Le bonheur

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Introduction :

L’objectif de cette leçon est de remettre en question une croyance assez répandue sur le bonheur. En effet, nous croyons que le bonheur est le but ultime à atteindre dans notre existence, mais nous essayerons de prouver qu’il n’est pas une fin en soi.

Étymologiquement, le mot bonheur désigne le « bon augure », la « chance ». Effectivement, nous avons le sentiment que le bonheur est une chance – à la portée de tous – que nous devons saisir. Métaphoriquement, le bonheur devient le point culminant de notre existence.

Aristote explique que le bonheur est une fin en soi : c’est un but final, un état de satisfaction totale et durable. Deux questions se posent alors :

  • Est-ce que cet état de béatitude absolue existe ?
  • Si oui, comment faire pour l’atteindre à coup sûr ?

Pour répondre à ces deux questions, nous définirons tout d’abord le bonheur. Pour ce faire, nous distinguerons dans une première partie le bonheur et le plaisir éphémère. Par la suite, nous comprendrons que le bonheur est quelque chose que l’on désire. Enfin, nous verrons que c’est un idéal et non une réalité, mais que c’est en continuant à désirer le bonheur que nous œuvrons pour l’atteindre.

Bonheur et plaisir éphémère

  • Est-il possible d’être totalement satisfait ?
  • Si oui, le bonheur réside-t-il dans la recherche constante du plaisir ?

La satisfaction de tous nos désirs peut-elle conduire au bonheur ?

Platon et le bonheur : la satisfaction des désirs est une quête sans fin

Dès l’Antiquité et jusqu’à aujourd’hui, beaucoup s’accordent à dire que le bonheur s’obtient par la recherche du plaisir. Cette conception se nomme « hédonisme ».

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Définition

Hédonisme :

Selon l’hédonisme, pour être heureux, il suffit de multiplier les désirs et les réaliser.

Définir le bonheur ainsi est tentant. Dans le Gorgias de Platon, le sophiste Calliclès s’entretient avec Socrate à ce sujet :

« Vivre dans la jouissance, éprouver toutes les formes de désirs et les assouvir, Voilà, c’est cela la vie heureuse ! »

Cette devise est intéressante, mais Socrate y répond sans ménagement par une métaphore :

« Suppose qu’il y ait deux hommes qui possèdent, chacun, un grand nombre de tonneaux. Les tonneaux de l’un sont sains et remplis de vin, de miel, de lait […] de toutes sortes de choses. Chaque tonneau est donc plein de ces denrées liquides qui sont rares, difficiles à recueillir et qu’on n’obtient qu’au terme de maints travaux pénibles. Mais, au moins, une fois que cet homme a rempli ses tonneaux, il n’a plus à y reverser quoi que ce soit ni à s’occuper d’eux ; au contraire, quand il pense à ses tonneaux, il est tranquille. L’autre homme, quant à lui, serait aussi capable de se procurer ce genre de denrées, même si elles sont difficiles à recueillir. Mais comme ses récipients sont percés et fêlés, il est forcé de les remplir sans cesse, jour et nuit, en s’infligeant les plus pénibles peines. Alors, regarde bien, si ces deux hommes représentent chacun une manière de vivre, de laquelle des deux dis-tu qu’elle est la plus heureuse ? Est-ce la vie de l’homme déréglé ou celle de l’homme tempérant ? En te racontant cela, est-ce que je te convaincs d’admettre que la vie tempérante vaut mieux que la vie déréglée ? Est-ce que je ne te convaincs pas »

Gorgias, Platon

  • Pour Socrate, la conception du bonheur de Calliclès et son mode de vie ressemblent au sort des Danaïdes, ces femmes condamnées à remplir à jamais un tonneau percé.

Résumons la thèse platonicienne sur le bonheur comme cela : une vie passée à courir après ce dernier est épuisante. Pour vivre heureux, il faut absolument maîtriser la force de notre désir.

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À retenir

Le bonheur n’est pas dans le plaisir à répétition, mais dans la quête des plaisirs durables.

Pour Démocrite, le bonheur se définit de façon négative : il est l’absence de peine. Les penseurs de la Grèce antique appelaient cela l’ataraxie (du grec ἀταραξία, signifiant « absence de troubles »). Pour être heureux il faut donc éviter tout ce qui nous fait du mal. Épicure, l’un des principaux représentants de l’hédonisme, considère qu’il faut chercher le plaisir mais aussi éviter le déplaisir. Par exemple, dévorer des plaquettes de chocolat nous procurera – sur le moment – un plaisir certain, mais provoquera très certainement des maux de ventre et donc du déplaisir.

