Classicisme et jansénisme dans La Princesse de Montpensier
Introduction :
Le XVIIe siècle est l’époque du classicisme, idéal artistique qui correspond à l’apogée d’une évolution. Mais d’autres idéaux ou courants de pensée traversent également le siècle et imposent leur marque aux créations artistiques, dont le mouvement janséniste. La Princesse de Montpensier est de ce point de vue une œuvre emblématique de son époque : on y reconnaît en effet des influences variées, reflets des conceptions artistiques et morales qui se développent alors dans divers milieux.
Après avoir présenté le classicisme et le jansénisme et les avoir replacés dans les cercles où ils ont vu le jour, nous montrerons en quoi et comment ils ont marqué l’imaginaire en œuvre dans La Princesse de Montpensier et le style de la nouvelle.
Le classicisme et la jansénisme
Le classicisme et la jansénisme
Le classicisme
Le classicisme
Il existe peu de romans classiques, le roman étant considéré au XVIIe siècle comme un genre peu noble par opposition au théâtre et plus précisément à la tragédie. Celle-ci est défendue par de grands noms comme Racine et Corneille. C’est pourquoi on a tendance à assimiler littérature classique et théâtre régi par les règles formulées par Boileau (unité d’action, de lieu et de temps). Cependant, de manière générale, l’écriture classique est fondée sur un ensemble de valeurs communes dont certaines sont empruntées à la préciosité mais épurées.
La raison
Comme les héros des romans précieux, les héros et héroïnes classiques sont soumis à leurs passions et celles-ci sont analysées. Mais le but est d’instruire le lecteur et de lui permettre de s’améliorer en se distrayant.
La visée de cette littérature est donc morale.
La mesure
La peinture des passions, même violentes, s’accompagne d’une certaine mesure dans la littérature classique : on évite le pathétique trop lourd, l’étalage des sentiments ; on ne montre pas tout. Au théâtre par exemple, selon la règle de bienséance, on ne montrera pas aux spectateurs les scènes de meurtre qui se dérouleront dans les coulisses.
Il ne faut pas choquer le public.
Le naturel
Il faut ici prendre le terme « naturel » au sens de simplicité et limpidité du langage, par opposition aux complications du style précieux. Mais le « naturel » peut aussi se comprendre au sens de vérité humaine et de vraisemblance.
La vraisemblance
Vraisemblance :
La vraisemblance désigne ce qui, sans être vrai, pourrait l’être, ce qui « fait vrai ».
On évite donc le romanesque outrancier et irréaliste. La vraisemblance, comme la bienséance évoquée plus haut, sont des notions qui correspondent à des critères moraux propres à une époque : par exemple, selon les critères du XVIIe siècle, la fin du Cid de Corneille était invraisemblable car le public d’alors acceptait difficilement de croire qu’une fille puisse épouser le meurtrier de son père.
Le jansénisme
Le jansénisme
Jansénisme :
Le jansénisme est une doctrine théologique qui doit son nom à Cornelius Jansen, évêque d’Ypres, en Belgique, et auteur de l’Augustinus publié en 1640. Ce texte établit les articles de foi janséniste sur la notion de grâce divine : celle-ci, nécessaire au salut de l’âme humaine, est accordée ou refusée par avance, sans que les actions de l’individu ne changent le sort de son âme après la mort.
Cette vision s’oppose à celle des jésuites qui défendent l’idée d’une grâce divine « suffisante », laquelle offre à l’homme ce qui lui est nécessaire pour faire le bien tout en le laissant choisir (c’est le « libre arbitre »).
Le jansénisme est donc une pensée fondamentalement pessimiste qui affirme que la Grâce divine peut être refusée par Dieu, même à des hommes justes. Ce pessimisme marque les œuvres d’écrivains comme La Rochefoucauld, Racine ou Pascal, fervent défenseur du jansénisme dans Les Provinciales. Or madame de Lafayette est une grande amie de La Rochefoucauld qui lui fait également rencontrer Racine. Par ailleurs, elle admire l’œuvre de Pascal. Beaucoup de ses proches ont adhéré à ces idées et certains de ses biographes montrent sa sympathie profonde pour ce mouvement spirituel.
Les éléments jansénistes et classiques de l’œuvre
Les éléments jansénistes et classiques de l’œuvre
Le pessimisme janséniste
Le pessimisme janséniste
L’œuvre de madame de Lafayette est empreinte de cette vision tragique et noire de l’existence. Sa littérature peint les ravages de l’amour qui s’oppose à la vertu et à la raison ; il conduit à la mort ou laisse les êtres dévastés.
