La Méditerranée, un espace de rencontres et de conflits au Moyen Âge

Introduction :

À la croisée de différentes civilisations, la Méditerranée se présente comme un espace central dans le monde médiéval. Convoitée et redoutée, la mer qui relie les trois continents est l’objet d’échanges multiples entre les cultures islamiques, byzantines et latines. La modification des équilibres politiques entre les Xe et XIVe siècles va porter cet espace au centre des attentions, amenant à des chocs civilisationnels et à une période d’échanges interculturels sans précédent qui vont modifier en profondeur la société médiévale.

Nous allons voir dans ce cours pourquoi la mer Méditerranée est un espace particulièrement riche d’un point de vue civilisationnel au cours de la période médiévale, puis nous verrons comment elle devient un objet de convoitise et de confrontations entre les civilisations.

Une mer à la croisée des civilisations

Depuis la fin du VIIe siècle et le développement de l’islam, les rives sud et est de la Méditerranée sont dominées par la nouvelle religion. En Europe, la chrétienté est divisée en deux civilisations qui se font face : l’Europe latine, qui suit le dogme catholique et la voix du pape, et l’Empire byzantin, de culture grecque et pratiquant le culte orthodoxe. Ces trois civilisations se partagent cet espace à la veille du Xe siècle.

Carte de la Méditerranée au XIe siècle, partagée entre le monde latin, le monde byzantin et le monde musulman - Histoire - 2de - SchoolMouv

La recomposition de l’Europe médiévale

La mer Méditerranée n’a jamais vraiment cessé d’être un espace d’échange entre les peuples. Mais en 476 avec la chute de l’empire romain, l’Europe entre dans le Moyen Âge et des divisions politiques apparaissent. Les Burgondes, les Wisigoths ou encore les Francs fondent des royaumes chrétiens sur les ruines de l’Empire romain.

Le premier souverain à accepter l’alliance avec l’Église est le roi des Francs, Clovis, qui se fait baptiser à Reims en l’an 496. L’union du royaume des Francs et de l’Église permettra à Charlemagne, en 800, d’être couronné empereur par le pape, lui conférant ainsi un pouvoir inédit depuis la chute de Rome.

Jean Fouquet, Sacre de Charlemagne, vers 1455, BNF - Histoire - 2de - SchoolMouv Jean Fouquet, Sacre de Charlemagne, vers 1455, BNF

Les sociétés médiévales accordent beaucoup de place à la religion, qui structure la vie quotidienne des hommes. La foi est un des moteurs de la vie, et sert de guide jusqu’au jugement dernier.

De nombreux villages se structurent autour de monastères, des communautés religieuses dans lesquels les moines et les nonnes s’isolent du reste de la société pour se consacrer à Dieu. Les monastères et les abbayes sont également des lieux de conservation du savoir grâce au travail des moines copistes. Ce sont également des centres économiques puisqu’ils produisent et vendent des marchandises. Cela explique que des bourgs se créent autour d’eux. Ils servent aussi de refuge en cas de famine, de guerre ou d’épidémie.

Représentation de l’abbaye de Cluny par Georg Dehio et Gustav von Bezold, vers 1880 - Histoire - 2de - SchoolMouv Représentation de l’abbaye de Cluny par Georg Dehio et Gustav von Bezold, vers 1880

L’évêque a un rôle très important. Il est le représentant de l’Église dans son diocèse, qui jouit de grands pouvoirs et d’un prestige considérable. Dans la société médiévale, son rôle n’est pas uniquement religieux, il jouit également de pouvoirs seigneuriaux.

En effet, la société du Moyen Âge est féodale, c’est-à-dire qu’elle se base sur une forte division territoriale des royaumes entre plusieurs vassaux : des fiefs (territoires) et leurs habitants, appelés serfs, sont donnés à des seigneurs inféodés (qui n’en avaient pas), qui doivent en retour servir et venir assister autre seigneur plus puissant que lui ou le roi s’il le demande. On parle de relation féodo-vassalique.

Cette division territoriale et politique accentue les conflits militaires internes à chaque royaume. Les différents seigneurs s’appuient sur des chevaliers, une caste de guerriers, pour faire la guerre et agrandir leurs territoires et pouvoirs au détriment de leurs rivaux.
Aux alentours de l’an mille, la violence prend de l’ampleur. D’une part, les gens ont peur d’une fin du monde. D’autre part, les seigneurs se livrent à des guerres privées. La paix de Dieu est donc instaurée lors de Concile de Charroux en 989. Elle consiste à punir par l’excommunication les auteurs de crimes envers les démunis ou les clercs.

