La matière et l'esprit

Introduction :

Un humain est composé de la matière de son corps, et d’un esprit. L’esprit désigne à la fois l’intelligence et la conscience. Spontanément, nous supposons que l’esprit, autrefois appelé âme, possède un pouvoir sur la matière et en premier lieu sur le corps. La croyance en un esprit fort, différent de la matière et capable de la dominer, s’est répandue sous le nom de dualisme du corps et de l’esprit.

Au XIXe siècle cependant, certains philosophes et scientifiques se questionnent sur la nature véritable de l’esprit, et sur la légitimité à lui accorder cette puissance sur le corps. Et si l’esprit était, en réalité, composé aussi et seulement de matière ? Telle est la thèse que défend le matérialisme, opposé au dualisme. Selon les matérialistes, l’esprit n’est pas une entité mystérieuse et transcendante au corps. L’esprit est un cerveau, un corps physico-chimique, certes plus complexe que beaucoup d’autres, mais il n’est en rien une force surnaturelle.

Si l’esprit est réduit au cerveau, à un système d’échanges neuronaux comparable au système d’exploitation d’un ordinateur, pourquoi ne sommes nous pas capables de créer une intelligence artificielle totalement similaire à l’esprit humain ? Actuellement, aucune machine n’est capable de penser aussi bien qu’un humain. Est-ce donc la preuve que l’esprit n’est pas réductible à un ensemble de circuits neuronaux, mais qu’il est ce petit supplément d’âme qui donne sa spécificité au genre humain ? En somme, faut-il comprendre l’esprit comme une force mystérieuse et surpuissante, capable de maîtriser la matière ?

Pour essayer de répondre à ces questions, nous exposerons en première partie les arguments du dualisme, et ceux du matérialisme en seconde partie.

Le dualisme : l’esprit domine la matière

Le préjugé sur la relation entre l’esprit et de la matière

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Définition

Matière :

La matière désigne tout phénomène extérieur qui peut faire l’objet d’une observation sensible et d’une appréhension intellectuelle.

Pour l’Homme, la matière désigne également son propre corps. Elle existe indépendamment de son esprit, on peut la toucher, la sentir, la voir. Et on peut la penser, la conceptualiser. Notre rapport à la matière est à la fois sensoriel et intellectuel. Par exemple, nous sentons les rayons du soleil sur notre peau, et nous avons aussi une connaissance scientifique du rayonnement solaire.

A-t-on le même rapport avec son propre corps qu’avec un objet extérieur ? Cela semble peu probable, car mon corps n’est pas un « objet » comme un autre. J’y suis lié par mon esprit d’une manière unique. Je pense un corps qui m’appartient, qui n’est pas extérieur à moi. Pour autant, nous avons une idée préconçue de la relation qui unit l’esprit et le corps. Nous avons même tendance à les hiérarchiser. Dans notre croyance instinctive, l’esprit a plus de valeur que le corps.

L’esprit est plus puissant que la matière

Notre croyance en un esprit plus puissant que la matière se base d’abord sur notre peur de la mort. Si je me résume à un corps, je disparaîtrai à mon décès. En revanche, si mon esprit prévaut sur la matière, une transcendance est possible et je continue à exister sans corps.

Cette idée d’un esprit fort devient parfois fantasme, d’où la grande estime portée à la télékinésie ou à la télépathie dans nos fictions. Au-delà de notre fascination pour les phénomènes surnaturels, ces pratiques nous révèlent le même préjugé sur la relation entre l’esprit et la matière. Parce qu’il aurait la capacité de suspendre les lois de la nature, l’esprit serait actif, surpuissant. Quant à la matière, elle est passive et soumise à la force spirituelle.

La philosophie se soucie peu de savoir si la télékinésie, la pyrokinésie ou la télépathie sont possibles dans la réalité. Nous voulons comprendre l’origine de ce préjugé qui concerne la supériorité de l’esprit sur la matière. Il semble ancré dans une tradition philosophique que nous allons rappeler.

La tradition philosophique : le dualisme

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Réflexion

La matière et l’esprit selon Platon

Depuis Platon, toute une tradition philosophique considère que l’esprit et la matière sont séparés. L’âme est immatérielle et immortelle tandis que le corps, mortel, est fait de matière. Le philosophe dit d’ailleurs que :

« Le corps est le tombeau de l’âme »

Pour Platon, l’âme contemplait la vérité avant d’être incarnée dans un corps, avant que nous naissions. Sur Terre, l’Homme a conservé de sa vie de pur esprit un désir de vérité. Mais le corps vient contrarier ce désir de l’âme de retrouver sur Terre les vérités côtoyées avant sa naissance.

