Un roman naturaliste : L'Assommoir de Zola

Introduction :

Dans la seconde moitié du XIXe siècle, un nouveau style romanesque apparaît. Après le courant littéraire du réalisme porté par Balzac, le naturalisme prolonge le mouvement.

Poussant plus loin les principes du réalisme, qui consiste à représenter le réel tel qu’il est et à privilégier les histoires vraies, les auteurs naturalistes proposent de montrer la société et l’humain dans sa réalité crue. Sans filtre, les naturalistes donnent même une dimension scientifique à leurs écrits. Le mouvement s’étend également au théâtre et à la peinture, avec des peintres tels que Daumier ou Courbet.

Dans un premier temps, nous allons nous intéresser aux caractéristiques du roman naturaliste. Puis, nous étudierons un exemple de roman naturaliste : L’Assommoir de Zola.

Le roman naturaliste

Naissance et principes du naturalisme

Le courant naturaliste est né des frères Goncourt en 1860. En 1865, dans leur roman Germinie Lacerteux, les frères Goncourt s’appuient sur un cas réel d’hystérie.

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Définition

Hystérie :

Il s’agit d’une maladie psychologique qui se manifeste par des crises lors desquelles le patient ne maîtrise plus ses émotions. Cela peut entraîner une perte de la vue, une paralysie ou des malaises.

La dimension scientifique est alors assumée et mise en avant. Voici ce que les frères Goncourt disent de leur vision du roman dans la préface de Germinie Lacerteux :

« Aujourd’hui que le roman s’est imposé les études et les devoirs de la science, il peut en revendiquer les libertés et les franchises. »

Dans sa maison à Médan, Zola réunit régulièrement ses amis écrivains tels que Maupassant et Huysmans. Un recueil de nouvelles naturalistes voit le jour en 1880 à la suite de ces réunions : Les Soirées de Médan. L’œuvre inspirera d’autres auteurs par la suite, comme Alphonse Daudet.

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À retenir

Mais c’est dans son Roman expérimental, publié en 1880, que Zola théorise le premier le courant naturaliste.

Il s’inspire de la méthode du biologiste Claude Bernard. Zola estime que le romancier doit, tout comme le scientifique, observer les faits puis les expérimenter. L’auteur applique sa théorie dans son œuvre gigantesque, Les Rougon-Macquart, histoire naturelle et sociale d’une famille sous le second Empire, ensemble de vingt romans écrits entre 1871 et 1893.

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À retenir

Pour Zola, il n’est pas question de juger ses personnages mais de les montrer tels qu’ils sont dans leur milieu.

Il est en quête de vérité et cherche à la décrire avec le plus d’exactitude possible. Face aux critiques des bourgeois conservateurs qui attaquent son œuvre L’Assommoir et la jugent trop choquante, Zola répond ceci :

« C’est une œuvre de vérité, le premier roman sur le peuple, qui ne mente pas et qui ait l’odeur du peuple. Et il ne faut point conclure que le peuple tout entier est mauvais, car mes personnages ne sont pas mauvais, ils ne sont qu’ignorants et gâtés par le milieu de rude besogne et de misère où ils vivent. »

Les thèmes du naturalisme

Le roman est donc un laboratoire pour l’auteur naturaliste.

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À retenir

Il examine l’influence des lois de l’hérédité sur ses personnages.

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Définition

Hérédité :

Ensemble des caractéristiques (physiques ou morales) qu’un parent transmet à ses enfants, à ses descendants.

Par exemple, l’atavisme qui ronge la famille des Rougon-Macquart est l’alcoolisme.

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Définition

Atavisme :

C’est une hérédité dans laquelle le sujet manifeste des traits de caractère présents depuis plusieurs générations, en l’occurrence l’alcoolisme.

Cette fêlure se transmet de génération en génération, ruinant tous les efforts des personnages pour réussir leur vie. L’écrivain met également en exergue l’influence du milieu, notamment le milieu ouvrier comme dans L’Assommoir de Zola.

