Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne
Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, Olympe de Gouges : faire naître le sentiment de l'engagement
Introduction
Fait rare au XVIIIe siècle, le destin d’Olympe de Gouges s’est forgé comme le destin d’une femme de lettres et d’une femme politique. La Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne n’est que l’aboutissement logique de son parcours. En effet, dès qu’elle devient veuve, à l’âge de dix-sept ans, et jusqu’à sa mort, elle n’aura de cesse de fonder ses actes sur le souci du bien collectif. En autodidacte, elle se forme au journalisme, à la dramaturgie, au discours politique. Elle n’utilise ces formes d’écriture et de prise de parole que dans le souci de libérer les esprits et de prendre part à de grands combats sociaux : l’abolition de l’esclavage, l’assainissement des maternités, l’aide sociale pour les plus pauvres, les droits des femmes. Sa Déclaration est une illustration de ce goût de la polémique. Une année avant sa publication, en 1790, Condorcet fait paraître un manifeste, Sur l’admission des femmes au droit de cité, qui suscite de vives réactions et provoque le scandale dans les rangs de l’Assemblée. Un tel climat est loin de décourager de Gouges, qui publie sa Déclaration car elle considère qu’il est urgent que la Révolution française donne un nouveau statut aux femmes.
Mais en dehors de la proposition politique elle-même, c’est-à-dire à côté de l’idée de l’égalité pour toutes et tous, comment ce texte cherche-t-il à faire naître le goût de l’engagement chez son lecteur ? Par l’argumentation, la parodie et le pamphlet, il s’agit de convaincre les députés de l’Assemblée et la reine, mais plus largement toutes celles et tous ceux qui sont amenés à lire le texte, que l’engagement politique est une prérogative fondamentale. Cette Déclaration laisse entendre que la politique est l’affaire de chacun et de chacune et qu’il faut savoir, dans un premier temps, déconstruire les préjugés qui nous limitent avant de se décider à prendre la parole, dans un second temps, par une rhétorique combative.
De la possibilité d’établir un contrat social
De la possibilité d’établir un contrat social
Ce n’est pas innocemment que de Gouges écrit un « contrat social de l’homme et de la femme » qui promeut l’union libre dans le couple et la possibilité de demander le divorce pour les femmes. L’idée qu’il puisse exister un « contrat » dans la société, qui régirait les rapports entre les gouvernés et les gouvernants, est une idée directement héritée de la pensée des Lumières, et notamment du philosophe Jean-Jacques Rousseau. Ce n’est qu’en comprenant ce contexte historique, littéraire et artistique que l’on peut saisir pourquoi de Gouges est convaincue qu’il est possible de partager efficacement ses revendications.
Le siècle des Lumières :
Mouvement culturel européen qui se développe de la mort de Louis XIV à la Révolution française en 1789.
Anonyme, Olympe de Gouges
Construire une nouvelle citoyenneté
Construire une nouvelle citoyenneté
Ce n’est pas rien de réclamer que les femmes soient des « citoyennes ». D’une manière générale, le citoyen désigne un membre d’une communauté politique bien organisée. Dans l’antiquité, seuls quelques hommes de pouvoirs peuvent prendre part à la vie de la cité. Jusqu’à la Révolution, pour avoir des droits civiques et civils, il fallait être un homme et payer une contribution. Par ailleurs, cela permettait d’obtenir le droit de vote. Autrement dit, revendiquer ce droit pour une femme est une véritable audace puisque cela ne s’était jamais fait auparavant.
La période révolutionnaire se caractérise par les changements qu’elle engendre dans tous les domaines. Pour de Gouges, le fait que le roi Louis XVI prête serment de fidélité le 14 septembre 1791 (le jour de la publication de sa Déclaration) à la nouvelle Constitution que viennent de rédiger les députés, est une preuve que les mentalités se transforment et qu’une réforme en profondeur des institutions du pays est possible. Dans la « Dédicace à la reine », on devine que de Gouges croit vraiment que l’aristocratie peut se ranger derrière ce soulèvement populaire et peut accompagner la chute de la monarchie. Cette confiance envers le changement explique l’enthousiasme de l’écriture dans la Déclaration.
Il y a d’autant plus de raisons d’avoir confiance, que les femmes prennent un rôle actif auprès des sans-culottes pendant les événements : elles sont les plus nombreuses dans les premiers mouvements de foule prérévolutionnaires et on les retrouve aussi bien dans les tribunes, dans les assemblées, que sur le terrain, en train de se battre. C’est à cette époque qu’apparaît une forme moderne du militantisme politique.
