecteur, poursuit avec un développement qui expose les différents arguments, et termine par une péroraison qui clôt le discours de manière attrayante.

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Définition

Exorde :
Première partie d’un discours, qui sert à capter l’attention du lecteur.

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Définition

Péroraison :
Dernière partie d’un discours, qui permet de rappeler ce qui a été dit.

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Exemple

En faisant de notre servitude une maladie mortelle, la fin de la première partie du développement apparaît bien comme une provocation :

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Citation

« Mais certes les médecins conseillent bien de ne pas toucher aux plaies incurables ; et je ne fais pas preuve de sagesse en voulant ainsi prêcher le peuple, qui a perdu connaissance depuis longtemps et qui, puisqu’il ne sent plus son mal, montre bien que sa maladie est mortelle. Cherchons donc par conjecture, si nous pouvons en trouver, comment s’est ainsi enracinée si profondément cette opiniâtre volonté de servir – à tel point qu’il semble maintenant que l’amour même de la liberté ne soit pas si naturel. »

Dans cet extrait, La Boétie se défend ironiquement de ne rien prêcher, mais il appelle pourtant à régénérer l’amour de la liberté.

Dans l’exorde, l’auteur s’appuie sur des vers de L’Illiade d’Homère, qu’il critique, pour attaquer le système monarchique. Dans le développement, il présente son étonnement, dénonce la lâcheté du peuple, appelle à la « vaillance » et à la responsabilité, puis il cherche à expliquer les raisons de l’oubli de la liberté, montre que nous nous comportons parfois comme des bêtes, attaque la coutume, dénonce l’esclavage, valorise le savoir, pointe du doigt les méfaits des tyrans et l’état de peur dans lequel ils vivent, explique que notre imagination n’est excitée que pour mieux nous contrôler, et démontre la fragilité d’un pouvoir qui repose sur un système pyramidal. Dans la péroraison, il invite l’élite à « bien faire », à guider le peuple, et en appelle à un réveil collectif des consciences.
Le tout est ponctué d’une myriade d’anecdotes historiques, surtout empruntées à l’Antiquité : Mithridate, la République de Venise, Xersès, les Spartiates, Caton, les Cimmériens, le mythe de la Caverne de Platon, Xénophon, Pyrrhus, Vespasien, etc.

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À retenir

La Boétie ne cherche pas à briller par sa culture, mais à transmettre le flambeau de la connaissance, indispensable pour défendre une liberté toujours menacée par la passivité, la corruption ou la peur. Contre la coutume, la bêtise et une tendance à s’« efféminer », il lance un appel à la « vaillance » et à l’autonomie intellectuelle.

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Attention

La Boétie reproche au tyran d’utiliser les plaisirs pour divertir son peuple et le détourner de toute révolte. Il l’accuse de rendre ainsi les hommes trop féminins. Certes, c’est une disqualification hautement misogyne. Cette attaque rend compte de l’inégalité profonde entre les hommes et les femmes qui régnait au seizième siècle, plutôt que d’une supposée détestation des femmes par l’auteur.

La tyrannie : le poison et son remède

Le Discours de la servitude volontaire n’est pas uniquement tourné vers la figure du peuple et des opprimés. Il décortique aussi les motivations, les forces et les faiblesses des oppresseurs. La Boétie propose des portraits au vitriol de tyrans légendaires ou contemporains, et donne des clés pour contrer leur vilénie.

Portraits de tyrans

Le terme « tyran » est un terme plus général que « roi », « prince » ou encore « despote ». Issu de l’histoire antique, il désigne une personne qui exercice une autorité arbitraire et absolue, oppresse les plus faibles et méprise les lois. La Boétie a un surnom très parlant pour désigner un tyran : le « mangepeuple ». Il attribue tous les vices à ce genre de gouverneur injuste : obsession sexuelle, violence, cupidité, etc.
Comme il vit en état de crainte perpétuelle, le tyran endormirait la raison du peuple en le divertissant, et surtout en recourant à son imagination. C’est-à-dire qu’il lui laisse imaginer quelles punitions terribles il pourrait leur infliger. Il s’appuie donc sur la peur pour régner, missionnant ses « tyranneaux » pour brimer la population.

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Exemple

L’art du portrait en acte dans le Discours de la servitude volontaire est remarquable. Celui de Cyrus, véritable tyran du VIe siècle, permet au lecteur de se faire une représentation très nette de ce que dénonce La Boétie :

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Citation

« Mais cette ruse de tyran d’abêtir leurs sujets ne peut pas se connaître plus clairement que par ce que Cyrus fit aux Lydiens : après qu’il se fut emparé de Sardes, la capitale de la Lydie, et qu’il eût fait prisonnier Crésus, ce si riche roi, on lui apporta la nouvelle que les Sardains s’étaient révoltés ; il les aurait bien vite soumis à sa poigne ; mais ne voulant pas ni mettre à sac une si belle ville, ni être toujours en peine d’y tenir une armée pour la garder, il s’avisa d’un grand stratagème pour s’en assurer ; il y établit des bordels, des tavernes et des jeux publics, et fit publier une ordonnance pour que les habitants soient obligés de s’en servir. »

La fourberie que décrit l’auteur dans ce passage vise bien à rendre le peuple plus docile en le rendant plus licencieux, plus bête, plus ivre et plus avide. Nulle place ici pour l’exercice de la raison.