Le dualisme platonicien

Pourquoi penser que le corps est une entrave au désir de vérité ? Platon explique cette idée dans son dialogue Le Phédon. Il fait dire à Socrate :

« […] Tant que nous aurons notre corps et que notre âme sera embourbée dans cette corruption, jamais nous ne posséderons l’objet de nos désirs, c’est-à-dire la vérité. Car le corps nous oppose mille obstacles par la nécessité où nous sommes de l’entretenir, et avec cela les maladies qui surviennent troublent nos recherches. D’ailleurs, il nous remplit d’amours, de désirs, de craintes, de mille imaginations et de toutes sortes de sottises, de manière qu’il n’y a rien de plus vrai que ce qu’on dit ordinairement : que le corps ne nous mène jamais à la sagesse […] Il est donc démontré que si nous voulons savoir véritablement quelque chose, il faut que nous abandonnions le corps et que l’âme seule examine les objets qu’elle veut connaître. »

Platon, Le Phédon, 383 av. J.-C.

Socrate rappelle d’abord à quel point l’Homme est un être sensible, c’est-à-dire prisonnier des besoins et des troubles qui traversent son corps. Le corps réclame, exige, défaille, et par ses besoins tyranniques, il devient un obstacle à la recherche de la vérité. Selon Platon, celui qui se laisse retenir par les besoins de son corps se rabaisse à l’animalité. En effet, il oublie son âme pour se consacrer aux changements et aux assauts permanents de son corps.

En revanche, le cas est différent pour l’homme qui exerce la philosophie. Même s’il ne peut oublier totalement son corps qu’à sa mort, il apprend à le maîtriser et à le faire passer au second plan. Il soigne son corps avec le strict minimum, et lui assure la satisfaction de ses besoins vitaux. Le reste du temps, le philosophe s’adonne aux activités de l’esprit, il nourrit son âme. La nourriture privilégiée de l’âme est la recherche du vrai, ce que Platon appelle les essences éternelles. Ce sont les vérités que contemplait l’âme avant son incarnation sur Terre.

Le dualisme platonicien repose donc sur une certitude : le corps et l’esprit sont deux réalités de natures différentes. L’esprit est de nature noble, tandis que le corps est vil et nous rattache à l’animalité. Cela entraîne deux conséquences :

  • l’âme est la seule voie royale pour conduire l’Homme vers la vérité. Mais le corps l’alourdit si elle écoute trop ses exigences ;
  • l’esprit et le corps sont dans une relation hiérarchique : l’esprit doit commander, et le corps obéir. Pour Platon, si la hiérarchie s’inverse, c’est que l’Homme se comporte mal, qu’il est intempérant.
  • C’est sur ce dualisme platonicien que repose notre croyance en la domination de l’esprit sur la matière.
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Réflexion

L’esprit selon Descartes

Pour Descartes aussi, l’existence de l’esprit est indiscutable. Au XVIIe siècle, il soutient également une conception dualiste de l’esprit et de la matière. Mais contrairement à Platon, son dualisme n’a pas de conséquences morales, il ne vise pas à distinguer les hommes vertueux et les mauvais. Le dualisme cartésien est la conclusion d’un raisonnement purement intellectuel, qui démontre que l’existence de l’esprit est en fait la seule vérité certaine en ce bas monde.

Dans le Discours de la méthode, Descartes explique que parfois, nos sens nous trompent. Ils peuvent nous faire percevoir une chose qui n’existe pas, ou bien différemment de ce que nous percevons. Notre ouïe, notre vue ou notre odorat ne sont pas infaillibles, ils peuvent facilement être trompés. Descartes prouve cette idée grâce à l’argument du rêve. Certains rêves sont tellement réalistes que nous les prenons pour la réalité. Nous y percevons des couleurs ou des sons, alors qu’ils sont le fruit de notre imagination. Puisque le rêve peut se faire passer pour le réel, comment différencier les deux ? Descartes estime que cela est impossible.

À en croire sa théorie, nous sommes peut-être en train de rêver que nous partageons ce cours de philosophie. Nos sens et notre raison se sont alliés pour nous donner l’illusion parfaite que nous vivons réellement ce cours, alors que ce n’est pas le cas. La connaissance de la matière est peut être une construction de notre inconscient qui nous fait prendre une illusion pour une chose réelle. Des films comme Inception ou Matrix traitent cette thématique d’un monde entièrement imaginaire que les personnages prennent à tord pour la réalité.