Sans-culottes :
Manifestants révolutionnaires qui portaient des pantalons à rayures pour se distinguer des nobles de l’Ancien Régime qui portaient des culottes.
Militantisme :
Attitude des personnes qui cherchent à faire triompher leurs idées par l’action directe.
Club patriotique de femmes, Jean-Baptiste Lesueur
Si la Déclaration d’Olympe de Gouges est bien un acte fort de militantisme féministe, le mot « féminisme » n’est forgé qu’au XIXe siècle, en même temps qu’il commence à désigner un mouvement de revendication sociale.
« II – Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de la femme et de l’homme : ces droits sont la liberté, la propriété, et surtout la résistance à l’oppression. »
Dans le deuxième article de la Déclaration, il apparaît clairement que le militantisme chez de Gouges est d’abord une résistance à un phénomène d’« oppression ». En somme, il s’agit d’appeler à la lutte contre ce qui est désigné comme un abus de pouvoir.
L’éclatement de ce militantisme est possible car, avant 1789, la pensée occidentale fait la part belle à l’émancipation personnelle. Par exemple, la philosophie connaît un essor exceptionnel. Au fil de leurs textes, des penseurs comme Rousseau, Montesquieu, Diderot, Voltaire et d’autres promeuvent le développement de l’esprit critique, encouragent à davantage de tolérance*, et valorisent le **progrès dans tous les domaines, que ce soit en science, en politique, en art, en morale, etc. Un courant comme le libertinage contribuera même à la remise en question des principes religieux qui régissent lourdement la société d’ancien régime. Le plaisir et l’athéisme sont mis en avant, et le bonheur individuel est imaginé au centre de l’organisation sociale.
Émancipation :
Action qui consiste à se libérer d’une dépendance qui s’exerce sur soi.
Le préjugé sexiste
Le préjugé sexiste
Certes, chercher à s’émanciper de sa condition par le militantisme politique demande un réel courage. Cela implique de dépasser des préjugés culturels millénaires, que l’on relaie parfois soi-même sans s’en rendre compte. Il en est un que de Gouges pourfend tout spécialement : le préjugé sexiste.
Préjugé :
Opinion que l’on se fait à partir de critères d’apparences, sans chercher à approfondir le sujet.
Sexisme :
Attitude discriminatoire envers le sexe opposé.
Ce dernier repose au moins sur deux idées préconçues, qu’un long héritage culturel véhicule. La première consiste à considérer, en s’appuyant sur le chapitre 3 de la Genèse, dans la Bible, que la femme, représentée par la figure d’Ève, est fautive devant Dieu. Cette dernière aurait touché au fruit défendu dans le jardin d’Eden. Bien sûr, cette vision n’est pas à prendre au sens premier : il ne s’agit pas de voir une voleuse dans chaque femme. Mais l’idée que la femme est un être défaillant, peu fiable, s’installe dans les mentalités à partir de ce genre de récit.
La Tentation, Lucas Cranach, 1526
Un second préjugé veut que la supériorité de l’homme soit naturelle. Le corps féminin, soumis aux contraintes de la grossesse et de l’allaitement, serait plus vulnérable que celui des hommes, plus robuste. Or, il se trouve que tous les corps humains connaissent des moments de fragilité au cours de leur existence, et si cette fragilité implique que les corps doivent être protégés, cela n’implique pas qu’ils doivent être soumis à d’autres corps.
L’astuce intellectuelle de de Gouges consiste à ne pas renier Dieu ou la nature, mais à retourner ces arguments, pour montrer qu’en vérité l’égalité est un fait à la fois divin et naturel.
« IV – La liberté et la justice consistent à rendre tout ce qui appartient à autrui ; ainsi l’exercice des droits naturels de la femme n’a de bornes que la tyrannie perpétuelle que l’homme lui oppose ; ces bornes doivent être réformées par les lois de la nature et de la raison. »
Dans cet article, il apparaît clairement que, pour de Gouges, les droits de la femme sont issus directement de « la nature et de la raison ». Ainsi, la « tyrannie » masculine serait contraire au bon sens et au développement de l’espèce humaine.
Il faut voir dans la façon dont de Gouges organise son argumentaire davantage qu’une provocation à l’égard des hommes et, plus généralement, à l’égard de tous ceux qui détiennent le pouvoir, car sa radicalité implique aussi une conception complexe du monde. En fait, les différentes formes que prend l’argumentation dans ce texte sont à comprendre comme une invitation à s’engager soi-même.
