L'art de discipliner ou de rêver la nature du Moyen Âge au XVIIe siècle

Introduction :

Les représentations de la nature dans l’art du Moyen Âge à l’époque classique révèlent l’Homme dans son milieu naturel. La nature sert de cadre au récit fictif mais constitue également une source d’inspiration et permet de jouer sur les symboles. Nous étudierons dans un premier temps la nature comme cadre fictif. Tour à tour élément de décor, actrice ou symbole, elle révèle les sujets et les met en valeur. Nous nous pencherons ensuite sur les représentations de la nature maîtrisée par l’Homme, pour ses besoins ou son plaisir.

La nature comme cadre fictif

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À retenir

La nature inspire l’artiste, qu’il soit poète ou peintre. Elle sert de cadre à des scènes fictives, mythiques ou merveilleuses. Mais elle peut également être l’objet de la rêverie du poète.

La nature comme cadre

Saint-Georges et le dragon est une œuvre peinte par Paolo Uccello, aux alentours de 1430. Elle représente une scène de la mythologie chrétienne. Il s’agit du combat de saint Georges de Lydda avec un dragon qui retient une princesse prisonnière près d’une grotte.

Alt texte Saint Georges et le dragon, Paolo Uccello, 1430-1450, musée Jacquemart-André, Paris

La toile présente au premier plan le saint, sur un cheval blanc. Les personnages se trouvent devant une grotte. Saint Georges porte une armure, la croix des chevaliers croisés et est assis sur une selle rouge. Sa lance se plante dans la gueule du dragon qui déploie ses ailes.

Le dragon est au centre de la composition, il est vert et sur ses ailes se dessinent des anneaux de couleur bleu marine. Il paraît féroce avec de longues griffes, et sa gueule ouverte est pleine de dents acérées.

La princesse est également au premier plan, sur la gauche. Elle est présentée de profil et observe le combat. Elle porte une longue robe rouge sombre aux ornements dorés et une coiffure soignée. Elle a les deux mains jointes, comme pour prier ou applaudir l’exploit du saint.

On peut apercevoir derrière eux, en arrière-plan des terres agricoles, séparées par des haies. Un long chemin bordé également de haies et d’arbres mène aux remparts qui entourent le château.

  • On peut supposer qu’il s’agit du château de la princesse.

Le ciel au loin semble sombre et nuageux, illustrant la menace du dragon. La nature est ici représentée de deux manières :

  • d’une part, par la grotte, qui est le refuge du dragon : elle permet d’évoquer la nature sauvage et dangereuse comme au temps des hommes préhistoriques ;
  • d’autre part, la nature maîtrisée est également représentée avec les terres agricoles du roi, labourées, cultivées et agrémentées de haies et d’arbres bien alignés.
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À retenir

Au Moyen Âge, la nature sauvage est bien souvent représentée comme un lieu dangereux et abritant quelques maléfices.

La nature peut également être la muse du poète.

La nature comme invitation à la rêverie poétique

Dans le Roman de la Rose de Guillaume de Lorris et Jean de Meung, écrit entre 1225 et 1280, le narrateur raconte un rêve qu’il a fait. L’Amant (qui n’est autre que le poète), découvre un verger auquel on ne peut accéder que par une porte étroite. Il décrit les merveilles qui s’offrent à lui dans un jardin magnifique. L’Amant s’approche des roses :

« Des roses il y en avait un grand monceau :
On n’en aurait pas trouvé d’aussi belles sous les cieux ;
Il y avait des boutons petits et fermés,
Et tels autres qui étaient un peu plus gros.
Il y en avait aussi d’une autre taille,
Qui s’acheminaient vers la floraison
Et s’apprêtaient à s’épanouir ;
Ceux-là ne sont pas à dédaigner.
Ces boutons-là me plurent fort :
Jamais on n’en vit nulle part d’aussi beaux.
[…]
Parmi eux j’en choisis
Un de très beau ; je ne prisai
Nullement les autres auprès de lui
Dès que je l’eus bien regardé. […]
Mais des chardons aigus et piquants
M’en tenaient éloigné ;
Des épines fines et tranchantes,
Des orties et ronces crochues
Ne me laissaient pas avancer,
Car je craignais de me faire mal.
Le dieu Amour […]
Prit aussitôt une flèche ;
Quand la corde fut dans l’encoche,
Il tendit jusqu’à son oreille
L’arc qui était extraordinairement fort
Et tira sur moi de telle façon
Que par l’œil il me glissa dans le cœur
Sa flèche très vivement. […]
Quand je fus ainsi touché,
Je tombai aussitôt en arrière, à la renverse. »

Cet extrait du Roman de la Rose propose une allégorie, celle de l’amour, sous les traits d’un archer qui décoche une flèche.

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Définition

Allégorie :

Une allégorie est une figure de style qui sert à représenter de manière symbolique un concept ou une idée, par image ou métaphore, sous les traits d’une personne ou d’un être animé.

Ce récit présente la rêverie du narrateur. Le jardin est décrit de manière assez détaillée mais avec une dimension merveilleuse. Le récit est ponctué d’hyperboles, utilisées pour montrer la splendeur de ce jardin, comme par exemple les exagérations : « on n’en aurait pas trouvé d’aussi belles sous les cieux » et « jamais on n’en vit nulle part d’aussi beaux ».

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Définition

Hyperbole :

Une hyperbole est une figure de style qui utilise l’exagération pour marquer le lecteur.