Pour en revenir à Descartes, il estime que nous devons douter de tout ce que nous appelons le réel. On ne peut cependant pas douter de l’existence de notre esprit, puisqu’il est justement en action lorsqu’il doute de l’existence du réel. Descartes conclut sa démonstration par le célèbre cogito ergo sum : comme il est sûr de penser, il est sûr d’exister. Le cogito implique plusieurs choses.

  • Le réel est peut-être une illusion, mais cela n’a pas d’importance car c’est sans effet sur l’existence.
  • L’esprit et la matière sont deux choses bien différentes. Nous retrouvons ici le dualisme platonicien.
  • Comme Platon, Descartes tend à hiérarchiser le corps et l’esprit : l’esprit est la seule certitude et la seule chose que nous pouvons vraiment connaître, alors que le corps, incertain, est une chose encore peu connue au XVIIe siècle.

Néanmoins, quelques années ont passé depuis Descartes.

  • Croit-on aujourd’hui encore à la souveraineté de l’esprit, et à son pouvoir sur la matière ?

L’esprit maîtrise et exploite la matière

La puissance technique

Dans la société actuelle, nous valorisons toujours l’esprit car il est une arme au service du progrès humain. Depuis la Révolution industrielle et l’essor de la technologie, l’intelligence est devenue une intelligence technique, qui consiste à dominer la matière au sens large afin de l’exploiter de façon utile pour l’Homme.

Pour Descartes, la philosophie devait permettre à l’Homme de « se rendre comme maître et possesseur de la nature ». Maîtriser la nature consiste à dominer les phénomènes naturels : l’air, l’eau, la terre, le feu. Mais cette domination n’est en rien mystique. Nous ne contrôlons pas les éléments par magie.

Pour les maîtriser, il faut comprendre scientifiquement ces phénomènes physico-chimiques. Cela permet alors de les reproduire à un moment et un endroit choisis par l’Homme. Barrage, éolienne, four, sont autant d’inventions qui permettent de contrôler et d’utiliser les forces naturelles. Elles ont permis le progrès de l’humanité.

Avec la technique, l’esprit a dominé la matière et l’a en quelque sorte asservie à sa volonté, tel que Descartes l’entendait. Mais Platon ne pensait pas à la domination par l’intelligence technique. Il pensait à un pouvoir que l’on pourrait qualifier de magique. Des indices prouvent-ils l’existence de ce pouvoir ?

Le pouvoir de la volonté

Pour le savoir, utilisons des exemples du quotidien :

  • par la seule force mentale, un sportif de haut niveau contraint son corps aux efforts qu’il fait et aux souffrances qu’il endure. Sa volonté surmonte ses entraînements ;
  • un artisan ou un artiste travaillent la matière de l’objet pour y laisser une empreinte à des fins utilitaires ou artistiques. Leur esprit commande à leur corps, qui laisse sa marque dans un matériau ;
  • un croyant qui jeûne cesse de s’alimenter pendant une durée plus ou moins longue. L’objectif du jeûne est de développer la volonté de l’esprit, et sa résistance aux besoins tyranniques du corps. La force spirituelle est capable de repousser les besoins physiologiques, parfois jusqu’à oublier le corps et le laisser mourir ;
  • les personnes qui font une grève de la faim sont prêtes à négliger leur corps, et à se laisser mourir au nom d’une valeur en laquelle ils croient. Elles partagent cette croyance d’une idée plus forte que les besoins corporels.
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À retenir

Le quotidien montre donc que dans certaines circonstances, la force mentale nous rend capables de plier notre corps à notre volonté.

Mais l’influence de l’esprit sur le corps est parfois totalement involontaire, et beaucoup plus spectaculaire.

L’effet placebo

L’effet placebo est l’exemple le plus évident d’une influence inexplicable de l’esprit sur le corps. Mais qu’est-il exactement ? Avant d’autoriser la vente d’un nouveau médicament, les laboratoires le testent sur l’homme. Ils recherchent alors des malades volontaires que le futur médicament est susceptible de traiter. Sans le savoir, ils sont répartis en deux groupes : l’un recevra le médicament et l’autre un placebo, c’est-à-dire un comprimé visuellement identique au vrai médicament, mais qui est une substance neutre, sans effet chimique sur le corps.

Néanmoins, le patient sous placebo croit prendre un vrai médicament, et cette croyance seule suffit à améliorer son état de santé. Notre esprit peut donc parfois fortement atténuer les symptômes d’une pathologie grave, comme le ferait un médicament conçu pour ça. Cela paraît inexplicable. L’effet placebo est aujourd’hui rigoureusement étudié par les scientifiques. Il est pris très au sérieux par les chercheurs, qui en tiennent compte lorsqu’ils mesurent l’efficacité d’un traitement. Pour les adeptes de la théorie d’un esprit souverain sur le corps, l’effet placebo prouve que l’Homme est un corps, certes, mais doué de conscience.

