Argumenter au XVIIIe siècle

Introduction :

Les auteurs des Lumières ont défini et transmis au public lettré de leur époque différentes valeurs politiques et morales. Pour cette communauté d’intellectuels, composée de philosophes, de savants et d’artistes, l’usage de la raison et le progrès des sciences doivent favoriser l’apparition d’une nouvelle société. Celle-ci doit être plus juste, fondée sur l’égalité, la tolérance et la liberté.

L’objectif principal des Lumières est donc de combattre les privilèges de classe, les superstitions entretenues par l’Église, et l’oppression du peuple qui en résulte. C’est à travers les multiples ressources de la littérature argumentative que les grandes figures du siècle des Lumières vont s’unir pour atteindre cet objectif.

On appelle littérature argumentative ou engagée une vaste catégorie de textes qui défendent des opinions et affirment des convictions sur la société, les mœurs et l’organisation politique. Cette littérature veut permettre aux idées de progresser et d’évoluer au profit du plus grand nombre. Mais la littérature argumentative ne constitue pas un genre en tant que tel. Elle désigne la multitude de moyens dont dispose un auteur pour construire une œuvre engagée, pour exprimer ses idées.

Roman, poésie, théâtre, essai… Un écrivain peut utiliser toutes les formes littéraires pour critiquer la société et proposer des théories nouvelles et différentes des pensées admises. C’est ce que les philosophes des Lumières ont fait, en mettant tous les genres et formes littéraires dont ils disposaient au service de leurs combats.

Nous étudierons d’abord les œuvres non fictionnelles, comme les essais et traités philosophiques. Nous nous intéresserons ensuite à l’Encyclopédie, l’œuvre collective la plus importante du XVIIIe siècle. Enfin, nous aborderons les œuvres de fiction, comme les romans et les contes philosophiques.

Les œuvres non fictionnelles : essais et traités philosophiques

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Définition

Œuvre argumentative non fictionnelle :

Une œuvre argumentative est dite non fictionnelle quand elle n’utilise pas la fiction pour exposer des idées, et rallier les lecteurs aux causes qu’elle défend.

L’auteur d’une telle œuvre n’a donc pas recours à la narration d’une histoire inventée, ni à des personnages imaginés. Il s’adresse directement à son lecteur.

  • On parle alors d’argumentation directe.

L’auteur d’une œuvre argumentative non fictionnelle parle clairement en son nom. Il expose et organise ses arguments pour défendre ses idées et ses convictions. Le lecteur sait que les opinions exprimées dans le texte sont celles de l’auteur.

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À retenir

L’argumentation directe est employée dans différents genres littéraires qu’il ne faut pas confondre.

Citons par exemple l’essai, la lettre ouverte, ou le traité philosophique. On peut distinguer ces genres grâce aux procédés stylistiques utilisés par l’auteur pour amener le lecteur à adopter son point de vue. Ainsi, certaines œuvres cherchent à persuader, alors que d’autres veulent plutôt convaincre.

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Définition

Persuader :

La persuasion est une forme de séduction. Pour plaire au lecteur et en quelque sorte le charmer, l’œuvre qui veut persuader puise dans les ressources de la langue, la beauté du style et la variété des registres. L’auteur cherche à susciter des émotions, à éveiller des sentiments.

  • L’essai utilise beaucoup ces procédés. Le Dictionnaire philosophique de Voltaire, par exemple, est un recueil de petits essais qui suscitent tantôt le rire, tantôt l’indignation, selon l’utilisation d’un registre ironique ou plutôt polémique.
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À retenir

C’est à travers de telles émotions que Voltaire parvient à faire admettre la légitimité de son combat.

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Définition

Convaincre :

Pour convaincre, l’auteur expose ses arguments via un enchaînement rigoureux et logique. Il ne fait plus appel aux sentiments, mais à la raison du lecteur. Celui-ci est amené à reconnaître la vérité de la thèse défendue du fait de la validité du raisonnement, qui apparaît comme objectif, c’est-à-dire logiquement fondé.

