L'historien et les mémoires de la Seconde Guerre mondiale de 1944 à 1970

Introduction :

Pour accomplir leur travail, les historiens dépendent des sources qui sont à leur disposition (les archives, mais aussi les traces matérielles comme les objets, par exemple). Ils sont également influencés par leur formation professionnelle et par le contexte dans lequel ils travaillent. De plus, un historien choisit de travailler sur des périodes plus ou moins éloignées dans le temps. Pour les périodes les plus récentes, les sources sont très nombreuses.

L’histoire est en perpétuelle reconstruction. Les sociétés se posent en général beaucoup de questions sur leur histoire. Parfois, certains épisodes du passé sont particulièrement sensibles. Ils sont liés à la mémoire des citoyens. On peut donc distinguer l’histoire et la mémoire : l’histoire, c’est décrire et expliquer ce qui s’est déroulé dans le passé, alors que la mémoire, c’est une manière d’interpréter, de « ressentir » ce passé.

Les historiens participent à l’élaboration d’une conscience historique des sociétés et depuis le début du XXe siècle, les mémoires « collectives plurielles » se sont multipliées, défendant des mémoires plus particulières.
Ces groupes sociaux interprètent le passé en fonction de leur propre vécu et de leurs propres attentes. Les groupes mémoriels défendent une certaine vision de l’histoire, ils l’interprètent à leur manière.

Les mémoires de la Seconde Guerre mondiale rentrent bien dans ce débat, en particulier la période de 1944 à 1970 : celle de la mémoire officielle et patriotique, le « résistancialisme ».

Rappels historiques : la Seconde Guerre mondiale

En juin 1940, moins d’un an après le début de la Seconde Guerre mondiale, la France connait la plus grande défaite de son histoire. Le pays est occupé par un ennemi, l’Allemagne nazie, la société s’effondre et s’en remet à un seul homme : le maréchal Pétain et son régime de Vichy.

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À retenir

Le régime de Vichy est un régime dictatorial qui entre dans une collaboration politique, idéologique, économique, militaire et culturelle avec l'Allemagne nazie.

De Gaulle, Jean Moulin, et de nombreuses personnalités refusent ce changement de régime et entrent en résistance face à Vichy. Plus on avance dans la guerre et plus la Résistance prend de l’ampleur : ce sont deux France qui s’affrontent pendant cette période.

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À retenir

Sur 40 millions de Français, il n’y a que peu de collaborateurs et peu de résistants. L’essentiel de la population est attentiste.

Cette période laisse cependant des traces extrêmement douloureuses dans la société française : Shoah, déportation, exécutions, délations…

La réconciliation nationale

À la Libération, de Gaulle veut une réconciliation nationale. Pour cela, il faut épurer la société française des éléments collaborateurs les plus en vue sous le régime de Vichy.

Problème : il faut aussi tourner la page et montrer une France unie. Avec un siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU, la France est un des 5 grands pays qui dominent le monde en 1945. Pour l’histoire officielle, cette France ne peut pas avoir collaboré.

Il y a donc :

  • une épuration légale : des procès dont celui du maréchal Pétain qui explique alors que son gouvernement fut un « bouclier » contre la fureur des nazis. C’est ce que les historiens nomment « le syndrome de Vichy » ;
  • une épuration illégale : des règlements de compte à la Libération en dehors de tout cadre légal (exécutions sommaires de collaborateurs et de miliciens, femmes mises à nues et tondues car elles avaient eu des relations intimes avec des Allemands).

Les historiens démontent cette thèse du bouclier et mettent en lumière les responsabilités de Vichy dans la collaboration avec l’Allemagne nazie.

Pétain, condamné à mort, est gracié par de Gaulle du fait de son rôle de premier plan lors de la guerre de 1914-1918 et de son grand âge. La tendance est à l’apaisement, à la réconciliation nationale et à la reconstruction.

Cependant les mémoires de certains massacres perpétrés par les nazis restent encore très vives, surtout à la Libération.

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Exemple

Oradour-sur-Glane, village massacré en juin 1944 par des soldats SS de la division « Das Reich » qui comptait des « malgré nous » (ce sont des Alsaciens-Lorrains, enrôlés de force dans l’armée allemande).

La volonté de tourner la page de la Seconde Guerre mondiale et d’occulter le rôle du régime de Vichy a provoqué la naissance du « résistancialisme ».

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Définition

Résistancialisme :

Le « résistancialisme » est la volonté de mettre en place une mémoire officielle de la France résistante et d’oublier Vichy et la collaboration.

La mémoire Gaulliste

De Gaulle et les gaullistes ont érigé cette mémoire :

  • par les lois d’amnistie de 1947, 1951 et 1953. Elles ont pour fonction de « faire taire » le passé et de retrouver un consensus national après un traumatisme profond, en effaçant une partie des crimes commis ;
  • par un culte qui veut faire penser que la France entière a résisté, en occultant les « attentistes » et la collaboration sous toutes ses formes. Ceci est transmis via les discours officiels et les lieux de mémoires qui sont omniprésents dans la société d’après-guerre :
  • le Mont Valérien à Suresnes est un haut lieu de la mémoire gaulliste. De nombreux résistants y tombèrent sous les balles des pelotons d’exécution nazis ;
  • le Vercors est un autre haut lieu de la résistance maquisarde sur le sol français. En 1944, le maquis du Vercors dénombrait près de 4 000 résistants ;
  • par la mise en avant de grandes figures de la résistance, comme Jean Moulin, un résistant de la première heure qui fut mandaté par de Gaulle pour unifier la résistance intérieure. Arrêté à Lyon par la gestapo, il est torturé par l’allemand Klaus Barbie et meurt dans le train qui l’amenait dans un camp de concentration en Allemagne.
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À retenir

Jean Moulin transcende les clivages politiques et il est le symbole de la France résistante. Le transfert de ses cendres au Panthéon en 1964 est l’apogée de cette mémoire résistante.

La mémoire communiste

La mémoire de la Seconde Guerre mondiale, c'est aussi la mémoire communiste.

Le parti communiste est interdit en septembre 1939 suite au pacte de non-agression entre l’URSS et l’Allemagne nazie. Après un flottement de la direction du parti sur la conduite à tenir, beaucoup de communistes rentrent individuellement dans la résistance. C’est après l’agression de l’URSS par les nazis que le parti communiste clandestin s’engage véritablement contre l’occupant.

Très structuré, le PCF (parti communiste français) se fond dans la Résistance et rentre dans l’unité voulue par de Gaulle et Jean Moulin. Pourchassés et haïs par Vichy et les nazis, ils payent un lourd tribut : à la Libération on parle du « Parti des fusillés ».

Alt texte Monument de la Carrière des Fusillés de Châteaubriant - ©Micsterm - CC-BY-SA-4.0

Châteaubriant est un haut lieu de la mémoire communiste résistante, où furent exécutés des résistants du PCF. Le plus jeune exécuté de Châteaubriant est le célèbre Guy Môquet.

Conclusion :

Un pays a toujours du mal à regarder un passé douloureux en face. De 1945 aux années 1970, la France vit dans le « résistancialisme », courant entretenu par les gaullistes et les communistes pour des raisons différentes mais qui laisse à penser que la France a été essentiellement résistante. C’était oublier qu’une grande partie des Français n’avaient, au mieux, rien fait, et que certains avaient même collaboré activement avec l’occupant.