  • L’auteur naturaliste montre par le biais de ses romans les défauts de la société.

Certaines œuvres font scandale lors de leur publication. C’est le cas notamment de Boule de Suif, une nouvelle écrite par Maupassant, qui dénonce les humiliations que peuvent subir les prostituées.

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Définition

Révolution industrielle :

Au XIXe siècle, la révolution industrielle bouleverse plusieurs pays. La société jusqu’alors majoritairement agricole et artisanale bascule dans une ère industrielle et commerciale.

Les écrivains naturalistes sont marqués par cette période historique. Ils mettent en évidence les bouleversements dus à la révolution industrielle. La société a en effet subi de profonds changements comme l’essor des chemins de fer, les travaux d’Haussmann dans Paris et le passage à l’ère industrielle.

Par ailleurs, les écrivains naturalistes font preuve d’une vision pessimiste de l’Homme et de la société. Ils décrivent souvent des personnages luttant pour leur vie face à la maladie ou à la mort. On peut prendre l’exemple des mineurs de Germinal de Zola qui luttent pour améliorer leurs conditions de travail et de vie, ou encore de l’héroïne de Une Vie de Maupassant. En effet, cette dernière fait face à de nombreux deuils, au dénuement, mais aussi à la maladie de son fils.

Un exemple de roman naturaliste : L’Assommoir de Zola

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À retenir

Dans L’Assommoir, Zola décrit le milieu ouvrier marqué par la misère et l’alcool.

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Définition

Assommoir :

Au XIXe siècle, l’assommoir est le nom que l’on donne au lieu où l’on distille et où l’on boit l’alcool.

L’extrait ci-dessous se situe au début du roman. Coupeau et Gervaise décident d’aller voir de plus près un alambic.

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Définition

Alambic :

Appareil qui sert à distiller l’alcool.

Les deux personnages ont su éviter leur hérédité. Cependant, on peut constater que Gervaise ne peut s’empêcher d’être fascinée par l’alambic. Cette machine est au cœur du passage :

« L’alambic, avec ses récipients de forme étrange, ses enroulements sans fin de tuyaux, gardait une mine sombre ; pas une fumée ne s’échappait ; à peine entendait-on un souffle intérieur, un ronflement souterrain ; c’était comme une besogne de nuit faite en plein jour, par un travailleur morne, puissant et muet. Cependant, Mes-Bottes, accompagné de ses deux camarades, était venu s’accouder sur la barrière, en attendant qu’un coin du comptoir fût libre. Il avait un rire de poulie mal graissée, hochant la tête, les yeux attendris, fixés sur la machine à soûler. Tonnerre de Dieu ! elle était bien gentille ! Il y avait, dans ce gros bedon de cuivre, de quoi se tenir le gosier au frais pendant huit jours. […] Dame ! il ne se serait plus dérangé, ça aurait joliment remplacé les dés à coudre de ce roussin de père Colombe ! […] L’alambic, sourdement, sans une flamme, sans une gaieté dans les reflets éteints de ses cuivres, continuait, laissait couler sa sueur d’alcool, pareil à une source lente et entêtée, qui à la longue devait envahir la salle, se répandre sur les boulevards extérieurs, inonder le trou immense de Paris. Alors, Gervaise, prise d’un frisson, recula ; et elle tâchait de sourire, en murmurant :

- C’est bête, ça me fait froid, cette machine. La boisson me fait froid. »

La description de l’alambic se fait à travers le regard de Coupeau et Gervaise. Coupeau explique à Gervaise le fonctionnement de l’appareil. La machine est qualifiée par des expressions qui la personnifient, c’est-à-dire que Zola attribue des caractéristiques humaines à l’alambic qui est un objet.

On peut relever par exemple « [L’alambic] gardait une mine sombre », le narrateur évoque également « un souffle intérieur ». L’alambic est également qualifié de « travailleur morne, puissant et muet », ce qui lui donne un côté inquiétant. La machine dégage une atmosphère menaçante.