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Définition

Licencieux :
Qui mène une vie de débauche.

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Attention

La Boétie reproche au tyran d’utiliser les plaisirs pour divertir son peuple et le détourner de toute révolte. Il l’accuse de rendre ainsi les hommes trop féminins. Certes, c’est une disqualification hautement misogyne. Cette attaque rend compte de l’inégalité profonde entre les hommes et les femmes qui régnait au seizième siècle, plutôt que d’une supposée détestation des femmes par l’auteur.

Lorenzetti - tyran - SchoolMouv - 1re - Français Ambrogio Lorenzetti, Les Effets du bon et du mauvais gouvernement à la ville et à la campagne, 1339. Dans ce détail du tableau, le tyran cornu est dominé par une personnification de l’orgueil.

Celles et ceux que La Boétie condamne plus fermement que les tyrans, ce sont ses complices, les chefs intermédiaires qui obéissent aveuglément. D’une part, ils sont les piliers d’un système injuste, d’autre part, ils ne voient pas qu’à tout moment ils peuvent être lâchés par leur souverain, comme le montrent de nombreux exemples dans l’Antiquité.

Subvertir la servitude

Pour en finir avec la servitude et retrouver le désir de penser par soi-même, La Boétie subverti, c’est-à-dire remplace, les anciens outils de la servitude (coutume, divertissement, imagination) par des vertus libératrices, qu’il juge trop souvent dédaignées : le savoir, la fraternité et l’amitié.
Pour « entretenir la liberté », l’érudition est présentée comme indispensable. En effet, seul un esprit éclairé va véritablement à la rencontre de l’autre. Or, on ne respecte et on ne protège que ce que l’on connait. L’étude et l’observation, autres vertus de celles et ceux qui cherchent à savoir, permettent de mieux voir les personnes qui se révoltent, qui refusent de subir le joug des tyrans autour de nous. Il existe donc une sagesse de la liberté chez l’érudit qui manie un savoir qui fait trembler le tyran.

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Définition

Tomber sous le joug de / subir le joug de :
Subir la domination de quelqu’un.

La Boétie donne une place centrale à l’amitié dans la vie humaine, puisqu’il y aurait dans ce sentiment des « communs devoirs » qui assurent le respect. Le lien d’amitié pousserait à accomplir uniquement des bonnes actions. Comme la domination est naturellement verticale, dissymétrique, l’égalité et l’horizontalité offertes par l’amitié permettent d’entretenir des relations plus justes. Se référant encore une fois à l’Antiquité, La Boétie célèbre la philia, une forme d’amour qui mêle affection et bienveillance et permet de dépendre de l’autre, sans renoncer à sa liberté.

Raphaël - autoportrait - français - 1re - SchoolMouv Raphaël, Autoportrait avec un ami, 1518, musée du Louvre, Paris

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Exemple

Le propre du tyran, c’est de ne pas avoir d’amis :

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Citation

« C’est certainement que le tyran n’est jamais aimé, ni n’aime : l’amitié c’est un nom sacré, c’est une chose sainte ; elle ne se met jamais qu’entre gens de bien, et ne se noue que par mutuelle estime ; elle ne s’entretient pas tant par les bienfaits que par la bonne vie ; ce qui rend un ami assuré de l’autre c’est la connaissance qu’il a de son intégrité ; les garanties qu’il en a c’est son bon naturel, la foi et la constance. Il ne peut y avoir d’amitié là où est la cruauté, là où est la déloyauté, là où est l’injustice […] »

Ce passage indique que La Boétie n’envisage pas la liberté sans l’égalité, qui cohabitent très bien à travers la relation amicale.

Conclusion

Dans la trajectoire de La Boétie, le Discours de la servitude volontaire semble une mise au net des valeurs qu’il entend défendre sa vie durant. Il voit le savoir comme un remède à l’oppression et tâchera donc d’augmenter constamment la somme de ses connaissances. Il considère que les mauvais conseillers sont les complices du pouvoir, il s’attachera donc à prodiguer toujours de bons conseils et à inviter son prochain à penser par lui-même. Enfin, il élève l’amitié au rang de modèle d’organisation de la société et aura donc à cœur d’entretenir des relations fraternelles profondes, comme avec Montaigne.
Tout porte à croire que son texte est un guide efficace de lutte contre la servitude, puisqu’il est possible de reproduire dans la réalité les principes qu’ils portent. Cependant, c’est tout de même un guide étrange en ce qu’il se méfie de celui qui le lit. En effet, La Boétie s’adresse surtout aux « favoris », et semble se méfier d’un gouvernement trop ouvertement démocratique. De plus, on est en droit de se demander à quoi pourraient ressembler exactement une justice et une organisation sociale entièrement tournée autour du sentiment de l’amitié. Est-ce applicable ? En somme, le Discours de la servitude volontaire n’est pas à prendre comme un programme politique, mais bien comme un guide moral, un encouragement à dire non à l’injustice et à chérir la liberté.

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