Culture et morale
Introduction :
Les membres d’une culture partagent les mêmes valeurs morales. L’État français s’est séparé de l’Église en 1905, mais elle exerce encore une grande influence sur notre culture. On parle d’héritage culturel. Notre culture de la citoyenneté remonte à l’Antiquité grecque. Nous sommes aussi associés à une région précise, avec ses traditions. La culture régionale a d’ailleurs de plus en plus d’importance. Parallèlement, la création de l’UE a fait émerger la culture européenne. Vivre en France, c’est donc appartenir à toutes ces cultures à la fois, même sans le vouloir.
Les flux de population influencent aussi la culture. Les pays européens ont plusieurs fois eu recours à l’immigration pour trouver des ouvriers. Des communautés venues d’Asie ou d’Afrique vivent aujourd’hui en Europe et y ont apporté leur propre culture. Les religions sont une autre influence culturelle, surtout les trois majoritaires en Europe. Enfin, la mondialisation achève de brouiller les pistes de notre appartenance culturelle en proposant un mode de pensée global.
La cohabitation de nombreuses cultures pose tout de même quelques problèmes. Chacune a sa propre morale, qui est parfois radicalement opposée à celle d’une autre. Cela provoque alors des tensions et des conflits. Cette somme de cultures est problématique pour l’individu. De laquelle doit-il se réclamer ?
- Celle où il est né ?
- Celle qui lui plaît ?
- La plus influente ?
Et a-t-on seulement besoin d’appartenir à une culture ?
La problématique qui émerge est alors la suivante : quelle place devons-nous accorder à la culture au quotidien? Pour répondre à cette question, nous expliquerons en première partie ce qu’est l’appartenance à une culture. Nous verrons ensuite que poussé à l’extrême, ce sentiment d’appartenance peut nous enfermer dans notre particularité culturelle. Cela doit absolument être évité, car c’est le repli de chacun sur sa culture qui génère des conflits. En troisième partie, nous apprendrons alors que la solution est de se cultiver, et que nous en avons le devoir.
L’appartenance culturelle
L’appartenance culturelle
Culture au sens sociologique
Culture au sens sociologique
Culture :
Au sens sociologique, la culture désigne les pratiques matérielles et spirituelles de la société dans laquelle nous naissons.
Parler de culture au singulier est trompeur car il existe en fait une infinité de cultures.
Quoique nous fassions, nous appartenons à un groupe. Par exemple, lorsqu’on est élève, il existe des habitudes, des obligations, des loisirs, des goûts, un code vestimentaire et même un langage propres à ce groupe. Tous ces éléments constituent une culture. être élève est donc une identité socioculturelle. Mais ce n’est pas tout. On peut faire de la musique, un sport, être croyant, athée. Dans chaque cas, on appartient à un groupe, et à la culture qui y est associée.
Chacun de nous est composé de plusieurs cultures.
Les cultures humaines sont nombreuses, et peuvent être très différentes. Par exemple, l’art japonais n’obéit pas aux mêmes codes que l’art français ou britannique. La religion chrétienne est différente de la religion musulmane. Il en va de même pour les valeurs et les principes moraux. Pour un japonais, regarder quelqu’un de plus âgé dans les yeux est très déplacé, alors que c’est un signe de politesse en France.
Nos pratiques culturelles sont des signes de reconnaissance qui nous lient aux autres membres de notre culture. Elles s’apprennent et se transmettent de génération en génération. C’est l’éducation et la socialisation qui permettent aux individus d’intérioriser les pratiques culturelles.
« Cultiver » vient du latin colere qui signifie « entretenir, prendre soin de ».
Nos parents les premiers font notre culture en s’occupant de nous. Leur ambition est de faciliter notre intégration dans la société. Pour cela, ils utilisent naturellement des repères immobiles, et identiques pour tous. Dès notre naissance, nous sommes donc immergés dans la culture. La langue que nous parlons, les coutumes religieuses en sont des composantes. Nos parents pratiquent ces comportements culturels, et nous les transmettent plus ou moins consciemment. Sans la conservation et la transmission des pratiques culturelles et des savoirs, le lien social serait impossible dans une société.
Un besoin naturel
Un besoin naturel
C’est en effet l’appartenance à une même culture qui permet la création de lien social entre ses membres.
Cette socialisation implique que l’individu réceptionne ce qui lui est transmis sans le remettre en question.
