Les grands thèmes de la philosophie des Lumières
Introduction :
En 1715 la mort de Louis XIV marque la fin du Grand Siècle, celui du classicisme et de la monarchie absolue. Une nouvelle ère peut alors commencer, pendant laquelle va se développer un important mouvement intellectuel et culturel, incarné par une communauté de « gens de lettres » : les philosophes des Lumières.
Le terme de « Lumières » est une métaphore. Il signifie que l’obscurantisme des siècles précédents va laisser place à la clarté des connaissances rationnelles. Le siècle des Lumières désigne donc le passage d’un monde de superstitions religieuses et de préjugés moraux où règne l’oppression politique, à une société consacrée à l’éducation et aux savoirs, afin d’engager l’humanité sur la voie du progrès, de la liberté et de l’égalité.
Cette transition a rencontré la résistance de ceux qui détenaient le pouvoir, et entendaient conserver leurs privilèges. C’est pourquoi tout ce que publiaient les philosophes de cette période peut être considéré comme une littérature de combat. Le philosophe des Lumières est avant tout un auteur engagé, qui emploie toutes les ressources de la langue pour faire triompher ses convictions.
Pour saisir les différents aspects de cette littérature argumentative du XVIIIe siècle, nous étudierons d’abord la définition de l’homme sur laquelle se construit la philosophie des Lumières. Nous nous intéresserons ensuite aux valeurs que défendent les auteurs de cette période, dans les domaines de la politique, de la morale et de la religion.
Une définition de l’homme : le rationalisme
Une définition de l’homme : le rationalisme
La raison, un attribut partagé par tous les êtres humains
La raison, un attribut partagé par tous les êtres humains
- Depuis l’Antiquité grecque, la lumière a fréquemment servi de symbole à la connaissance, en particulier celle acquise par l’exercice de la raison.
Dans l’allégorie de la caverne, un récit mythique, le philosophe Platon représente les hommes en proie à l’ignorance et aux illusions par des prisonniers enchaînés dans une caverne pleine d’ombres et d’obscurité, tandis qu’à l’extérieur, le soleil, qui représente la vérité, brille et n’est accessible qu’à la pensée rationnelle. En 1697, Pierre Bayle, un des grands inspirateurs de l’esprit des Lumières, reprend ce symbole en écrivant :
« Le prochain siècle sera de jour en jour plus éclairé : en comparaison, tous les siècles précédents ne seront que ténèbres. »
Mais qu’est donc cette connaissance rationnelle, destinée à illuminer le monde ? La raison est avant tout une faculté de l’intelligence, qui guide rigoureusement les hommes sur le chemin de la vérité. Diderot, une des principales figures du siècle des Lumières, écrit :
« Ce qui caractérise le philosophe et le distingue du vulgaire, c’est qu’il n’admet rien sans preuve, qu’il n’acquiesce point à des notions trompeuses et qu’il pose exactement les limites du certain, du probable et du douteux. »
Diderot distingue le philosophe de ce qu’il nomme le vulgaire, c’est-à-dire la masse des individus qui ne se consacrent pas à la philosophie. Mais il ne faut pas s’y tromper : cela ne signifie pas que le vulgaire est dépourvu de raison, mais simplement qu’il ne peut ou ne veut pas en faire usage.
Les Lumières établissent comme vérité première que tous les êtres humains, sans exception, sont doués de cette faculté de penser par eux-mêmes.
Le manque d’éducation, la paresse, la crainte des oppresseurs ou la simple habitude d’obéir rendent difficile la mise en œuvre de cette faculté. Via leurs œuvres, le rôle des philosophes sera d’enseigner au peuple que surmonter ces difficultés est possible et nécessaire.
La raison, un instrument de combat
La raison, un instrument de combat
Les philosophes des Lumières ne sont pas les premiers à affirmer que la raison est présente chez tous les êtres humains. Dès l’Antiquité, Aristote définissait l’homme comme un animal vivant en société et doué de raison. Un siècle avant Voltaire, Rousseau ou Condorcet, Descartes constatait à son tour que le « bon sens », une autre manière de désigner la raison, « est la chose du monde la mieux partagée ». Toutefois, le siècle des Lumières est le premier à faire de cette définition rationaliste de l’homme le point de départ d’un combat intellectuel et politique.
- La raison devient l’arme d’une critique qui vise à changer la société.
Le développement des connaissances devient un instrument d’émancipation des peuples, c’est-à-dire de libération vis-à-vis des pouvoirs autoritaires de l’Église et du monarque absolu. « Ose savoir ! Aie le courage de te servir de ton propre entendement ! » est la devise des Lumières, énoncée en 1784 par le philosophe allemand Emmanuel Kant, dans le livre Qu’est-ce que les Lumières ?
En effet, du courage est nécessaire pour exercer cette pensée personnelle et autonome. À travers elle, aucune institution ni dogme n’est sacré, tout peut faire l’objet d’un examen critique et être mis en cause. En retour, cela provoque évidemment la censure des puissants, les menaces du clergé, parfois l’exil, voire l’emprisonnement. Voltaire, embastillé dans sa jeunesse, et Rousseau, qui a du fuir la France en 1762, en font l’amère expérience.
Les valeurs des philosophes des Lumières
Les valeurs des philosophes des Lumières
Le progrès et l’égalité
Le progrès et l’égalité
Les Lumières défendent donc une certaine vision de l’homme. Elles le définissent comme un être doué de raison, dont la vocation est d’acquérir des savoirs pour penser par lui-même.
Cependant, à quel modèle de société ce libre usage de la raison doit, selon les philosophes des Lumières, aboutir ? Quelles valeurs politiques et morales promeuvent-ils ?
