Formes et genres de la poésie
Introduction :
La poésie est un genre particulièrement protéiforme, dont les codes et les conventions ont évolué au fil des siècles et des courants littéraires. On peut cependant voir en elle deux grandes catégories : les genres poétiques codifiés, appelés genres fixes et variables, et les genres poétiques plus libres comme le poème en prose ou le poème en vers libres. Les modalités et les caractéristiques de ces catégories poétiques seront vues dans ce cours.
Les genres poétiques fixes et variables
Les genres poétiques fixes et variables
Les poèmes à forme fixe
Les poèmes à forme fixe
Depuis l’Antiquité grecque, on écrit des poèmes en suivant certaines règles formelles. La poésie a évolué à travers ces codes, en conservant certains d’entre eux et en rejetant certains autres.
Forme poétique fixe :
Elle est par définition contrainte. Elle impose au poème un nombre mais aussi un type de strophes et de vers.
Chaque courant littéraire a imposé son lot de contraintes poétiques, qui furent décousues petit à petit par le courant suivant.
Le rondeau
Rondeau :
Originellement chanté, le rondeau vient du mot ronde et implique un retour systématique au refrain mis en exergue. Il est composé de treize décasyllabes ou octosyllabes (vers de dix ou huit syllabes), alternant deux rimes. Cinq sont masculines, huit féminines ou l’inverse.
Le poème intitulé Ma foi c’est fait, de Vincent Voiture, poète du XVIIe siècle, est un rondeau qui explique justement les règles de cette forme poétique :
« Ma foi c’est fait de moi, car Isabeau
M’a conjuré de lui faire un rondeau.
Cela me met en une peine extrême.
Quoi ! treize vers, huit en eau, cinq en ème !
Je lui ferai aussitôt un bateau.
En voilà cinq pourtant en un monceau.
Faisons-en sept en invoquant Brodeau,
Et puis mettons, par quelque stratagème :
Ma foi, c’est fait.
Si je pouvais encor de mon cerveau
Tirer cinq vers l’ouvrage serait beau ;
Mais cependant me voilà dans l’onzième,
Et si je crois que je fais le douzième,
En voilà treize ajustés de nouveau.
Ma foi, c’est fait. »
La ballade
La ballade vient de baller en ancien français qui signifie « danser ». Comme le rondeau, ce poème est donc associé à la danse et évoque le plus souvent les sentiments amoureux du poète.
Ballade :
Elle est constituée de trois strophes de taille égale, faites de huit ou dix vers, rythmées par un refrain (retour du même vers à la fin de chaque strophe). Il se clôt sur une strophe de cinq vers appelée l’envoi, qui reprend les dernières rimes et le refrain.
La ballade la plus connue de la littérature est certainement La Ballade des Pendus de François Villon (1431-1465). Ce poème fait parler les morts pour invoquer la charité chrétienne et le salut divin :
« Frères humains qui après nous vivez,
N’ayez pas vos cœurs durcis à notre égard,
Car si vous avez pitié de nous, pauvres,
Dieu aura plus tôt miséricorde de vous.
Vous nous voyez attachés ici, cinq, six :
Quant à notre chair, que nous avons trop nourrie,
Elle est depuis longtemps dévorée et pourrie,
Et nous, les os, devenons cendre et poussière.
De notre malheur, que personne ne se moque,
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
[…]
La pluie nous a lessivés et lavés
Et le soleil nous a séchés et noircis ;
Pies, corbeaux nous ont crevé les yeux,
Et arraché la barbe et les sourcils.
Jamais un seul instant nous ne sommes assis ;
De ci de là, selon que le vent tourne,
Il ne cesse de nous ballotter à son gré,
Plus becquetés d’oiseaux que dés à coudre.
Ne soyez donc de notre confrérie,
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
Prince Jésus qui a puissance sur tous,
Fais que l’enfer n’ait sur nous aucun pouvoir :
N’ayons rien à faire ou à solder avec lui.
Hommes, ici pas de plaisanterie,
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre. »
Le sonnet
Sonnet :
Il s’agit d’un poème de trois strophes réparties en deux quatrains et deux tercets. Ces tercets ont souvent une unité de sens, on dit alors qu’ils ne forment qu’un seul et unique sizain.
Le vers de prédilection du sonnet est l’alexandrin. Le sonnet se termine souvent par une chute à travers un vers proposant une image forte ou un fin jeu de langage. Dans le sonnet original, les rimes des quatrains sont embrassées et celles des tercets forment une rime plate puis deux rimes embrassées. On peut citer, pour illustrer cette forme poétique traditionnelle, le fameux poème de Ronsard extrait des Sonnets pour Hélène, « Quand vous serez bien vieille » :
« Quand vous serez bien vieille, au soir à la chandelle,
Assise auprès du feu, dévidant et filant,
Direz chantant mes vers, en vous émerveillant :
"Ronsard me célébrait du temps que j’étais belle."