En revanche, le point de vue de Mes-Bottes sur l’alambic est positif. Il pose des « yeux attendris » sur l’engin et évoque son « gros bedon de cuivre ». Le point de vue de Mes-Bottes est retranscrit par un discours indirect libre.

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Définition

Discours indirect libre :

Ce discours rapporté se caractérise par l’absence de verbe introducteur ou de guillemets, il passe inaperçu en somme. Il permet de retranscrire les pensées ou paroles d’un personnage et de conserver la fluidité de la narration.

Cela permet de conserver l’oralité de Mes-Bottes avec des termes argotiques comme lorsqu’il parle du « bedon » ou des expressions telles que « tonnerre de Dieu ! » et « Dame ! ». Cela donne un aspect authentique et réaliste. Mes-Bottes est un personnage qui représente le peuple. Il a une vision optimiste de l’alambic. Mais c’est une vision euphorique, un sentiment de bien-être absolu, une grande joie, car il est déjà sous l’emprise de l’alcool.

À l’exaltation de Mes-Bottes s’ensuit le regard inquiet de Gervaise, traduit par le narrateur à la fin de l’extrait. L’alambic est comparé à une « source lente et entêtée ». L’adverbe « sourdement » fait écho au « ronflement souterrain ». Cela dénote le caractère insidieux de l’alcoolisme, qu’on ne voit pas venir. Il est « souterrain », et donc caché.

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À retenir

Gervaise semble pressentir sa déchéance finale.

En effet, le narrateur dit : « elle tâchait de sourire », mais elle a un mouvement de recul et frissonne. Il s’agit ici d’un éclair de lucidité de la part de Gervaise.

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Astuce

On peut repérer le discours indirect libre grâce au changement de registre de langue. Par exemple, d’un registre soutenu pour la narration, on passe subitement à un registre familier. On peut observer également l’emploi du conditionnel ou encore des phrases exclamatives.

En alternance avec le discours rapporté, Zola revient à la narration. On peut remarquer ces alternances grâce aux différences dans le langage : tantôt familier, tantôt soutenu. Aux expressions argotiques succèdent les tournures littéraires telles que « les reflets éteints de ses cuivres ».

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À retenir

Le naturalisme est présent dans cette imitation du langage des ouvriers.

En effet, Zola montre le vrai visage du peuple, et explique au lecteur comment parle et pense un ouvrier. La gradation « qui à la longue devait envahir, répandre et inonder » est une énumération allant de manière croissante. Elle illustre les dangers de l’alcool et le caractère inéluctable de l’alcoolisme en milieu ouvrier.

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À retenir

Cet extrait est une prémonition du destin de Gervaise et un portrait pathétique de l’ouvrier. Zola montre ici le déterminisme héréditaire et social.

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Définition

Déterminisme :

Le déterminisme est une notion philosophique qui considère que le hasard et la liberté n’existent pas, n’ont aucun effet. Ainsi, le caractère et les agissements d’un individu pourraient s’expliquer par son milieu social et familial plutôt que par ses choix.

C’est ce que Zola illustre avec Gervaise. Cette dernière est prédisposée à l’alcoolisme par son milieu social, le milieu ouvrier (dans lequel l’alcoolisme était très présent à cause de la difficulté des conditions de vie), mais également par sa famille (son père, sa mère et ses grands-parents étaient alcooliques).

Conclusion :

Le naturalisme repousse les limites du réalisme. À la manière d’un chirurgien qui ouvre un corps pour mieux l’explorer, le naturaliste dissèque la société toute entière. Il propose une analyse fine du contexte dans lequel évolue son sujet d’étude mais dévoile aussi les rouages de l’âme. Dans L’Assommoir, Zola décrit la grandeur et la décadence de son héroïne. Il offre à la postérité une grande œuvre littéraire ainsi qu’une précieuse étude sociologique du milieu ouvrier sous le Second Empire.