Les récits d’enfance et d’adolescence

Introduction :

Les récits d’enfance sont l’occasion pour l’auteur d’apporter un regard neuf sur le monde. Les adultes peuvent se mettre à la place de l’enfant, et comprendre sa vision du monde. C’est également un moyen de mettre en relief certains aspects, comme la misère, qui est d’autant plus frappante lorsqu’il s’agit d’un enfant.

Nous allons étudier des exemples de récits d’enfance, comme le cas de Cosette dans Les Misérables de Victor Hugo. Puis, nous verrons que le roman peut être écrit du point de vue de l’enfant, ce qui donne l’occasion pour le lecteur d’entrer dans sa peau, à travers l’étude d’un extrait du roman d’Anna Gavalda, 35 kilos d’espoir. Enfin, nous étudierons un extrait de Zazie dans le métro de Raymond Queneau qui nous permettra d’illustrer l’originalité qu’apporte le point de vue de l’enfant au roman.

Le récit d’enfance malheureuse

Le récit d’enfance malheureuse traite de la misère et des déboires des enfants.

On peut citer par exemple Oliver Twist, le roman de Charles Dickens publié en 1838, qui raconte l’histoire d’un orphelin qui subit la maltraitance dans les orphelinats, puis la misère de la rue.

Ce genre de récit est souvent autobiographique.

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Définition

Récit autobiographique :

Un récit autobiographique raconte la vie de l’auteur. Il est écrit à la première personne. L’auteur est donc à la fois le narrateur et le personnage principal de l’histoire.

Par exemple, le roman de Jules Renard, Poil de carotte, publié en 1894 raconte l’histoire d’un enfant mal-aimé par ses propres parents. Dans cet ouvrage, le héros est mal-aimé par sa mère et persécuté parce qu’il est roux.

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Définition

Roman autobiographique :

Genre littéraire qui n’est ni tout à fait un roman (donc une fiction), ni tout à fait une autobiographie. Le héros est un personnage imaginaire dont la vie, racontée à la première personne (je), s’inspire largement de la vie de l’auteur.

Dans le roman Les Misérables, paru en 1862, Victor Hugo dépeint la misère sociale au XIXe siècle à travers les portraits et destins de ses personnages Jean Valjean, Cosette ou encore Gavroche. L’extrait suivant présente Cosette, une petite fille placée chez les Thénardier, un couple cruel.

« Cosette, si jolie et si fraîche à son arrivée dans cette maison, était maintenant maigre et blême. Elle avait je ne sais quelle allure inquiète. Sournoise ! disaient les Thénardier. L’injustice l’avait faite hargneuse et la misère l’avait rendue laide. Il ne lui restait plus que ses beaux yeux qui faisaient peine, parce que, grands comme ils étaient, il semblait qu’on y vit une plus grande quantité de tristesse. C’était une chose navrante de voir, l’hiver, ce pauvre enfant, qui n’avait pas encore six ans, grelottant sous de vieilles loques de toiles trouées, balayer la rue avant le jour avec un énorme balai dans ses petites mains rouges et une larme dans ses grands yeux. Dans le pays on l’appelait l’Alouette. Le peuple, qui aime les figures, s’était plu à nommer de ce nom ce petit être pas plus gros qu’un oiseau, tremblant, effarouché et frissonnant, éveillé le premier chaque matin dans la maison et dans le village, toujours dans la rue ou dans les champs avant l’aube. Seulement la pauvre Alouette ne chantait jamais. »

  • Victor Hugo dresse ici un portrait réaliste de Cosette.
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Définition

Réalisme :

Le réalisme est un courant littéraire du XIXe siècle qui tend à décrire le réel dans sa vérité nue, au moyen de descriptions, même si elle n’est pas esthétique.

On peut noter de nombreux détails dans la description physique de la fillette. L’auteur compare la fillette entre le moment de son « son arrivée dans cette maison » et « maintenant » afin d’amplifier le portrait pathétique de Cosette.

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Définition

Pathétique :

Le registre pathétique permet de faire ressentir de la pitié au lecteur.

Elle était donc « jolie et fraîche », elle est à présent « maigre et blême » et a « une allure inquiète ». Victor Hugo évoque également ses « beaux yeux ». Il peint ensuite une scène réaliste des plus pathétiques, on voit la fillette « qui n’avait pas encore six ans, grelottant sous de vieilles loques de toiles trouées, balayer la rue avant le jour avec un énorme balai dans ses petites mains rouges et une larme dans ses grands yeux ». La scène ainsi décrite est émouvante.

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À retenir

L’auteur marque les esprits en fixant cette image dans la tête du lecteur qui s’imagine aisément Cosette.

Cela dénote la misère dans laquelle elle se trouve. Le contraste marqué par les antithèses entre l’« énorme balai » et « ses petites mains rouges » ou le fait qu’elle « n’avait pas encore six ans » et « les vieilles loques » est saisissant, amplifiant toujours le pathétique de la scène.

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Définition

Antithèse :

Une antithèse est l’association de deux idées contraires dans la même phrase.

