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L'historien et les mémoires de la guerre d'Algérie
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Introduction :
Depuis le début du XXe siècle, les mémoires collectives défendent des mémoires particulières. Des groupes sociaux interprètent le passé en fonction de leur propre vécu et de leurs propres attentes. L’historien se retrouve confronté à deux « courants » : une histoire qui serait officielle, et des histoires « particulières». L’histoire et les mémoires deviennent donc des enjeux politiques.
Dans le cas de la guerre d’Algérie, le problème est double puisque les deux pays ont fait un cheminement différent devant ces mémoires et cette histoire encore très douloureuse.
De 1962 à nos jours, la France et l’Algérie ont connu différentes approches de cette guerre.
France : de la mémoire occultée aux contestations
Rappels historiques
La France colonise l’Algérie en 1830. C’est une colonie de peuplement et le sol algérien est de droit un sol français. Les trois départements algériens font partie de la République.
L’Algérie n’a jamais accepté cette situation et des troubles ont lieu tout au long de la colonisation. La guerre d’Algérie, point culminant de la révolte, éclate en 1954 et s’achève en 1962.
En France, durant cette période, on ne parle pas de guerre mais de « pacification ».
La mémoire occultée, de 1962 aux années 1980
Après l’indépendance de l’Algérie en 1962, un grand nombre de groupes aux intérêts distincts se trouve en France, chacun ayant une mémoire du conflit différente.
Les plus nombreux sont :
La guerre d’Algérie s’est repercutée sur le sol français de part :
Durant cette période, les harkis ont été totalement ignorés. Les Français d’Algérie ont été mal perçus par un grand nombre de Français et leur intégration fut difficile.
Des sujets sont restés tabous, comme par exemple la torture pratiquée par l’armée française, qui fait l’objet pendant longtemps d’une censure systématique, comme ces oeuvres :
Il n’y avait que peu de lieux de mémoire où se recueillir durant cette période, mis à part le mémorial aux Français d’Algérie et rapatriés d’Aix-en-Provence inauguré en 1965, ou le mémorial de Nice inauguré en 1973.
La FNACA, la Fédération Nationale des Anciens Combattants en Algérie, milite pour la reconnaissance de cette guerre et du titre d’ancien combattant pour tous les militaires appelés en Algérie. Elle milite aussi pour la reconnaissance du 19 mars 1962, la date de la signature des accords d’Évian, comme date de la fin de cette guerre.
La mémoire contestée, des années 1980 aux années 2000
L’histoire de la guerre d’Algérie commence à être évoquée dans les manuels scolaires à partir de 1983.
Les harkis, ces Algériens qui ont combattu aux côtés des militaires français ont été totalement ignorés par la France.
Il fallut attendre 1994 pour qu’une loi reconnaisse leurs sacrifices et stipule que « La République française témoigne sa reconnaissance envers les rapatriés anciens membres des formations supplétives et assimilés ou victimes de la captivité en Algérie pour les sacrifices qu’ils ont consentis. »
De leur côté, les pieds-noirs, avec encore en tête le souvenir douloureux de leur départ forcé du pays, construisent leur mémoire du conflit dans un contexte de montée de l’extrême droite et un discours anti-immigrés et anti-magrébins.
Le film d’Alexandre Arcady Le Coup de sirocco, sorti en 1979, est un film centré sur la société des Français d’Algérie et leur retour en métropole.
Le RECOURS est un ensemble d’associations des rapatriés et spoliés d’Algérie qui mène des actions pour que leur mémoire reste présente et que l’histoire leur rende justice.
En 1985, le journal L’Humanité rappelle ce que fut le drame de la manifestation du 17 octobre 1961 à Paris. L’amnésie prend fin peu à peu, malgré le malaise lié à ces faits extrêmement durs et laissés dans l’oubli pendant deux décennies.
Après les années 2000, une mémoire apaisée et retrouvée ?
La mémoire apaisée
À l’approche de l’an 2000, le contexte a changé et de nombreux événements ont contribué à faire évoluer la situation.
En 1999, le gouvernement français fait voter une loi qui remplace l’expression « opérations effectuées en Afrique du Nord » par « guerre d’Algérie ».
Les militaires qui ont combattu en Algérie ont donc un statut officiel d’anciens combattants, avec tous les attributs qui l’accompagnent : médaille, retraite, et reconnaissance officielle dans les statuts sociaux. Les harkis sont eux aussi inclus dans cette nouvelle loi.
La circulaire gouvernementale de 2001 facilite l’ouverture des archives sur la guerre d’Algérie pour les historiens.
40 ans après la guerre, le problème de la torture ressurgit également dans l’actualité. De nombreux témoignages, dont celui de Louisette Ighilahriz, une militante pro indépendance algérienne, obligent les protagonistes militaires français à se « souvenir ».