Lors vous n’aurez servante oyant telle nouvelle,
Déjà sous le labeur à demi sommeillant,
Qui au bruit de Ronsard ne s’aille réveillant,
Bénissant votre nom de louange immortelle.
Je serai sous la terre, et fantôme sans os
Par les ombres myrteux je prendrai mon repos ;
Vous serez au foyer une vieille accroupie,
Regrettant mon amour et votre fier dédain.
Vivez, si m’en croyez, n’attendez à demain :
Cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie. »
Au XIXe et au XXe siècles, le sonnet est repris par certains poètes qui jouent de ses contraintes et traditions en proposant des versions plus libres et modernes.
C’est le cas des membres de l’Oulipo, un groupe d’écrivains, de poètes et de mathématiciens fondé en 1960, et dont le nom est en réalité l’acronyme d’Ouvroir de Littérature Potentielle. Voulant explorer les possibilités de la langue et s’amuser avec les contraintes traditionnelles de la poésie, ces artistes déjantés inventent le sonnet dit « irrationnel ».
Sonnet irrationnel :
Il s’agit d’un sonnet à forme fixe, de quatorze vers, dont la structure s’appuie sur le nombre pi. Il est donc fait de cinq strophes composées de 3 – 1 – 4 – 1 – 5 vers, faisant référence à 3,1415 soit les cinq premiers chiffres de $\pi$.
Voici par exemple le premier des 41 sonnets irrationnels de Jacques Bens intitulé « Mélancolique » :
« Je vais donc retrouver mes anciens horizons,
Cette odeur pas perdue des vents et des maisons.
J’ai l’air d’abandonner, mais n’ayez nulle crainte :
Si je quitte Paris, c’est pour le mieux aimer.
On incline à brusquer une banale étreinte.
Mais que vaut cet orgueil qui n’est plus de saison ?
Allez donc réunir le cœur et les raisons.
La ville, en souriant, laisse sa rude empreinte :
Si je quitte Paris, c’est pour vous mieux aimer.
Vous mieux aimer, je ne pouvais y croire, mais
Je vois bien qu’aujourd’hui le présent nous emporte.
Il me faut, pour vous voir, m’éloigner quelque peu.
J’enferme mes regrets, puisque cela se peut,
Après avoir glissé ma clé sous votre porte. »
Les poèmes à forme variable
Les poèmes à forme variable
L’ode et l’élégie sont deux formes typiques du genre de la poésie lyrique.
Ode et élégie :
Ils appartiennent à un genre de poème qui met l’accent sur l’expression des sentiments et des émotions, écrit à la première personne et usant parfois du registre pathétique. Ils traitent le plus souvent des thèmes de l’amour, de la mort, de l’existence ou encore de la nature.
L’ode
Du grec ôdé qui signifie « le chant », l’ode est d’abord un poème accompagné de musique. C’est une forme élevée et noble qui a une visée élégiaque, c’est-à-dire qu’elle est écrite pour célébrer quelqu’un ou quelque chose. Dans l’Antiquité, l’ode servait à encenser les vainqueurs des jeux olympiques.
Ode :
Elle est traditionnellement composée de trois strophes de longueur généralement similaire. Les vers sont de mètres variables, mais sont le plus souvent des octosyllabes.
L’Ode à Cassandre, écrite par Ronsard, est un célèbre exemple d’ode :
« Mignonne, allons voir si la rose
Qui ce matin avait déclose
Sa robe de pourpre au soleil,
A point perdu cette vesprée
Les plis de sa robe pourprée,
Et son teint au vôtre pareil.
Las ! voyez comme en peu d’espace,
Mignonne, elle a dessus la place,
Las, las ses beautés laissé choir !
Ô vraiment marâtre Nature,
Puisqu’une telle fleur ne dure
Que du matin jusques au soir !
Donc, si vous me croyez, mignonne,
Tandis que votre âge fleuronne
En sa plus verte nouveauté,
Cueillez, cueillez votre jeunesse :
Comme à cette fleur, la vieillesse
Fera ternir votre beauté. »
L’élégie
Élégie :
D’origine antique, l’élégie vient du grec elegeia qui signifie « chant funèbre ». C’est un genre consacré à l’expression de la douleur amoureuse et du deuil. Il prend aussi une dimension élégiaque et est employé pour célébrer des personnages de renoms ou des êtres aimés.
Prisé à la Renaissance, l’élégie est remise à la mode par les romantiques au XIXe siècle, puis au XXe siècle par les surréalistes qui en détournent les codes. Guillaume Apollinaire, dans l’élégie Le Pont Mirabeau, traite le thème traditionnel de l’amour perdu à travers un texte sans ponctuation :
« Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Et nos amours
Faut-il qu’il m’en souvienne
La joie venait toujours après la peine
Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure
Les mains dans les mains restons face à face
Tandis que sous
Le pont de nos bras passe
Des éternels regards l’onde si lasse
Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure
[…] »
Les formes poétiques typographiques
Les formes poétiques typographiques
L’acrostiche
Acrostiche :
C’est un poème ludique. En effet, à partir des initiales formées par chaque début de vers, on peut lire un nom ou un mot généralement important pour comprendre le texte ou l’auteur.