Rhétorique du combat politique
Rhétorique du combat politique
A priori, une « déclaration » universelle est un texte conventionnel qui ne doit pas chercher à convaincre, puisqu’il est censé édicter des principes généraux et fixer des règles. Selon cette définition, la Déclaration est bien un discours judiciaire, c’est-à-dire un discours qui traite d’une question de justice, mais qui n’exalte pas une idéologie. Pourtant, tout texte de loi n’est-il pas toujours échafaudé selon un soubassement idéologique profond ? Par ailleurs, il serait naïf de croire que le texte de de Gouges a été pris en compte ou appliqué. En vérité, il est un pastiche de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, ce qui n’a pas plu à la majorité masculine des révolutionnaires qui ont pris le pouvoir. Son véritable objectif est de pousser la gent féminine à s’engager dans le combat politique : proposition on ne peut plus révolutionnaire.
Discours judiciaire :
Discours prononcé dans le but de convaincre.
Pastiche :
Œuvre dans laquelle l’artiste imite en partie, ou totalement, une autre œuvre, plus célèbre, par jeu et dans une intention parodique.
L’invective insurrectionnelle
L’invective insurrectionnelle
Cet encouragement à prendre la parole publiquement est plus qu’un encouragement. La Déclaration laisse entendre que les femmes ne pourront pas faire autrement, à l’avenir, que de prendre leur destinée en main. En ce sens, il y a une urgence à l’insurrection qui pousse de Gouges à faire usage de l’invective dans son texte.
Par exemple, le verbe « devoir » est utilisé dans l’article XII, comme s’il y avait une obligation à donner une garantie aux femmes que leurs droits seront conservés : « La garantie des droits de la femme et de la citoyenne nécessite une utilité majeure ; cette garantie doit être instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de celles à qui elle est confiée. » Ce genre d’injonction vise à universaliser le propos : les droits de la femme servent les droits de tous. L’impératif dans l’« exhortation aux hommes » (« observe le créateur dans sa sagesse »), le présent de vérité générale dans les articles (« la femme naît libre »), les questions rhétoriques dans le postambule (« Quelles lois reste-t-il donc à faire pour extirper le vice jusque dans la racine ? ») : tous ces procédés évincent la fausse neutralité du texte juridique.
Mais ce n’est pas qu’un subtil usage des formules et de la conjugaison qui fait de ce texte un argumentaire exemplaire. La nécessité de travailler l’art oratoire est aussi exprimée explicitement.
Injonction :
Commandement indiscutable, parfois accompagné de menaces de sanctions.
Explicite :
Qui est formulé sans doute possible. Ce terme s’oppose à ce qui est implicite, c’est-à-dire à ce qui est exprimé indirectement dans un énoncé.
La femme du sans-culotte, estampe, 1792
« X – Nul ne doit être inquiété pour ses opinions mêmes fondamentales, la femme a le droit de monter sur l’échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la tribune ; pourvu que ses manifestations ne troublent pas l’ordre public établi par la loi. »
Comme le montre ce passage, pour de Gouges les femmes doivent pouvoir monter à la tribune, c’est-à-dire qu’elles doivent obtenir le droit de prendre la parole publiquement, à une époque où elles n’ont que peu de permissions. L’impact d’une telle revendication est long à se faire sentir. Par exemple, en France, les femmes n’obtiennent le droit de vote qu’en 1944. Cependant, c’est probablement ce genre de réclamation qui leur permettra d’obtenir le droit à la succession en 1790, et au divorce en 1792, avant que Napoléon Ier ne revienne sur l’attribution de ces libertés.
La Déclaration, malgré tout ce qu’elle porte de propositions novatrices, sera ridiculisée et passera même relativement inaperçue. Pendant la Révolution, le nom d’Olympe de Gouges sera vite oublié au moment d’accorder quelques droits aux femmes. Il faudra attendre les années 1980 pour qu’elle soit réhabilitée.
Plus radical encore, la structure du texte offre un exemple de ce qu’un esprit féminin peut réaliser pour convaincre. De Gouges en vient à manipuler un large spectre des outils de la rhétorique traditionnelle à travers le « préambule », le « postambule » et les dix-sept articles, qu’elle accompagne d’une « dédicace à la reine », d’une « exhortation aux hommes » et d’un « contrat social de l’homme et de la femme ». Chacune de ces parties démontre, à sa manière, qu’une force de conviction peut émaner du style pamphlétaire.
Attention, seule La déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, accompagnée de son préambule et de son postambule sont au programme pour l’épreuve du baccalauréat.
Rhétorique :
Ensemble de techniques et de procédés qui constituent l’art de bien parler ou de bien former un discours.