Une loi de 2005 sur « les bienfaits de la colonisation française » ranime les passions. Il fallut une nouvelle loi, votée en janvier 2006, pour modifier la loi de 2005 et en changer le langage.
La mémoire retrouvée
À Paris, un mémorial de la guerre d’Algérie fut inauguré en 2003.
Autres symboles forts :
En 2012 à Perpignan un centre de documentation des Français d’Algérie fut ouvert. Les réalisateurs se libèrent et travaillent avec les historiens :
Dernier symbole, le problème de la date pour commémorer la fin de la guerre d’Algérie reste en suspens. Les anciens de l’OAS et les Français d’Algérie refusent la date du 19 mars 1962, date des accords d’Évian.
Algérie : d’une mémoire organisée à une ouverture interrompue par la guerre civile
De 1962 aux années 1980 : une mémoire organisée
En 1962 c’est le FLN, Front de libération nationale, vainqueur de la guerre d’indépendance, qui est au pouvoir. C’est un régime politique socialiste, proche de l’URSS.
Le FLN est un parti unique qui tient sa légitimité par la victoire de l’indépendance. Il organise de manière officielle l’histoire, les mémoires et les commémorations de cette guerre d’indépendance.
Cette guerre prend le nom de « guerre patriotique ».
Le FLN veut montrer que cette guerre a soudé la nation algérienne au-delà des différences entre Arabes, Berbères et Kabyles.
L’armée est aussi mise sur le devant de la scène durant cette période. Le FLN et son bras armé, l’ALN (Armée de libération nationale), sont étroitement liés ; et le pouvoir politique est connecté au pouvoir militaire.
Le pouvoir algérien dénonce les crimes de guerre commis par la France. Il occulte aussi toutes les violences commises par le FLN contre la population civile qui n’adhérait pas à sa stratégie, le massacre des harkis après le départ de l’armée française et les morts français après le 19 mars 1962.
Après 1962, le FLN fait le tri et élimine tous ceux qui ne sont pas d’accord avec la ligne du parti pour le futur de l’Algérie. C’est la période des procès, des peines de prisons et des exécutions.
L’opposant le plus célèbre fut Ben Bella, héros de la guerre d’indépendance, premier président de la République Algérienne, jeté en prison en 1963 par son successeur.
Les monuments français, notamment ceux des deux Guerres mondiales, sont en partie détruits, transformés ou renvoyés en France.
Dans la capitale Alger, de nombreux monuments se dressent pour rappeler au peuple cette guerre d’indépendance.
Des années 1980 aux années 2000 : une ouverture interrompue par la guerre civile.
Le discours officiel et la politique d’arabisation menés par le FLN sont peu à peu remis en cause par des minorités (Berbères, Kabyles) et des opposants politiques au régime.
Les opposants au régime sont systématiquement dénoncés comme traitres à la nation. L’État redouble d’efforts pour entretenir sa vision de la guerre d’indépendance et l’image héroïque du combattant et du martyr de l’indépendance (le moudjahidin) est réactivée.
Mais les temps ont changé. Les Algériens veulent de plus en plus une véritable démocratie. Le pouvoir du FLN et sa mainmise sur la société algérienne sont de moins en moins supportés.
Les crises économiques et sociales de la fin des années 1980 obligent le gouvernement à procéder à des élections libres.
Le FLN annule les élections et décrète l’état d’urgence, suivent dix années de guerre civile sanglante. L’heure n’est plus au consensus, mais le FLN reste au pouvoir et maintient une histoire officielle de la guerre d’indépendance.
Des années 2000 à nos jours : vers un apaisement ?
Après les années 2000, l’apaisement avec la France passe obligatoirement par une histoire et des mémoires apaisées.
La volonté d’apaiser les mémoires et d’écrire une histoire de la guerre d’Algérie est limitée par l’accès difficile aux archives algériennes, qui ne sont pas ouvertes à l’ensemble des historiens.
Autre facteur de tension, un groupe de parlementaires algériens veut criminaliser la colonisation française.
Le président Bouteflika souffle le chaud et le froid dans les relations franco-algériennes sur cette question.
L’ouverture viendra peut-être des intellectuels et universitaires des deux côtés de la Méditerranée. Mohamed Harbi, ancien combattant du FLN, universitaire, a écrit un livre d’histoire sur la guerre d’Algérie en collaboration avec Benjamin Stora, issu d’une famille de rapatriés d’Algérie.
Conclusion :
C’est une histoire très longue qui lie la France et l’Algérie depuis 1830. Le fait colonial est très étroitement lié à la guerre, qui a définitivement creusé un fossé entre les deux communautés.
Du côté de la France, les anciens soldats appelés, les rapatriés, les harkis et les anciens de l’OAS sont autant de groupes, autant de mémoires parfois irréconciliables.
En Algérie, après 30 années de chape de plomb sur cette guerre, les langues se délient, les mémoires surgissent et l’emprise du FLN sur l’histoire officielle diminue.