La référence à la larme dans les « grands yeux » de Cosette achève de convaincre le lecteur de la tristesse et de la misère qu’endure Cosette. Victor Hugo utilise la comparaison à l’alouette afin d’amplifier encore le pathétique. La fillette était en effet surnommée l’Alouette en référence à son côté frêle, farouche mais aussi parce qu’elle était debout avant tout le monde. Mais à la différence de l’alouette la petite fille « ne chantait jamais », précise l’auteur, ce qui illustre le malheur de Cosette.

Les conditions de vie terribles de la petite fille sont également accentuées par le champ lexical de la misère, Victor Hugo emploie en effet les termes « misère », « vieilles loques », « toiles trouées ». Il évoque aussi la fragilité de l’enfant à travers les expressions « maigre et blême », « qui n’avait pas six ans », « grelottant », « mains rouges », « tremblant, effarouché et frissonnant ». Enfin, on retrouve le champ lexical du malheur, avec les termes « peine », « tristesse », « navrante », « pauvre enfant » et « larme » qui affirme le destin tragique de la fillette.

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À retenir

Victor Hugo présente donc une héroïne fragile, qui touche le lecteur par son courage et son sort particulièrement tragique.

Mais l’auteur peut également avoir recours au point de vue interne afin de se glisser dans la peau de l’enfant.

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Définition

Point de vue interne :

On parle de point de vue interne lorsque le récit est fait à la première personne (je) et donc lorsque le narrateur est interne (lorsqu’il est un personnage de l’histoire)

Le point de vue de l’enfant

Anna Gavalda propose, dans son roman 35 kilos d’espoir, une plongée dans l’adolescence. Le narrateur est Grégoire, un élève de 6e ayant redoublé deux fois. Il n’aime pas l’école et préfère inventer des choses, réparer et bricoler. Grâce à son grand-père, bricoleur lui aussi, Grégoire va apprendre à grandir, et mener des combats difficiles.

« L’école, c’est toujours le drame à la maison, vous pouvez imaginer… Ma mère pleure et mon père m’engueule, ou alors c’est le contraire, c’est ma mère qui m’engueule et mon père qui ne dit rien. Moi, ça me rend malheureux de les voir comme ça, mais qu’est-ce que je peux faire ? Qu’est-ce que je peux leur dire dans ces cas-là ? Rien. Je ne peux rien dire parce que si j’ouvre la bouche, c’est pire que tout. Eux, ils ne trouvent qu’une chose à répéter comme des perroquets :
“Travaille !”
“Travaille !” “Travaille !” “Travaille !”
“Travaille !”
D’accord, j’ai compris. Je ne suis pas complètement crétin, quand même. Je voudrais bien travailler ; mais l’ennui, c’est que je n’y arrive pas. Tout ce qui se passe à l’école, c’est comme si c’était du chinois pour moi […] Moi je sais très bien ce que j’ai, il suffit de me le demander. Je n’ai pas de problème. Je n’en ai aucun. C’est juste que ça ne m’intéresse pas.
Ça ne m’intéresse pas. Point à la ligne. »

Anna Gavalda se met ici à la place d’un élève de 6e. On peut le constater en premier lieu grâce au marqueur de l’énonciation : le pronom personnel « je ».

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Définition

Énonciation :

L’énonciation est le fait de produire un discours. La situation d’énonciation précise qui parle, à qui et dans quelles circonstances (où et quand).

L’emploi que fait Anna Gavalda du registre familier contribue également à prouver que le narrateur est un enfant. En effet, les termes comme « engueuler » ou les tournures de phrases telles que « je ne suis pas complètement crétin, quand même » ou bien encore « c’est comme si c’était du chinois pour moi », permettent de deviner que c’est Grégoire qui s’exprime.

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Définition

Registre familier :

Il est utilisé principalement à l’oral, avec des personnes que l’on connaît bien. Il fait appel à du vocabulaire abrégé (un dico, le ciné), argotique ou populaire. Les phrases sont parfois incorrectes (oubli de la négation, phrases interrogatives mal formulées…) Il existe aussi les registres courant et soutenu.

Il évoque son mal-être face à son échec scolaire. Les phrases interrogatives permettent d’illustrer sa réflexion : Grégoire se demande ce qu’il peut changer pour faire évoluer la situation.

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À retenir

L’adolescent est désespéré mais il affirme également son opinion.

L’emploi du double pronom personnel « moi je » affirme que Grégoire sait mieux que personne ce qu’il en est de sa situation. La succession de phrases déclaratives brèves insiste sur le fait que l’enfant est sûr de lui et suggère qu’il souhaiterait qu’on lui donne la parole ou qu’on l’écoute. La répétition de la phrase « ça ne m’intéresse pas » souligne le « problème » qui n’en est pas un selon Grégoire. Celui-ci souhaiterait simplement clore le débat avec un « point à la ligne », comme il le fait lorsqu’il écrit.