Le cadre culturel est un besoin naturel qui nous permet de nous sentir en sécurité, et d’échanger avec le groupe social. Celui qui ne rejoint aucun groupe social court le risque d’un isolement, ce qui est contraire à la nature de l’Homme. L’appartenance sociale apparaît donc indispensable au développement du sujet. Plus encore, la multiplication du nombre d’individus croyant à la même chose permet la survie d’une ethnie.
L’enfermement dans notre particularité culturelle
L’enfermement dans notre particularité culturelle
L’idéologie du repli culturel
L’idéologie du repli culturel
Néanmoins, il faut se méfier de notre culture propre. Il est certain qu’un attachement à notre culture d’origine est indispensable. Mais s’il devient exclusif, cet attachement n’est pas souhaitable du point de vue moral.
Certaines idéologies valorisent un attachement exclusif aux racines. Cette exclusivité est problématique, car elle interdit ne serait-ce que de se renseigner sur les autres hommes, qui sont jugés comme inférieurs. Les exemples sont nombreux, et le plus connu est le nazisme. Pour Hitler, l’allemand a un devoir d’attachement exclusif à sa nation et à la prétendue race aryenne. Ce repli culturel est devenu obsessionnel, et a conduit à l’extermination d’individus d’autres cultures, ou ayant d’autres appartenances politiques comme les juifs, les tziganes et les communistes.
Aller jusqu’à la négation voire la destruction d’une autre culture, et revendiquer son identité culturelle peut dériver vers d’autres formes de violences. Les plus communes sont l’incompréhension, le mépris ou la dévalorisation.
Le choc des cultures
Le choc des cultures
Dans certaines parties d’Asie, on mange du chien. Cela peut provoquer en nous de l’incompréhension, voire de l’indignation. Il s’agit pourtant d’une coutume en Asie, tout comme nous mangeons de la vache en France. Cela choque d’ailleurs les Indiens.
Notre réaction première révèle que nous acceptons exclusivement le principe moral et philosophique qui commande de ne pas manger de chien. Le fait qu’une autre culture le fasse nous indigne : comment un animal domestique, qui manifeste autant de fidélité à l’égard de l’homme, peut-il finir dans une assiette ?
Il est cependant naturel d’éprouver de la difficulté, voire de l’incapacité à accueillir certaines coutumes étrangères. La raison est simple. Nous sommes exclusivement attachés à nos valeurs parce qu’elles nous semblent naturelles, normales et devraient donc s’appliquer à tous les hommes. Sauf que nous ne sommes pas le centre du monde. Nos valeurs sont la norme pour nous, mais elles ne sont pas plus naturelles ni normales que celles des Chinois. Condamner une pratique culturelle parce qu’elle est différente de la notre est contestable du point de vue moral, même si c’est notre réflexe le plus commun.
La morale nous incite à respecter les autres dans leur différence, et non à vouloir les conformer à des valeurs qui, pour eux, n’ont pas de sens.
L’ethnocentrisme
L’ethnocentrisme
La valeur des cultures selon Levi-Strauss
En 1952, dans l’essai Race et histoire, l’ethnologue Claude Levi-Strauss écrit :
« ‘‘Habitudes de sauvages’’, ‘‘cela n’est pas de chez nous’’, ‘‘on ne devrait pas permettre cela’’, autant de réactions grossières qui traduisent ce même frisson, cette même répulsion, en présence de manières de vivre, de croire ou de penser qui nous sont étrangères… ».
Claude Levi-Strauss, Race et histoire, 1952
Il appelle ce rejet l’ethnocentrisme.
Ethnocentrisme :
L’ethnocentrisme est l’incapacité pour un homme appartenant à une culture de considérer les autres cultures avec la même légitimité et le même respect.
Les Indiens d’Amérique par exemple, découverts par Christophe Colomb en 1492, ont été étudiés par les savants de l’époque, et classés comme sous-hommes. Sous ce prétexte, ils ont été exterminés et colonisés par les Espagnols. Leur différence culturelle était considérée comme un outrage au christianisme et aux bonnes mœurs. Pour les colons, le fait que le « sauvage » n’ait aucun intérêt pour l’or était une preuve manifeste de son animalité.
Voici donc ce qu’il faut retenir : lorsque notre culture devient l’unique référence à partir de laquelle nous jugeons toutes les autres, l’humanité est en danger.