Brutalité de l’écriture pamphlétaire
Brutalité de l’écriture pamphlétaire
La Déclaration en elle-même, et les petits textes qui l’entourent, relèvent du pamphlet, c’est-à-dire qu’il s’agit d’un court écrit agressif qui se désintéresse des normes littéraires. Il est vrai que le ton et les registres employés par de Gouges sont multiples.
- La « dédicace à la reine » ressemble à une lettre, dans laquelle l’autrice invite la femme la plus puissante du pays à rejoindre la cause : c’est un texte épistolaire.
- Dans l’« exhortation aux hommes », il est question de montrer aux hommes qu’ils ont un grand nombre de privilèges : c’est un texte satirique.
- Le « préambule » explique la raison d’être de la Déclaration et démontre qu’il est nécessaire d’établir des droits pour les femmes. Ensuite, le lecteur découvre dix-sept articles qui proclament l’égalité des sexes devant la loi. Dans un cas comme dans l’autre, il s’agit de réécrire la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen avec le même lexique et la même syntaxe, et donc de la parodier.
Dédicace :
Petit texte fait pour dédier une œuvre à une personne afin de lui rendre hommage.
Exhortation :
Discours visant à convaincre ou à persuader quelqu’un en lui donnant du courage et de la confiance.
Préambule :
Petit texte qui précède tous les textes légaux ou officiels dans le but de les présenter.
En comparant les deux premiers articles des deux Déclarations, on voit en quoi consiste la parodie d’Olympe de Gouges :
Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen : « Article premier – Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune.
II – Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression. »Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne : « Article premier – La femme naît libre et demeure égale à l’homme en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune.
II – Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de la femme et de l’homme. Ces droits sont : la liberté, la prospérité, la sûreté et surtout la résistance à l’oppression. »
Le terme « homme » est systématiquement remplacé par celui de « femme », ou lui est associé. Des phrases exactes sont reprises à la première Déclaration, ou de nouveaux droits sont imaginés, mais dans le prolongement de la structure des premiers droits proclamés. Par ces procédés, de Gouges met en doute l’idée selon laquelle le terme « homme » pourrait désigner tous les êtres. En somme, elle questionne l’universalité prétendue de la Déclaration des droits de l’homme.
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, huile sur toile, Le Barbier, 1789
Le « postambule » serait une autre exhortation, mais adressée aux femmes. De Gouges fait remarquer à celles qui la lisent qu’elles se laissent aveugler au sujet de la place qu’elles doivent prendre dans la société. Concrètement, elle leur propose de s’émanciper en choisissant de s’instruire et en réfléchissant, plutôt qu’en cherchant à incarner la beauté. Ce texte d’une grande éloquence recourt aussi à la satire pour rendre compte de l’organisation de la société française.
Dans le « contrat social », de Gouges imagine que les conjoints, dans un couple, se doivent une reconnaissance mutuelle. Elle propose une série de mesures pour protéger les femmes, et met sur le même plan le combat des femmes et celui des esclaves. Enfin, elle raconte une anecdote tirée de sa vie personnelle. Par conséquent, ce texte est une réflexion juridique et philosophique qui n’hésite pas à provoquer la polémique, voire l’indignation. Il est possible de parler d’un essai.
Postambule :
Petit texte qui doit commenter et refermer un texte plus important.
Conclusion :
Pour comprendre l’humanisme du pastiche que rédige Olympe de Gouges en pleine Révolution, il faut le situer dans le contexte politique trouble qui le voit émerger, et dans le contexte du siècle des Lumières qui valorise les pensées subversives. C’est un texte audacieux, qui donne à penser au sujet du droit des femmes, mais plus généralement sur ce que signifie s’engager dans le domaine politique. Si l’œuvre est relue aujourd’hui, si on parle autant de ce texte, ce n’est pas seulement parce qu’il propose une réflexion d’avant-garde sur la situation sociale des femmes ; c’est aussi, peut-être, parce qu’il est un exemple de ce que signifie militer pour ses idées.
Olympe de Gouges va pousser l’expérience du militantisme à ses extrêmes limites, puisque son engagement lui coûtera la vie. Après avoir imaginé cette Déclaration, elle fera face au régime de la Terreur. Elle s’opposera si bien aux Jacobins qu’elle finira par être punie pour son insolence. La décapitation n’empêche pas qu’elle soit aujourd’hui célébrée comme une femme d’esprit et de talent : preuve en est qu’on ne fait jamais taire définitivement l’intelligence des hommes et des femmes.