Le roman d’Anna Gavalda permet aux jeunes lecteurs de s’identifier à Grégoire, qui peuvent ainsi découvrir les solutions qui s’offrent à eux mais aussi apprendre à exprimer leur mal-être. Le lecteur adulte, quant à lui, prend conscience que le point de vue de l’adolescent doit être pris en compte, même s’il peut être parfois difficile à comprendre voire dérangeant.

Un point de vue subversif

Au-delà de la simple identification au héros, le roman qui met au cœur du récit un enfant peut se faire subversif.

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Définition

Subversif :

L’adjectif subversif signifie qui menace l’ordre établi, qui remet en question.

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À retenir

Le point de vue de l’enfant peut parfois être déroutant pour les adultes.

Dans Zazie dans le métro, roman publié en 1959, Raymond Queneau propose une œuvre aux multiples facettes, extrêmement moderne. Il met en scène une fillette prénommée Zazie qui rend visite à son oncle Gabriel à Paris. Le récit prend des allures de roman d’apprentissage et d’épopée relatant des aventures improbables d’où la fillette sort grandie.

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Définition

Roman d’apprentissage :

Le roman d’apprentissage est un roman dans lequel le héros, mais aussi le lecteur, grandissent en passant par des aventures formatrices.

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Définition

Épopée :

L’épopée est une œuvre qui relate des faits guerriers marquants et des aventures extraordinaires avec de l’action.

L’extrait suivant est un dialogue entre Gabriel, Zazie et Marceline, la femme de Gabriel. L’enfant explique qu’elle voudrait être institutrice et expose les raisons de son choix.

« - Alors ? pourquoi que tu veux l’être, institutrice ?
- Pour faire chier les mômes, répondit Zazie. Ceux qu’auront mon âge dans dix ans, dans vingt ans, dans cinquante ans, dans mille ans, toujours des gosses à emmerder.
- Eh bien, dit Gabriel.
- Je serais vache comme tout avec elles. Je leur ferai lécher le parquet. Je leur ferai manger l’éponge du tableau noir. Je leur enfoncerai des compas dans le derrière. Je leur botterai les fesses. Parce que je porterai des bottes. En hiver. Hautes comme ça (geste). Avec des grands éperons pour leur harder la chair du derche. »

On peut constater la modernité de ce texte, tant sur le fond que sur la forme.

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Définition

Fond :

Le fond d’un discours désigne son sens, son contenu.

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Définition

Forme :

La forme d’un discours désigne la façon dont il est présenté et les artifices dont use l’auteur pour le mettre en valeur.

En premier lieu, l’emploi d’un registre de langue très familier interpelle le lecteur. On peut notamment relever des termes tels que « mômes », « faire chier », « emmerder » ou « derche ». On peut aussi relever des tournures de phrase telles que « ceux qu’auront mon âge », où l’emploi du pronom « qui », qui est contracté comme cela peut se faire à l’oral.

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À retenir

Les phrases des personnages sont en effet calquées sur l’oralité.

L’auteur utilise des phrases nominales comme « En hiver. Hautes comme ça. » Cela donne un effet vivant et réaliste au dialogue.

Le fait qu’une enfant parle ainsi est également étonnant. Cela va à l’encontre de l’image de la fillette et surprend le lecteur. Il y a donc un décalage entre ce que l’on attendrait d’une fillette de l’âge de Zazie et son langage.

De plus, les raisons évoquées par Zazie lorsqu’elle justifie son choix de métier sont surprenantes et même effrayantes à première vue.

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À retenir

La fillette fait en effet preuve de violence dans les arguments avancés. Elle dit vouloir être institutrice afin d’abuser de son pouvoir d’autorité et pour justifier des actes sadiques.

Elle l’explique en effet : « Je serai vache comme tout avec elles. Je leur ferai lécher le parquet. Je leur ferai manger l’éponge du tableau noir. Je leur enfoncerai des compas dans le derrière. Je leur botterai les fesses. » L’emploi du futur de l’indicatif permet de projeter le récit dans un avenir où la fillette serait institutrice. Elle raconte ce qu’elle ferait subir à ses élèves.

En réalité, cela ne fait que refléter la cruauté des enfants, même si cela est énoncé de façon brutale, et amplifié par le recours au langage familier. Le lecteur est ainsi d’autant plus troublé par le personnage de la fillette.

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À retenir

Queneau propose donc la vision d’un enfant atypique et érige le langage familier en langue romanesque. Le point de vue de Zazie est pris en compte et écouté même s’il est perturbant.

Conclusion :

Le roman met au cœur de son récit l’enfant afin de témoigner d’une enfance difficile mais aussi parce qu’il permet de faire ressentir de vives émotions au lecteur qui se prend d’affection pour lui.

Mais l’auteur qui raconte le point de vue de l’enfant souhaite aussi révéler l’enfance. En effet, les adultes semblent parfois avoir oublié ce que c’est que d’être un enfant. Le roman permet alors d’accéder à ce monde perdu. Cependant le voyage peut être déroutant. Comme avec Zazie, le lecteur peut être perturbé par la cruelle franchise du personnage. Le passage par l’enfance, à travers le récit, ouvre les yeux du lecteur adulte et lui permet de se remettre en question.