Nous ne devons donc pas appartenir exclusivement à notre culture. Tout en y étant attaché, nous devons considérer la diversité culturelle avec bienveillance. Pour cela, nous avons le devoir de nous cultiver et d’ouvrir notre esprit.
Le devoir de se cultiver
Le devoir de se cultiver
L’émancipation intellectuelle
L’émancipation intellectuelle
La culture au sens philosophique
Au sens philosophique, la culture, c’est l’humanisme.
Humanisme :
L’humanisme est la volonté de se cultiver et s’instruire de tout ce qui existe dans le monde, aussi incompréhensible ou contraire à nos valeurs que cela puisse paraître.
L’utilité de l’école et de l’instruction est souvent vue comme uniquement pragmatique. Il est considéré que faire des études permet d’accéder à un métier, qui permet de vivre. Néanmoins, d’un point de vue moral, se cultiver est beaucoup plus important. Nous pourrions même aller jusqu’à parler de devoir d’instruction.
Se cultiver demande un effort
Se cultiver, c’est faire l’effort d’acquérir des savoirs variés qui ouvrent l’esprit.
L’Homme doit être capable de s’émanciper des valeurs et des coutumes de sa propre culture.
Il ne doit pas y être aveuglément et exclusivement attaché, ni soumis.
La lecture, les voyages ou les rencontres avec des personnes différentes permettent de nous libérer du préjugé qui considère notre culture comme la seule valable, et la norme pour juger les autres. Se cultiver permet de dépasser l’étroitesse de ce point de vue, et de s’ouvrir à l’autre, aussi différent de nous soit-il.
Finalement, cultiver son esprit signifie sortir de soi pour aller vers l’autre.
Le devoir de se cultiver par respect de la personne
Le devoir de se cultiver par respect de la personne
La valeur des cultures selon Kant
Kant, philosophe des Lumières, a montré que quelque soit son origine culturelle, l’homme a un point commun avec les autres : la dignité. Nous avons alors le devoir de respecter n’importe quel autre être humain :
« Je ne puis refuser tout respect à l’homme vicieux lui-même, comme homme car, en cette qualité du moins, il n’en peut être privé, quoiqu’il s’en rende indigne par sa conduite… Là est le fondement du devoir de respecter les hommes […] on ne flétrira pas leurs erreurs sous le nom d’absurdités, de jugements ineptes etc. Mais on supposera plutôt qu’il doit y avoir dans leurs opinions quelque chose de vrai et on l’y cherchera ».
Kant, Métaphysique des mœurs, 1756
Selon Kant, même les idées les plus éloignées des nôtres ont une justification. Et l’homme doué de raison doit la trouver. Se cultiver, c’est donc faire à la fois un effort intellectuel et moral. Cet effort est nécessaire car au quotidien, rien ne nous pousse à nous tourner vers des cultures étrangères et à les respecter.
C’est pour cela que Kant parle de « chercher » ce qu’il y a de vrai dans l’opinion de l’autre. Pour lui, l’homme éclairé, l’humaniste, a le devoir de faire cet effort car il garantit le respect de l’homme.
Le respect de l’autre
Le respect de l’autre
Respecter l’autre dans son originalité, aussi incompréhensible soit-elle, permet de préserver sa dignité. Fondamentale, la dignité est la marque de la personne humaine. Chaque fois qu’on se trouve face à un être humain, quelque soit son appartenance culturelle, on doit faire abstraction de ses particularités pour ne voir que ce qui nous est commun, à savoir qu’il est une personne avec une dignité. On lui doit le respect autant qu’on le doit à soi-même car, en tant que personne, notre valeur est identique. L’homme a donc le devoir moral de cultiver et de transmettre le respect et la dignité de la personne humaine. Nous devons avant tout nous accorder sur nos valeurs morales communes, qui existent bel et bien, et non sur les écarts culturels.
Conclusion :
Nous naissons dans une culture qui nous forme malgré nous. Les pratiques, les mœurs et les valeurs sont un cadre nécessaire à la construction de notre identité. Néanmoins, un rapport d’exclusivité avec sa culture dégénère en repli, et conduit l’homme à discriminer les cultures qui sont différentes de la sienne. La philosophie permet de prévenir ce conditionnement culturel.
L’individu a le devoir d’utiliser sa raison pour lutter contre l’ethnocentrisme. Par ailleurs, il doit considérer les différences avec un a priori positif, et chercher ce qu’elles contiennent comme vérités. Seule cette attitude assure la paix entre les cultures.