Au même moment, l’Église tente de se moderniser par la réforme grégorienne : provenant des monastères, cette réforme tente de placer le pape au centre du pouvoir en occident, en instituant sa supériorité hiérarchique sur les rois et seigneurs.

Un Orient prospère mais agité

En Orient, la civilisation romaine s’est maintenue dans l’Empire romain d’Orient et sa capitale, Constantinople. Bien qu’héritier de l’Empire romain, cet empire s’en distingue par son utilisation exclusive de la langue grecque, et pour ne pas le confondre, il sera par la suite appelé l’Empire Byzantin. Constantinople est alors la ville la plus riche et belle de toute la Méditerranée, avec notamment le bâtiment le plus audacieux de son époque : la basilique Sainte Sophie.

Résolument tourné vers l’Orient et ses richesses, l’Empire byzantin est fortement chrétien, mais sa culture orientale et antique l’éloigne de l’Europe occidentale, qu’il considère comme barbare. Au XIe siècle, une divergence religieuse provoque une scission dans le monde chrétien : le schisme de 1054 divise alors la chrétienté en un monde latin catholique, qui reconnait le pape comme autorité suprême de l’Église, et un monde grec orthodoxe, qui reste fidèle aux traditions religieuses orientales.

Au VIIe siècle, une nouvelle religion apparait en Arabie : l’islam. Son prophète, Mahomet, diffuse à partir de 610 ce nouveau culte à partir des villes saintes de La Mecque et Médine. Ses successeurs, les califes, étendent cet empire sur les terres byzantines.

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À retenir

En quelques décennies, l’islam s’est établi de l’Inde jusqu’à l’Espagne.

Comme le christianisme, cette religion est monothéiste et s’inscrit dans la tradition biblique. Son dieu s’appelle Allah, et les paroles que ce dernier a transmis au prophète Mahomet sont écrites dans le livre saint de l’islam, le Coran. La civilisation islamique se développe en s’inspirant des héritages antiques et crée une culture particulièrement brillante. Les maisons de la sagesse, des écoles où des savants enseignent leur savoir, permettent à cette civilisation de rayonner pendant des siècles.

Dôme du Rocher, Jérusalem - Histoire - 2de - SchoolMouv Une mosquée iconique, chef d’œuvre de l’architecture islamique : le dôme du Rocher, Jérusalem, février 2017 ©Djex93 – CC BY-SA 4.0

Cette civilisation n’est cependant pas aussi unie qu’on le pense, et souffre de nombreuses divisions ethniques (entre Arabes, Perses, Berbères et Turcs), politiques et religieuses. En effet, deux visions politico-religieuses s’affrontent autour de l’héritage du prophète Mahomet : les sunnites et les chiites. Leurs divisions affaiblissent le monde islamique vers l’an Mil, et le mettent à la merci de conquérants étrangers. En effet, à partir du Xe siècle, l’Orient byzantin et islamique est menacé par des migrations des peuples des steppes. Les Turcs au Xe siècle, puis les Mongols au XIIIe siècle vont déferler sur l’Orient et affaiblir ces civilisations.

La Méditerranée, un espace de convoitise

Bien que les différents peuples de l’espace méditerranéen suivent des cultes différents, leurs religions sont toutes monothéistes et se basent sur une approche culturelle commune de Dieu.

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À retenir

Jérusalem apparait comme le point de convergence de ces religions. La « ville trois fois sainte » est l’objet de tensions et de convoitise.

Les croisades, la mise en contact forcée entre les peuples de la Méditerranée

Après une attaque ottomane sur Jérusalem interdisant tout pèlerinage aux chrétiens, le pape Urbain II lance en 1095 l’appel de Clermont : il incite les chrétiens à aller libérer la ville sainte : c’est le début des croisades. La prise de Jérusalem en 1099 permet aux croisés d’établir des États latins en Orient.

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Définition

États Latins d’Orient :

Petits États créés par les croisés en Terre Sainte.

Sur place, ils sont confrontés à un mode de vie oriental et à des pratiques culturelles différentes des leurs. Les efforts des puissances islamiques pour reprendre le contrôle de la ville sainte amènent les Latins à entreprendre plusieurs croisades jusqu’au XIIIe siècle, comme la deuxième croisade, déclenchée en 1146 par le moine Bernard de Clairvaux à la suite de la prise de la ville d’Edesse par les musulmans.
Les croisades sont aussi caractérisées par les crimes et pillages commis sur leur trajet par les croisés, notamment à l’encontre des Juifs. On parle de pogroms.