On peut aussi remarquer un effet de zoom. L’auteur décrit d’abord le jardin, puis les roses, et enfin un bouton de rose, il dit en effet :

« Parmi eux j’en choisis
un de très beau ».

On observe ensuite un renversement de situation : l’homme est émerveillé par ce bouton de rose mais aussitôt repoussé par la piqure de ses épines. L’accumulation de végétaux piquants « les chardons », « les épines », « les orties » et « les ronces » exprime l’interdit et le rejet de l’homme par la femme. De plus, le dieu Amour lui décoche une flèche si violemment qu’il en tombe à la renverse. L’homme est donc confronté à une certaine violence.

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À retenir

Ce récit symbolise le sentiment amoureux, qui peut être à la fois merveilleux et douloureux. Le verger est ici présenté comme un endroit si merveilleux qu’il appartient à l’univers onirique.

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Définition

Onirique :

L’adjectif onirique désigne ce qui est relatif au rêve.

Le verger est en outre le lieu sacré de la rencontre amoureuse. Ce jardin fait penser à un jardin paradisiaque comme le jardin d’Éden, lieu de rencontre entre Adam et Ève dans la Bible. La rose représente la femme qui repousse les avances de l’homme, ou l’interdiction pour l’homme d’approcher une fille trop jeune (le bouton de rose n’est en effet pas encore éclos, il est sur le point de s’épanouir).

  • Le motif de la flèche de Cupidon est ici repris afin de symboliser le coup de foudre.
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À retenir

La nature est donc ici évoquée à travers un univers onirique, destiné à symboliser la rencontre amoureuse.

C’est le théâtre de l’amour où Cupidon règne. La nature sert de filtre à la rêverie poétique, révélant l’amour de l’Amant.

Dans les œuvres issues du Moyen Âge jusqu’à l’époque classique, la nature est également représentée comme étant maitrisée par l’Homme.

La nature disciplinée

L’homme discipline la nature pour parer à des nécessités : à des fins d’installation, c’est-à-dire pour la création de son habitat, mais aussi pour se nourrir, à travers l’agriculture. L’action de l’Homme sur la nature est aussi une preuve de civilisation. En effet, il laisse ainsi une trace de son passage sur terre. Il laisse entrevoir les transformations qu’il a été capable de réaliser, par son savoir-faire et ses connaissances. Le jardin est une façon d’affirmer un certain raffinement. C’est ce que l’on observe dans le thème du jardin courtois.

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À retenir

Le jardin médiéval est un thème récurrent des enluminures du Moyen Âge. Il est bien souvent riche en symbolique. Il peut être le siège de l’amour courtois ou le théâtre d’une scène chrétienne.

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Définition

Amour courtois :

Il s’agit d’un ensemble de rituels du chevalier pour tenter de plaire à une dame de haute lignée sans l’offenser, en lui dédiant des poésies, des actes, des exploits chevaleresques.

Barthélemy d’Eyck peint une enluminure dans La Théséide de Boccace aux alentours de 1460. Dans La Théséide, après avoir vaincu les Amazones, Thésée fait prisonniers les chevaliers Arcitas et Palémon. Il les enferme dans une prison à Athènes près des jardins de Thésée. Une Amazone et suivante de la reine, Émilie, vient le matin cueillir des fleurs. Arcitas et Palémon la regardent et en tombent amoureux.

Sur cette enluminure, on peut voir Émilie, tressant une couronne de fleurs, épiée par les deux prisonniers Arcitas et Palémon.

Alt texte Barthélémy d’Eyck, Émilie dans son jardin (Théséide), enluminure extraite de La Théséide de Boccace, livre III

Cette enluminure représente un jardin rectangulaire s’apparentant à un cloître, entouré des hauts murs de ce qui semble être les remparts d’un château.

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Définition

Cloître :

Un cloître est une partie d’un monastère, composé d’un jardin intérieur et d’une galerie couverte.

Le jardin est petit, très soigné et structuré. Des roses grimpent sur un treillis derrière la jeune fille qui est assise sur un banc végétal, un élément caractéristique des jardins des XIVe et XVe siècles. Une porte étroite permet d’entrer dans le jardin. L’espace est clos, et l’idée d’enfermement est très présente. On peut le constater par la clôture du jardin qui enferme la jeune fille, mais aussi par les hauts murs de l’enceinte du château. De plus, on aperçoit à la gauche de cette peinture deux prisonniers derrière les barreaux qui observent Émilie, et une autre petite barrière en bas de l’enluminure, comme si le spectateur épiait également la demoiselle par-dessus la clôture.

  • Cet enfermement est plutôt protecteur et sécurisant pour la jeune fille qui paraît sereine au cœur du jardin.

On observe aussi les prisonniers qui eux-mêmes observent Émilie. La scène est présentée dans un cadre tellement resserré qu’elle constitue presque une mise en abîme, un tableau dans un tableau.

Émilie tresse une couronne de fleurs et paraît inaccessible, car de multiples barrières se dressent autour d’elle, mais aussi parce qu’elle semble absorbée par sa tâche.

Cette enluminure permet donc de retrouver de nombreux éléments classiques des représentations de la nature maitrisée et du jardin courtois du Moyen Âge.

Conclusion :

La nature dans les textes et peintures du Moyen Âge à l’époque classique représente un espace propice à la rêverie poétique, mais sert aussi à implanter le décor de récits glorieux. La nature disciplinée par l’Homme, elle, exprime le caractère civilisé et raffiné de celui-ci mais se charge également de symboles.