  • L’hédonisme ne peut être relégué à une vision trop simpliste de la recherche du plaisir à tout prix.

Le bonheur de consommer, une invention économique ?

Dans notre société, le bonheur est une préoccupation politique depuis le XVIIIe siècle. Après la Révolution française, l’article 1 de la Constitution de 1793 affirme :

« Le but de la société est le bonheur commun. »

  • Comment la politique a-t-elle pu s’orienter vers ce but ?
  • Sur quels types de plaisirs et de biens positionne-t-elle le bonheur ?

Pendant les Trente Glorieuses (1945-1975), l’idée d’une conquête du bonheur par la consommation s’installe progressivement dans les pays industrialisés. C’est une suite logique de la croissance économique de l’époque – qui produit en quantité croissante une large gamme de biens matériels. Pour les vendre, la publicité transforme ces nouveautés en besoins. Les foyers s’équipent alors d’automobiles, de télévisions ou d’électroménager. Cependant, l’idée d’une consommation contribuant au bonheur sera vite contestée.

  • Le fonctionnement de la société de consommation

Le sociologue et philosophe Baudrillard met en évidence le principe de fonctionnement actuel de l’économie dans son ouvrage La Société de consommation écrit en 1970. En satisfaisant sans cesse les besoins matériels, la société de consommation en génère automatiquement d’autres et provoque ainsi l’aliénation de l’être humain. Son bonheur est « monté de toutes pièces » par un capitalisme dont l’ambition est l’enrichissement de certains patrons et industriels. Tout est fait pour préserver l’identification entre bonheur et possession matérielle.

  • Plus je suis persuadé – notamment par les publicités – que je manque de quelque chose, plus je suis en souffrance et plus je serai apte à acheter ce qui me « manque » pour sortir de cette souffrance.

De nombreuses personnes ne parviennent plus à éprouver de plaisir, même lors de réjouissances exceptionnelles. Peut-être sont-elles conscientes d’être aliénées à des désirs imposés par d’autres. Pour autant, cela ne veut pas dire qu’il faut renoncer à désirer, mais il faut se méfier de l’influence qu’a le monde extérieur sur ce que nous désirons.

  • Utilitarisme : une vision du bonheur partagé

De manière générale, il faut différencier le bonheur comme état subjectif et personnel, du bonheur pris au sens politique de « bonheur collectif » (ce dernier étant rattaché à une conception morale de la maximisation du bonheur pour tous).
Ainsi l’utilitarisme est une notion d’utilité consistant à agir pour maximiser ce bonheur, ce bien-être collectif, en une maximisation de l’utilité pris au sens de bonheur pour tous dans la société.

  • L’utilitarisme hédoniste consiste par exemple à maximiser le plaisir pour tous.

L’un des principaux représentants de ce courant de pensée fut John Stuart Mill, philosophe anglais du XIXe siècle. Même pour les utilitaristes les plus convaincus, cette maximisation de l’utilité ne sera jamais vraiment atteinte. L’utopie est en ce sens un horizon mais jamais réellement un but à atteindre. C’est en cherchant à s’approcher de la perfection qu’on est heureux, non pas en l’atteignant.

Le bonheur c’est désirer

Se sentir libre de choisir nos désirs

  • Se laisser commander par des désirs préfabriqués nous donne-t-il accès au bonheur ?

Alt texte Affiche du film The Truman show de Peter Weir

The Truman Show, film de Peter Weir avec Jim Carrey, met en scène un homme qui semble posséder tout ce dont on peut rêver : une femme adorable et des enfants géniaux. Il vit dans une ville paradisiaque et exerce un travail passionnant. Or, cette vie rêvée l’ennuie profondément. Il va alors tenter d’en repousser les limites et découvrir que ces limites existent au sens propre puisque depuis sa naissance, il est en fait le héros d’une télé-réalité suivie par des milliers de personnes. Son existence est entièrement fabriquée, calquée sur ce que la majorité des gens voit comme étant le bonheur. Lorsque Truman découvre la supercherie, il comprend alors que ses désirs lui ont été imposés et que c’est pour cela qu’il s’ennuyait et n’était pas heureux. À la fin du film, il trouve une porte pour sortir du studio : le réalisateur s’adresse alors à lui en voix-off et lui propose de rester vivre dans cette illusion de bonheur pour ne pas avoir à subir les difficultés du monde extérieur. Mais Truman (en anglais « l’homme vrai ») refuse : mieux vaut souffrir et se débattre dans une vie parfois pénible mais être libre de découvrir la singularité des idéaux qui nous animent.

