Une remise en question des conventions romanesques traditionnelles
Dans Pour un nouveau roman, Alain Robbe-Grillet propose de déconstruire « quelques notions périmées ».
Le nouveau roman s’oppose au récit traditionnel qui donne l'illusion de la réalité.
Le réalisme est lié à la société bourgeoise du XIXe siècle et à la croyance de cette dernière en un monde intelligible : un univers stable et cohérent que l’on peut déchiffrer.
Les conflits mondiaux et les totalitarismes du XXe siècle ont ébranlé cette certitude : le nouveau roman s’impose donc comme une adaptation au changement de relations entre l’humain et le monde.
Le récit réaliste de type linéaire n’est plus adapté à l’humain du monde moderne.
Dans le récit moderne, « le temps n’accomplit plus rien » (Robbe-Grillet) et n’est plus linéaire : le seul ordre est celui de la succession des phrases.
Robbe-Grillet préconise un récit minimaliste au présent mettant en valeur une intemporalité en accord avec la nouvelle appréhension du temps.
Le nouveau roman va également refuser l’usage du point de vue omniscient qui suppose un narrateur tout puissant.
Désormais, le roman doit refléter la complexité de l’homme et le caractère instable du monde.
La psychanalyse, définie en 1922 par Freud, a ouvert la voie à une remise en question de la notion de personnage : comment faire exister ce qui n’est que manque et opacité ?
Les personnages du nouveau roman ont rarement un nom, parfois ils sont désignés par une seule lettre, le narrateur n’en fait pas de portrait, ils ne sont pas définis socialement.
L’absence de personnage clairement défini traduit une vision du monde faite de lacunes et d’incertitudes : les néoromanciers se livrent au procès de la connaissance.
Comme les autres outils du roman réaliste, la description de ce qu’on considérait comme doué d’une permanence et préexistant, semble dépassée.
Autonome, la description du nouveau roman a une fonction créatrice et ne sert plus à reproduire le réel ni à légitimer le récit.
Le monde romanesque est perçu comme un univers autonome qui ne fonctionne pas par similarité avec le réel mais par une vie issue de l’écriture.
Cette remise en question des formes narratives suppose que les lecteurs sont capables de s’intéresser à un roman qui ne contient pas d’intrigue.
Le refus de l’intrigue
Pour Alain Robbe-Grillet, l’intrigue (il l’appelle « histoire » dans son essai) est une notion obsolète sur laquelle se construit le roman réaliste.
Il est selon lui inacceptable de considérer que l’intrigue serait la raison d’être du roman.
Dans La Jalousie (1957), troisième roman d'Alain Robbe-Grillet, le narrateur semble omniprésent mais en même temps inexistant.
Pourtant, le titre du roman nous laisse imaginer qu’il pourrait être le mari de A… engagée dans une relation adultère avec Franck.
Plusieurs scènes, dont celle étudiée, reviennent à différents moments du roman.
Ce passage est extrait de l’excipit et du roman et consitute une mise en abyme : un roman dans un roman.
L’intrigue énoncée manque de logique : aucun élément n’est sûr, tout y est contradictoire (comme le montrent les nombreuses constructione antithétiques).
L’auteur cherche à illustrer le caractère dérisoire de toute fiction.
On cherche vainement dans ce texte une intrigue et sa progression.
On retrouve dans La Jalousie le rejet de la linéarité du récit.
L’intrigue n’est pas ce qui intéresse les auteurs du nouveau roman. Ils lui préfèrent une succession d’instantanés, un éclairage par le regard plutôt que l’omniscience.
L’École du regard : l’esthétique cinématographique du nouveau roman
Roland Barthes a qualifié le nouveau roman de « littérature objective ».
L’écriture du nouveau roman s’apparente à l’art cinématographique, notamment par l’utilisation du point de vue externe.
La Modification, publié en 1957, est le roman le plus célèbre de Michel Butor : l’extrait que nous en étudions présente une dimension cinématographique qui nous intéresse.
On notera l’utilisation de la deuxième personne du pluriel : le personnage est désigné par le pronom personnel « vous » et semble ainsi prendre de la distance avec lui-même.
Ce pronom permet une identification confuse du lecteur au personnage, rappelant en cela l’une des aspirations du nouveau roman : rendre le lecteur actif et créateur.
La dimension cinématographique apparaît à travers l’utilisation du point de vue externe : le personnage est ici l’œil-caméra à travers lequel est décrit le compartiment du train.
Cette immersion est favorisée par un point de vue mouvant qui reproduit ce que le cinéma nomme des « effets de caméras ».
Le personnage, et avec lui le lecteur, semblent enfermés dans ce monde clos, suggéré notamment par cette longue phrase (la totalité de l’extrait !) ponctuée de plusieurs virgules.
Pourtant, le texte donne l’impression d’opérer un travelling sur le décor.
L’extrait tente de rendre compte d’une certaine pénibilité du voyage avec un regard en mouvement, balloté par les secousses de la route.
Le début du texte propose en réalité une sorte de plan-séquence qui glisse peu à peu du général au particulier et se rapprochant des personnages pour finir sur des gros plans.
Du train, on passe au compartiment, puis aux voyageurs, et enfin à l’objet que l’un d’eux tient dans sa main.
Le roman La Modification témoigne de l’importance du regard et d’un attachement aux détails dans lequel on retrouve l’influence du cinéma.
Par une distance stylistique, le lecteur voit les images défiler comme sur un écran de cinéma.
L’esthétique cinématographique reflète la vision du monde de l’auteur, celle d’un univers instable et fragmenté dont on ne perçoit que les apparences.
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