Dans cet ouvrage, la nécessité de séparer les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire est très rigoureusement exposée. Ceci afin que l’autorité politique ne soit pas concentrée dans les mains d’un seul souverain, et que le despotisme soit évité. Cette volonté de rigueur se retrouve dans la fameuse Encyclopédie, que nous allons à présent étudier.

L’exemple de l’Encyclopédie

L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert est sans doute l’entreprise intellectuelle la plus ambitieuse et la plus importante du XVIIIe siècle. Les grands philosophes des Lumières ont tous participé à sa rédaction.

  • Diderot a organisé la publication des volumes, et écrit de nombreux articles sur les arts et la littérature.
  • D’Alembert, mathématicien et astronome, s’est occupé de la partie scientifique.
  • Voltaire, Rousseau, Montesquieu, Condillac et bien d’autres, font aussi partie des 250 contributeurs que compte l’Encyclopédie.

Alt Couverture de l’<em>Encyclopédie</em> Couverture de l’Encyclopédie

La publication de l’Encyclopédie est répartie sur vingt-et-un ans, de 1751 à 1772. En tout, elle a demandé plus de vingt-sept ans de travail à Diderot et d’Alembert, qui ont dirigé cette œuvre collective d’un bout à l’autre.

L’Encyclopédie compte dix-sept volumes de traités théoriques et onze volumes d’illustrations techniques. Ces illustrations démontrent l’importance que les Lumières accordent à la dimension pratique des connaissances, à l’expérimentation scientifique et aux procédés mécaniques, qui sont en plein essor.

Alt Une planche d’illustration de l’Encyclopédie : une chambre obscure Une planche d’illustration de l’Encyclopédie : une chambre obscure

L’intérêt pour la technique se retrouve dans le sous-titre de l’Encyclopédie : Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers.

Diderot explique que l’objectif de ce projet monumental « est de rassembler les connaissances éparses sur la terre ; d’en exposer le système général aux hommes avec qui nous vivons, et de le transmettre aux hommes qui viendront après nous ; afin que les travaux des siècles passés n’aient pas été des travaux inutiles pour les siècles qui succéderont ; que nos neveux, devenant plus instruits, deviennent en même temps plus vertueux et plus heureux, et que nous ne mourions pas sans avoir bien mérité du genre humain. »

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À retenir

Il ne s’agit donc pas seulement d’une volonté de collectionner des savoirs et des techniques, dans l’unique but de dresser un inventaire. Fidèle à l’esprit des Lumières, cette entreprise poursuit une intention clairement politique.

  • Dans son « Discours préliminaire », sorte d’introduction en tête de l’Encyclopédie, d’Alembert explique qu’un lien direct existe entre le progrès des connaissances et le progrès social.

Le bilan des savoirs élaboré au cours de l’histoire humaine doit permettre de diffuser les lumières de la raison et contribuer au bonheur des peuples en combattant l’intolérance, les superstitions et le despotisme. Cette dimension contestataire n’a pas échappé aux détenteurs du pouvoir de l’époque. Dès 1752, les Jésuites, branche puissante de l’Église catholique, obtiennent l’interdiction des deux premiers volumes de l’Encyclopédie, jugés « athées et matérialistes ».

La publication se poursuit, mais Diderot doit sans cesse se battre contre les menaces de censure. À partir de 1766, il est contraint de publier les dix derniers volumes à l’étranger. Face à de tels risques de censure, les philosophes des Lumières ont souvent dû ruser. Et c’est grâce aux détours de la fiction qu’ils ont pu échapper aux menaces qui pesaient sur eux, tout en poursuivant leurs combats.

Les œuvres de fiction : le roman et le conte

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Définition

Œuvre argumentative de fiction :

Une œuvre argumentative de fiction exprime des positions philosophiques, morales ou politiques à travers l’invention et la narration d’une histoire.