  • Être heureux ne consiste donc pas à se conformer à un idéal de bonheur tel que l’entend la croyance commune mais à se sentir libre de déployer notre propre désir.

Ne rien désirer rend malheureux

Même si nous ne parvenons pas à satisfaire nos envies, désirer est primordial. La preuve en est que l’absence de désir nous rend malheureux, quel que soit ce que nous possédons. Lorsque nous sommes insatisfaits ou déprimés, on nous dit parfois « de quoi te plains-tu ? Tu as tout pour être heureux. » Pourtant, nous ne le sommes pas : nous manquons d’appétit de vivre, d’un bien-être authentique. Nous nous sentons apathique et sans aucune motivation.

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Réflexion

Un cas de désespoir : Octave de Saville, personnage romantique de Théophile Gautier

Octave de Saville, personnage romantique inventé par Théophile Gautier en 1857 dans Avatar, possède tout pour faire son bonheur : famille fortunée, amis sincères, magnifique demeure. Il n’est pourtant pas heureux : il est saisi d’un étrange mal-être, d’un spleen qui paralyse sa joie de vivre :

« Personne ne pouvait rien comprendre à la maladie qui minait lentement Octave de Saville. […] Interrogé par les médecins, que le forçaient à consulter la sollicitude de ses parents et de ses amis, il n’accusait aucune souffrance précise, et la science ne découvrait en lui nul symptôme alarmant […] Comment se faisait-il que jeune, beau, riche, avec tant de raisons d’être heureux, un jeune homme se consumât si misérablement ? Vous allez dire qu’Octave était blasé, que les romans à la mode du jour lui avaient gâté la cervelle de leurs idées malsaines, qu’il ne croyait à rien, que de sa jeunesse et de sa fortune gaspillées en folles orgies il ne lui restait que des dettes ; toutes ces suppositions manquent de vérité. »

Théophile Gautier, Avatar, 1857

Cet exemple illustre l’idée que l’on peut être comblé par de nombreuses choses ou personnes, mais ne pas se sentir heureux pour autant. Octave souffre d’ennui, plus rien ne le divertit. De ce fait, il regarde sa vie telle qu’elle est : un vide profond. Il semble avoir perdu ce qui l’anime, ce qui le rend vivant : il a perdu son désir. Octave ne « veut » pas, consciemment, son malheur, il ne sombre pas intentionnellement dans le désespoir, mais il n’arrive plus à désirer. Or, a priori, ne plus rien désirer signifie que l’on est comblé et par conséquent heureux : mais Octave ne l’est pas.

  • Le désir est donc le moteur essentiel pour ressentir le bonheur s’offrant à nous.

Si au sens absolu du terme, le bonheur ne réside ni dans les possessions, ni dans les amis, ni dans la famille, où se situe-t-il exactement ?

Désirer ce que l’on fait

Le stoïcisme est un courant philosophique fondé par Zénon de Citium qui fonda l’école du Portique en Grèce antique, selon lequel le bonheur s’obtient au travers d’une conception particulière du désir :

  • premièrement, il ne faut pas désirer ce que l’on a car, à tout moment, on peut le perdre. Il s’agit de se défaire de notre attachement aux biens matériels, mais aussi aux personnes ;
  • deuxièmement, il ne faut pas désirer non plus ce que l’on n’a pas, parce que rien n’indique qu’on l’obtiendra un jour et même si c’est le cas on pourra le perdre à tout moment ;
  • troisièmement, à vivre dans la perspective d’un avenir meilleur on en oublie le présent. Il faut plutôt désirer ce que l’on fait. Cela signifie que le bonheur ne passe pas par un attachement à des objets ou à des personnes, mais à la seule chose que nous maitrisons : nos actes.

Pour Schopenhauer, cette vision est cependant illusoire : selon lui le bonheur n’existe pas.