Une première valeur fondamentale réside dans l’idée de progrès. Le libre usage de la raison implique que l’ordre politique et la hiérarchie sociale ne sont plus conçus comme éternels. Plus rien n’est fixé définitivement par la volonté divine ou les décrets de la nature. Comme l’écrit Diderot, « Aucun homme n’a reçu de la nature le droit de commander aux autres ».
Les hommes doivent décider eux-mêmes rationnellement de l’organisation de la société, et construire leur propre histoire.
C’est ce que Condorcet affirme : « Le but de l’instruction n’est pas de faire admirer aux hommes une législation toute faite, mais de les rendre capables de l’apprécier et de la corriger ». Pour reprendre Rousseau, l’homme est perfectible. Il peut s’amender, c’est-à-dire se rendre meilleur, et ainsi améliorer la société elle-même.
- C’est pourquoi les sociétés sont inscrites dans l’Histoire.
Grâce aux progrès de la science et à son application technique, les hommes évoluent vers plus de bien-être et de confort matériel, mais aussi vers une organisation sociale plus rationnelle, où toute autorité illégitime sera abolie. À terme, ce progrès devrait donc permettre à l’humanité de connaître enfin le bonheur.
Un tel progrès permettra également de faire triompher une autre valeur chère aux philosophes des Lumières : l’égalité. La capacité à faire usage de sa raison fonde l’unité du genre humain, puisque tous les hommes détiennent en droit, c’est-à-dire potentiellement, cette aptitude à s’instruire et penser par soi-même. Le développement des savoirs ne doit donc pas apporter le bonheur à quelques privilégiés seulement. Il concerne le bien commun et l’humanité dans sa dimension universelle.
Les philosophes entendent donc abolir le système des privilèges qui régit la société du XVIIIe siècle. À cette époque, la noblesse jouit de nombreux avantages, en termes d’impôts ou d’accès à certaines professions par exemple.
Dans Le Mariage de Figaro, la pièce de Beaumarchais, un monologue met en cause ces inégalités de classes. Imaginant qu’il parle à son maître le comte Almaviva, Figaro s’exclame :
« Parce que vous êtes un grand seigneur, vous vous croyez un grand génie ! … Noblesse, fortune, un rang, des places, tout cela rend si fier ! Qu’avez-vous fait pour tant de biens ? Vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus. »
C’est également à partir de l’idée d’égalité que des philosophes du XVIIIe siècle condamnent la pratique de l’esclavage et prônent son abolition, comme Montesquieu dans De l’esprit des lois, ou Voltaire dans le chapitre 19 de Candide.
La liberté et la tolérance
La liberté et la tolérance
Pour les Lumières, l’égalité est aussi un droit dont les citoyens doivent user activement dans la vie politique. Cette égalité s’accomplit dans la participation à la vie publique, condition d’une autre valeur fondamentale : la liberté politique.
Selon Rousseau, « L’homme est né libre, et partout il est dans les fers ». Naturellement libre à l’origine, l’homme a été privé de cette liberté par les inégalités et les injustices de l’Ancien régime.
D’après Rousseau, la liberté naturelle est perdue à jamais car l’histoire ne revient pas en arrière. Toutefois, les citoyens peuvent retrouver une certaine forme de liberté en élaborant eux-mêmes, grâce à leur raison, les lois auxquelles ils doivent obéir. En effet, dans son traité politique Du contrat social, Rousseau démontre que « l’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté ». En obéissant à la législation que nous avons participé à établir, nous n’obéissons en réalité qu’à nous-même.
- Ce principe de l’horizontalité du pouvoir, d’une souveraineté répartie à l’ensemble du peuple, fonde ce que l’on peut appeler la démocratie moderne.
Ce principe, ainsi que d’autres, se trouve dans le Contrat social, et inspirera les initiateurs de la Révolution de 1789.
Mais cette participation ne peut exister qu’au sein d’un espace public, c’est-à-dire un ensemble de lieux où la parole peut circuler. Se multiplient alors au XVIIIe siècle les salons, les cafés et surtout la presse. Ils permettent d’exprimer et de répandre les nouvelles idées. C’est ainsi que se développe et se renforce l’idée de liberté d’expression, qui va accompagner une autre valeur essentielle pour les philosophes : la tolérance, notamment en matière religieuse.
En effet, les philosophes des Lumières luttent contre l’autorité abusive des hommes d’Église, mais estiment en revanche que tout individu peut choisir et exercer sa foi librement, sans être exposé aux persécutions du clergé dominant. Ainsi, Voltaire s’implique à plusieurs reprises dans des conflits d’origine religieuse, pour défendre des protestants injustement condamnés, lors de l’affaire Calas par exemple.
Conclusion :
En partant d’une définition rationaliste de l’être humain, en quelque sorte héritée des siècles précédents, la philosophie des Lumières élabore plusieurs thématiques liées au principe de base selon lequel les hommes ont la capacité, mais aussi le devoir, de s’instruire et d’utiliser leurs connaissances de manière autonome. Une véritable littérature de combat se construit autour des valeurs qui émanent de ces thèmes philosophiques. Le progrès, l’universalité, le bien commun, l’égalité et la liberté dans la tolérance constituent à la fois les armes avec lesquelles luttent les philosophes du siècle, et les valeurs qu’ils veulent faire triompher contre l’obscurantisme et la tyrannie.
On retrouve ces valeurs dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, comme dans le très célèbre article 1er : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune ».
En observant aujourd’hui notre monde, devons-nous en conclure que les Lumières ont gagné la partie ?