L’auteur n’y parle donc pas directement en son nom. Il utilise un narrateur, qui est souvent son porte-parole. Il expose ses idées par l’intermédiaire de personnages imaginaires. Les actions et les discours de ses personnages représentent implicitement les thèses que défend l’auteur, les opinions et comportements qu’il condamne.

  • On parle d’argumentation indirecte. Le lecteur doit effectuer un travail d’interprétation pour saisir le message que l’auteur veut transmettre.

Le genre romanesque se prête bien au procédé argumentatif indirect. Les philosophes des Lumières l’ont souvent employé, pour échapper aux menaces de la censure comme pour rendre leurs œuvres plus distrayantes. En plaisant à leurs lecteurs, ils les amenaient plus facilement à reconnaître la justesse de leurs combats. De plus, ils dissimulaient leurs critiques de l’Église et de la Monarchie sous les masques de récits et de personnages inventés. Leurs romans avaient ainsi plus de chances d’échapper aux interdictions.

Cette dimension critique du roman s’illustre parfaitement dans les Lettres persanes, que Montesquieu fait paraître à Amsterdam en 1721 sans nom d’auteur afin d’éviter la censure. Il s’agit d’un roman épistolaire.

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Définition

Roman épistolaire :

Roman entièrement constitué de lettres que s’échangent les personnages du récit.

Deux seigneurs persans, Usbek et Rica, effectuent un voyage en France, et décrivent leurs impressions à leurs compatriotes restés au pays. À travers les observations de ces étrangers, Montesquieu compose une satire virulente des mœurs et des institutions françaises. Il montre que ce qui semble normal pour un français de cette époque, peut paraître étonnant voire condamnable, pour un regard extérieur, neuf et ingénu.

Voici comment Montesquieu critique les manœuvres du roi et la faiblesse coupable de ses sujets, par la voix faussement naïve de Rica :

« Le roi de France est le plus puissant prince de l’Europe. Il n’a point de mines d’or comme le roi d’Espagne son voisin ; mais il a plus de richesses que lui, parce qu’il les tire de la vanité de ses sujets, plus inépuisables que les mines. On lui a vu entreprendre ou soutenir de grandes guerres, n’ayant d’autres fonds que des titres d’honneur à vendre ; et, par un prodige de l’orgueil humain, ses troupes se trouvaient payées, ses places munies, et ses flottes équipées. »

Parmi les œuvres de fiction engagées figure également le conte philosophique. Il appartient au siècle des Lumières, puisqu’on peut dire que Voltaire en est l’inventeur. En effet, les contes orientaux Les Mille et Une Nuits sont traduits en français en 1704, et remportent un immense succès tout au long du XVIIIe siècle.

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À retenir

Voltaire profitera de cet engouement pour toucher un large public et rendre plus efficace son combat contre l’intolérance religieuse et les privilèges. Il s’inspire du conte de fée traditionnel, en reprenant sa forme brève, ses péripéties et parfois ses éléments surnaturels, pour inventer des récits susceptibles de faire réfléchir le lecteur à des questions philosophiques, morales ou politiques.

Dans ses récits, Voltaire introduit toujours une grande part d’ironie, c’est-à-dire une manière plaisante d’affirmer une chose avec exagération, pour faire comprendre son contraire. Il utilise également la parodie de romans d’aventures, en multipliant les rebondissements invraisemblables et incohérents. Candide ou l’Optimisme étant le conte philosophique le plus célèbre, et sans doute le plus riche, un cours est consacré à son analyse.

​Conclusion :

Pour leurs combats, les philosophes des Lumières ont emprunté des genres, des formes et des procédés littéraires variés.

Par le biais d’œuvres non fictionnelles et d’argumentation directe, ou au travers d’œuvres de fiction et d’argumentation indirecte, les auteurs du XVIIIe siècle ont toujours poursuivi le même objectif : celui de faire triompher leur idéal de liberté, d’égalité et de tolérance, en maintenant leur engagement pour l’instruction du peuple et l’usage autonome de la raison.