Carte des Etats Latins d’Orient - Histoire - SchoolMouv - 2de

La vie en Terre Sainte est faite d’un mélange de cultures entre l’Orient et l’Occident. Les mœurs s’adaptent à la diversité des peuples européens qui se joignent aux croisades et aux populations locales. Les échanges marchands vont se nouer avec les villes du Levant pour en ramener de nouveaux produits, comme l’échalote.

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Définition

Levant :

On désigne par « Levant » le Proche-Orient méditerranéen.

En Orient, les savants chrétiens et musulmans échangent et se nourrissent de leurs différences culturelles. Au quotidien, la culture s’hybride entre les peuples et des alliances militaires se nouent entre chrétiens et musulmans.

Après avoir unifié le monde islamique, jusqu’alors divisé, le sultan Saladin reprend Jérusalem en 1187 et en chasse les croisés. Ceux-ci parviennent à se maintenir dans les autres États latins et appellent les rois européens à la rescousse, comme Richard Cœur de Lion, roi d’Angleterre, qui viendra affronter Saladin en Terre Sainte. D’autres souverains se risqueront en croisade, comme Saint Louis, le roi de France, qui sera capturé en Égypte en 1250. Les croisades amènent aussi le déclin de l’Empire Byzantin : en détournant la quatrième croisade sur Constantinople en 1204, les Vénitiens affaiblissent considérablement le monde byzantin, qui ne sera plus capable de résister aux assauts des musulmans. En 1453, les Turcs prennent Constantinople, qui devient Istanbul. Le monde byzantin n’existe plus.

Chronologie des croisades - Histoire - 2de - SchoolMouv

Les autres espaces de contact en Méditerranée

La péninsule ibérique, conquise depuis le début du VIIIe siècle par les musulmans, est un lieu particulièrement riche en ce qui concerne les contacts entre les civilisations islamiques et latines.

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À retenir

Avec une population à la fois musulmane, chrétienne et juive, l’Espagne connait une richesse culturelle sans précédent, comme en témoigne la splendeur de sa capitale, Cordoue, véritable épicentre culturel et artistique de la Méditerranée médiévale.

Grande mosquée de Cordoue - SchoolMouv - Histoire - 2de Grande Mosquée de Cordoue ©Timor Espallargas - CC BY-SA 2.5

Au début du XIe siècle, Cordoue est secouée par le chaos politique et les divisions territoriales laissent la péninsule ibérique en proie à la Reconquista : la reconquête de l’Espagne par les royaumes chrétiens. La prise de Tolède en 1085 permet aux chrétiens de redécouvrir dans les bibliothèques des savoirs perdus. En 1492, Grenade, la dernière ville musulmane en Espagne tombe aux mains des royaumes chrétiens.

La Reconquista - Histoire - SchoolMouv - 2de

Autre espace de contact, la Sicile a été conquise par les musulmans qui en ont chassé les Byzantins dès le IXe siècle. L’île, à la croisée des trois civilisations, s’abreuve des influences culturelles de chaque peuple.

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À retenir

La conquête de la Sicile par les Normands à la fin du XIe siècle permet la mise en place d’un État central en Méditerranée, partageant des traits culturels des trois grandes civilisations.

Les rois siciliens, pratiquant le culte latin, se font représenter comme des souverains byzantins, tout en menant un mode de vie à l’orientale. Parlant aussi bien latin, arabe que grec, le plus illustre d’entre eux, Frédéric II, ira jusqu’à négocier la couronne de Jérusalem au sultan d’Égypte au lieu de combattre, véritable affront pour le pape.

Conclusion :

La mer Méditerranée est un véritable carrefour de civilisation au cours du Moyen Âge. À la croisée des mondes latins, byzantins et islamiques, son contrôle est un enjeu majeur. Deux religions se font face, mais connaissent de profondes divisions intérieures. Au centre des convoitises, Jérusalem cristallise les tensions et amène les Latins à entreprendre les croisades. Entrainant la chute de Constantinople et de l’Empire byzantin, les croisades sont un échec. Elles ne permettent pas aux chrétiens de se maintenir en terre sainte et unifient le monde islamique. Lieux de contact prolongé entre les différentes civilisations et religions, la Sicile et l’Espagne sont cependant le lieu d’un syncrétisme culturel (fusion de cultures différentes) inédit entre Orient et Occident.