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Pascal, un autre dualiste

Au XVIIe siècle, Pascal a dit :

« L’Homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature ; mais c’est un roseau pensant. »

Il veut dire qu’en tant qu’esprit, l’Homme domine toujours la matière. En effet, même si l’univers écrase l’Homme de sa grandeur infinie, l’Homme lui est supérieur parce qu’il sait qu’il est écrasé. Contrairement à l’univers, l’Homme a conscience de sa condition.

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À retenir

Pour résumer la théorie dualiste :

  • l’esprit est une entité mystérieuse différente de la matière ;
  • l’esprit est supérieur à la matière, et donc au corps auquel il est lié ;
  • l’esprit exprime sa supériorité par la maîtrise du corps qu’il habite et par l’exploitation de la matière, afin de permettre à l’humanité de survivre et de s’étendre sur Terre.

Le matérialisme : l’esprit est matière

Depuis les conceptions de Platon, Descartes et Pascal, la pensée philosophique a évolué. Le matérialisme et la recherche scientifique des XIXe et XXe siècles remettent en question la théorie dualiste. Les progrès dans le domaine neurologique et la science du cerveau amènent à se demander pourquoi l’esprit ne serait pas un processus physico-chimique comme n’importe quel corps. L’esprit serait alors matière, même si d’emblée on ne comprend pas quelle matière.

  • Mais si l’esprit est matière, pourquoi lui accorder un statut privilégié par rapport au corps ?

La matière n’est pas seulement subordonnée à l’esprit

L’esprit dérive de la matière

Pour la biologie et l’anthropologie, on constate au cours de l’évolution de l’espèce humaine que c’est la matière qui devient esprit. Les organismes se retrouvent face à des situations inédites. Pour s’y adapter, ils agissent par instinct ou réfléchissent. Ces situations vécues laissent des traces neuronales. Ces traces permettent à l’organisme de tirer de l’expérience, et de surmonter l’obstacle sans difficulté la fois suivante. En répétant ce procédé à l’échelle du vivant, nous obtenons des systèmes nerveux qui vont en se complexifiant.

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À retenir

D’après la science, l’esprit est donc le produit d’une évolution biologique. L’activité mentale est conditionnée par l’activité organique. La conscience est une fonction de la matière vivante lorsqu’elle atteint un certain degré d’évolution, c’est-à-dire de complexité.

D’ailleurs chez les premiers hommes, les historiens parlent de conscience primitive. Cela montre que la conscience n’est pas apparue telle qu’elle, mais que comme tous les phénomènes physiques, elle a évolué par étapes successives.

La matière a un dynamisme propre

Jusqu’à présent, il n’a effectivement pas pu être démontré que l’esprit peut dominer la matière. Si l’esprit n’est pas souverain, pourquoi n’accorderions-nous pas à la matière une intelligence certaine ? Pourquoi la matière n’aurait-elle pas un dynamisme propre ?

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Réflexion

La volonté de la matière selon Freud

L’exemple des manifestations psychosomatiques étudiées par Freud lors de ses recherches sur l’inconscient, montre que le corps parle lorsque l’esprit est silencieux. à travers son corps, le malade hystérique manifeste un désir que son esprit refuse de s’avouer et d’assumer. Ainsi, le corps hystérique a comme une existence autonome. Il manifeste une souffrance qui semble totalement indépendante de la conscience du malade, qui ne comprend pas sa souffrance et les raisons.

Le cerveau : une machine ultra perfectionnée

Mais c’est sans doute notre cerveau lui-même qui est le meilleur argument en faveur d’une intelligence de la matière. Pour les neurobiologistes, l’esprit n’existe pas en lui même. Il n’est que la manifestation du cerveau humain en fonctionnement. Notre cerveau fonctionne comme un ordinateur, c’est-à-dire par traitement de l’information. Les actes d’intelligence sont des faits d’organisation, et le cerveau n’est qu’un ordinateur vivant extrêmement perfectionné. Aucun esprit n’existe indépendamment des circuits neuronaux.

Pour les scientifiques, l’idée d’un esprit comme un pilote autonome qui commande son navire est donc une croyance, un mythe. La science veut rationaliser la compréhension de l’esprit. Il n’est plus considéré comme une entité immatérielle et mystérieuse, mais comme un système de traitement d’information via des réseaux de neurones. Aussi complexe soit-il, nous progressons quotidiennement dans la compréhension du cerveau humain, qui n’a plus rien d’un mystère.