Dans l’exemple ci-dessous, l’auteur écrit son propre nom en acrostiche (le J est ici lu comme un I) :
« […]
Vous portâtes, digne Vierge, princesse,
Jésus régnant qui n’a ni fin ni cesse.
Le Tout-Puissant, prenant notre faiblesse,
Laissa les cieux et nous vint secourir,
Offrit à mort sa très chère jeunesse ;
Notre Seigneur tel est, tel le confesse :
En cette foi je veux vivre et mourir. »
François Villon, « Ballade pour prier Notre Dame », Le Testament, 1461
Le calligramme
Calligramme :
C’est une forme typographique de poème inventée par Guillaume Apollinaire au début du XXe siècle. C’est un poème-dessin qui fusionne la forme et le sens du contenu.
Ce type de texte correspond à la volonté des auteurs de l’époque de mélanger les arts entre eux :
« Il pleut », Caligrammes, 1918
Le texte du calligramme est le suivant :
« Il pleut des voix de femmes comme si elles étaient mortes même dans le souvenir
C’est vous aussi qu’il pleut merveilleuses rencontres de ma vie ô gouttelettes
Et ces nuages cabrés se prennent à hennir tout un univers de villes auriculaires
Écoute s’il pleut tandis que le regret et le dédain pleurent une ancienne musique
Écoute tomber les liens qui te retiennent en haut et en bas. »
Apollinaire, « Il pleut », Calligrammes, 1918
Pour évoquer ses souvenirs, le poète joue sur la métaphore filée de la pluie dont on retrouve le champ lexical à chaque vers. le dessin représente également la pluie qui tombe.
- Il y a donc une adéquation poétique entre le fond et la forme.
Les genres poétiques libres
Les genres poétiques libres
À partir du XIXe siècle, la poésie se libère des carcans de la contrainte formelle et s’exprime à travers des formes moins codifiées telles que le poème en vers libres ou le poème en prose, qui laissent le champ libre à la créativité du poète.
Le poème en vers libres
Poème en vers libres :
Apparu au XIXe siècle et répondant à un besoin de modernité, le vers libre n’obéit ni à une forme de régularité, ni à un système de rimes. Les vers libres peuvent ne pas être ponctués et se placent parfois de manière anarchique sur la page. Le caractère poétique d’un tel poème se retrouve particulièrement dans les rythmes, les images et dans les sonorités.
Le poète est alors libre de créer et de donner au lecteur sa propre conception de la poésie. Dans ce poème de Blaise Cendrars intitulé « Îles », on note l’absence de rimes et de régularité métrique :
« Îles
Îles où l’on ne prendra jamais terre
Îles où l’on ne descendra jamais
Îles couvertes de végétation
Îles tapies comme des jaguars
Îles muettes
Îles immobiles
Îles inoubliables et sans nom
Je lance mes chaussures par-dessus bord car je voudrais bien aller jusqu’à vous »
Mais si ces codes habituels du vers régulier et de la rime sont absents, c’est le retour à la ligne, le rythme induit par l’anaphore du mot « îles », la comparaison au cinquième vers et les sonorités en a qui font de ce texte un poème à part entière.
Le poème en prose
Il a été popularisé par Aloysius Bertrand puis par Charles Baudelaire et Arthur Rimbaud au XIXe siècle.
Poème en prose :
Il ne respecte pas le retour à la ligne du vers et se présente sous la forme de simples paragraphes. Il n’y a pas de rimes sinon des jeux de sonorités, de rythmes et de figures de style.
C’est en cela qu’il se distingue d’un texte « normal » :
« Il était nuit. Ce furent d’abord, – ainsi j’ai vu, ainsi je raconte, – une abbaye aux murailles lézardées par la lune, – une forêt percée de sentiers tortueux, – et le Morimont grouillant de capes et de chapeaux. Ce furent ensuite, – ainsi j’ai entendu, ainsi je raconte, – le glas funèbre d’une cloche auquel répondaient les sanglots funèbres d’une cellule, – des cris plaintifs et des rires féroces dont frissonnait chaque feuille le long d’une ramée, – et les prières bourdonnantes des pénitents noirs qui accompagnaient un criminel au supplice. »
Aloysius Bertrand, « Un rêve », Gaspard de la Nuit, 1842
Conclusion :
Des formes musicales médiévales au poème en prose en passant par la rigueur stricte du sonnet, la forme poétique est devenue moins identifiable au fil des siècles. Elle n’est plus tant reconnaissable à l’œil comme pouvaient l’être les formes fixes et variables. Effectivement, la poésie tend aujourd’hui à se fondre dans des écrits moins formels, plus centrés sur des rythmes et des images discrètes ou éclatées.