Le bonheur est un idéal

Dans sa chanson La robe et l’échelle, Francis Cabrel exprime ce qu’est le bonheur :

« Et voilà que, du sol où nous sommes,

Nous passons nos vies de mortels

À chercher ces portes qui donnent

Vers le ciel »

Le bonheur est donc un état impossible à atteindre. Les « portes qui donnent vers le ciel » montrent qu’il s’agit en fait d’un idéal, d’un absolu que nous convoitons, mais à défaut de l’atteindre, nous ne pouvons qu’imaginer à quoi il ressemble.

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Réflexion

Schopenhauer : le bonheur est une perspective qui n’arrive jamais

Schopenhauer est un héritier de Kant. Sa vision très pessimiste a marqué ses contemporains puisque selon lui le bonheur n’existe pas. En effet l’être humain alterne sans cesse entre désir et ennui. En contre-pied de la vision stoïcienne, il conçoit le désir comme une souffrance qu’on ne maitrise pas et qui reste jusqu’à ce qu’on l’assouvisse. Une fois assouvit, on ressent un plaisir qui n’est rien d’autre qu’une absence de peine, une libération. Selon Schopenhauer et à proprement parler, le plaisir n’est rien. Par ailleurs, cette libération est de courte de durée puisqu’un autre désir prendra la place du premier. Si ce n’est pas le cas, alors on connaitra un autre sentiment qui ne lui est pas enviable : l’ennui. Sans désir l’être humain s’ennuie et l’ennui est aussi une souffrance car il nous confronte à notre peur de la mort.

  • La souffrance est donc selon Schopenhauer le propre de la vie humaine et elle ne prendra fin qu’avec la mort.

Fort heureusement, avant lui, Kant avait une vision bien moins pessimiste du bonheur.

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Réflexion

Kant : « le bonheur est un idéal de l’imagination »

« Le concept du bonheur est un concept si indéterminé, que, malgré le désir qu’a tout homme d’arriver à être heureux, personne ne peut jamais dire en termes précis et cohérents ce que véritablement il désire et il veut. […] Le problème qui consiste à déterminer d’une façon sûre et générale quelle action peut favoriser le bonheur d’un être raisonnable est un problème tout à fait insoluble […] parce que le bonheur est un idéal, non de la raison, mais de l’imagination. »

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À retenir

Puisqu’il est un idéal impossible à atteindre, le bonheur n’existe pas réellement. Ce n’est ni un état, ni un but : c’est une idée.

En tant qu’idée, le bonheur est imaginé différemment par chacun d’entre nous. Ainsi, certaines personnes qui, à nos yeux, possèdent peu de choses peuvent pourtant assurer qu’elles sont heureuses. Ces premières ont trouvé leur bonheur là où nous ne le trouverions pas forcément : elles ont atteint leur idéal particulier.

  • Plusieurs choses peuvent donc permettre de construire un bonheur qui nous est particulier.

Conclusion :

De nos jours, nous peinons à atteindre le bonheur et cela occasionne des frustrations. Souvent le problème est que nous identifions le bonheur au plaisir. Or, plus que jamais, les plaisirs sont faussés par notre modèle de société tourné vers la consommation. Pour la plupart d’entre nous, chercher son bonheur là-dedans revient à faire fausse route. En effet, dès l’Antiquité, les philosophes ont mis en évidence qu’accumuler les plaisirs éphémères ne suffit pas à être heureux.

Malheureusement, la société de consommation n’offre rien de plus que des objets rapidement démodés, usés et finalement jetés. Mieux vaut trouver notre bonheur dans des plaisirs durables : l’amour, l’amitié, la famille, la construction d’un patrimoine ou l’étude d’un sujet qui nous passionne. Là encore, la déception peut survenir car ces choses – censées faire notre bonheur – ne conviendront pas à tous.

Ces exemples ne sont heureusement pas les seuls que nous pourrions trouver. Si nous peinons tant à atteindre le bonheur, c’est peut-être parce qu’il n’existe pas. Il n’est rien de plus qu’une construction de l’esprit humain. Kant l’a très bien dit « le bonheur est un idéal de l’imagination. » C’est à la fois frustrant et réconfortant. En effet, si trouver le bonheur est impossible, inventer notre idéal particulier, et tout faire pour l’atteindre, est en revanche tout à fait possible.