Le dilemme tragique et la vraisemblance psychologique
Le dilemme tragique et la vraisemblance psychologique
Dans la littérature classique, le tragique correspond à une situation qui soumet l’homme à une puissance supérieure (Dieu, le destin…). Le dilemme tragique est un choix binaire dans lequel le héros est nécessairement perdant.
La princesse de Montpensier est une héroïne tragique au même titre que les héroïnes des tragédies de Corneille : elle est tiraillée entre sa vertu (et donc son honneur) et son amour. Ainsi, lorsqu’elle apprend que Guise attend sa permission pour venir la retrouver à Champigny, elle pousse un cri et est prise d’« embarras ». Les connecteurs logiques et temporels du texte révèlent bien l’alternance de sentiments contradictoires :
« Son amour lui présenta d’abord la joie qu’elle aurait de voir un homme qu’elle aimait si tendrement. Mais quand elle pensa combien cette action était contraire à sa vertu, et qu’elle ne pouvait voir son amant qu’en le faisant entrer la nuit chez elle, à l’insu de son mari, elle se trouva dans une extrémité épouvantable. »
Si cette volonté de rester fidèle à un mari qu’elle n’a pas choisi peut sembler aujourd’hui dépassée, il faut la replacer dans le contexte de l’époque. Les réactions de la princesse sont donc vraisemblables. Au dilemme tragique s’ajoute l’absence d’émotions trop marquées.
La modération ; l’absence de pathétique
La modération ; l’absence de pathétique
Le style de madame de Lafayette peut sembler froid puisque, conformément à l’esthétique classique, l’auteur raconte des faits et analyse des sentiments mais n’étale jamais la souffrance ni les larmes de ses personnages.
Son but n’est pas de faire pleurer le lecteur mais de le faire réfléchir.
De ce point de vue, la fin de la nouvelle est exemplaire. L’héroïne meurt d’amour mais l’événement est rapporté dans un style lacunaire :
« Elle ne put résister à la douleur d’avoir perdu l’estime de son mari, le cœur de son amant, et le plus parfait ami qui fut jamais. Elle mourut en peu de jours ».
- L’auteur censure l’expression du malheur et du désespoir.
Une autre caractéristique de la littérature classique est de vouloir instruire le lecteur.
Instruire le lecteur
Instruire le lecteur
La princesse est vertueuse mais cède malgré tout à la passion. C’est ce qui provoque sa mort. La nouvelle se veut édifiante.
Édifiant :
Qui exerce une bonne influence morale.
En effet, le destin de la princesse doit enseigner ce qu’il ne faut pas faire, comme le souligne la phrase finale :
« Elle mourut en peu de jours, dans la fleur de son âge, une des plus belles princesses du monde, et qui aurait été sans doute la plus heureuse, si la vertu et la prudence eussent conduit toutes ses actions. »
Enfin, les valeurs classiques s’incarnent particulièrement dans un des personnages de la nouvelle : le comte de Chabannes.
Chabannes, l’honnête homme
Chabannes, l’honnête homme
De tous les personnages de la nouvelle, Chabannes est celui qui incarne à la perfection « l’honnête homme », idéal de l’époque classique. Il est cultivé sans être pédant : c’est lui qui fait de la princesse « une des personnes du monde les plus achevées ».
Il est réfléchi, mesuré et discret : pris de passion pour la princesse, il est capable d’analyser avec sang-froid ce qui se passe sous ses yeux (par exemple, la passion renaissante de la princesse pour Guise) ; il gouverne ses sentiments et cherche toujours à apaiser les situations de conflit. Il est « d’un mérite extraordinaire » et très fidèle en amitié : par tendresse pour le prince de Montpensier, il quitte le clan des protestants qui pourtant « lui faisait espérer des emplois considérables ».
- En un mot, il est « élégant » et représente le sommet de la civilisation.
Conclusion :
La Princesse de Montpensier est donc une nouvelle où se reconnaît l’influence des grands courants de pensée et idéaux artistiques du XVIIe siècle que sont le jansénisme et le classicisme. C’est le dosage harmonieux entre ces différents éléments qui rend le style de madame de Lafayette parfaitement identifiable et constitue un univers romanesque très personnel que l’on retrouve décliné dans toute son œuvre.