Le monisme

Puisque l’esprit est désormais moins bien compris que la matière qui le génère, le modèle dualiste qui repose sur la séparation de l’esprit et du corps est abandonné. On n’oppose plus l’esprit au corps car nos états mentaux sont des produits de notre cerveau, qui est matériel. Aujourd’hui, les neurosciences travaillent la relation de l’esprit et de la matière selon le modèle du monisme.

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Définition

Monisme :

Le monisme est un concept philosophique qui considère que même si les choses que l’on constate sont nombreuses et variées, elles ont en fait une seule origine. La science aussi postule ce principe unique de fonctionnement, mais n’est pas encore parvenue à le découvrir.

À titre d’exemple, l’imagerie médicale renforce la conception moniste en reliant les émotions et les pensées à des zones précises du cerveau. Cela prouve que notre esprit, loin d’exister indépendamment de la matérialité, en est un produit. Mais comment les scientifiques ont-ils fait pour établir la carte du cerveau, et associer des zones cérébrales à des processus de pensée ? Ils se sont basés sur l’étude des pathologies cérébrales. L’imagerie médicale montre quelle partie du cerveau est active lorsque nous mobilisons telle ou telle fonction comme le calcul, le souvenir, l’imagination. Lors d’une dégénérescence neurologique, le patient ne peut plus mobiliser les compétences produites par les zones touchées.

Prenons l’exemple de la maladie d’Alzheimer. Le scanner cérébral des cerveaux atteints d’Alzheimer révèle un cortex recroquevillé. Le rétrécissement est particulièrement marqué dans l’hippocampe, une région du cortex qui joue un rôle essentiel dans la formation de nouveaux souvenirs. La comparaison d’un cerveau sain et d’un cerveau malade permet de comprendre que les zones endommagées par la maladie d’Alzheimer sont celles associées à la pensée, la planification et la mémoire. De son côté, l’étude des symptômes montre que les patients diagnostiqués ont d’abord des trous de mémoire, qui finissent en amnésie. Plus gênant, ils perdent la faculté d’anticiper et de planifier. Cela les met en danger au quotidien puisqu’ils peuvent négliger leur traitement, ne plus savoir rentrer chez eux ou déclencher un incendie en oubliant un plat dans le four. Les symptômes sont en accord avec l’emplacement des lésions observées. Avec la maladie d’Alzheimer, le degré de conscience diminue en fonction du rétrécissement progressif de l’écorce cérébrale. Les malades semblent être de moins en moins conscients du monde qui les entoure.

D’un point de vue médical, la vision moniste est donc essentielle quand il s’agit de repérer un déséquilibre biochimique et donc matériel, à l’origine d’une pathologie de l’esprit. Parce qu’elle est extrêmement utile au progrès technique, la conception moniste de l’esprit et de la matière est celle qui dispose désormais du plus de preuves. Par conséquent, beaucoup ne partagent plus la théorie dualiste. Ces deux théories ont pourtant chacune leurs limites.

Conclusion :

La querelle entre les partisans du dualisme et ceux du monisme n’est pas prête de s’éteindre. Pour les dualistes, l’Homme peut maîtriser les besoins de son corps par la force de son esprit. Par l’intelligence technique, il peut exploiter les ressources naturelles. L’esprit est séparé de la matière et n’est pas limité par elle. Réduire l’esprit à de la matière revient à le comparer à une machine déterminée par l’ensemble des neurones qui la composent.

Or, en assimilant l’esprit à un ordinateur, on nie la spécificité de la conscience humaine, sa liberté absolue et son incroyable capacité de créativité. Car si une machine peut faire de la musique, par exemple électronique, elle ne peut en aucun cas la créer intentionnellement et lui donner la complexité et l’intensité propres aux états d’âme des génies. L’âme serait ce supplément qui donne à l’esprit le caractère unique et inimitable de la personne, et de l’ensemble de ses créations.

D’un autre côté, nous devons admettre que cette croyance en l’âme est totalement invérifiable. C’est pourquoi les monistes considèrent que l’esprit et le corps sont de même nature, et susceptibles d’être compris et exploités de la même manière. Identifier l’esprit a une entité mystérieuse capable de maîtriser le corps et la matière donne l’illusion à l’Homme d’être une force qui échappe aux lois de la nature. Bien exploitée dans les films d’anticipation ou d’horreur, cette illusion est totalement irrationnelle.