Les Caractères

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Les Caractères, La Bruyère : un art nouveau du portrait et de la polémique

Introduction :

Comme Montaigne avec ses Essais, Jean de La Bruyère est l’homme d’un seul livre. Il passe plus de dix ans à observer ses contemporains, compilant et classant des notes qu’il publiera à travers neuf éditions différentes. Cette démarche montre à quel point Les Caractères est l’œuvre de toute une vie. Elle témoigne de l’acharnement d’un homme à saisir ce qu’il désigne dès le sous-titre comme « les mœurs de ce siècle ». La Bruyère est donc un moraliste, au sens le plus conventionnel de ce terme, c’est-à-dire qu’il observe, décrit et analyse les comportements et les passions de ses contemporains. Cette entreprise l’ancre fermement dans le courant du classicisme, entendu ici comme une esthétique dont Nicolas Boileau a établi les règles. La plus fameuse illustration de ce style, très lié au dix-septième siècle, étant à chercher dans les pièces de théâtre de Racine.

Néanmoins, ce cours voudrait montrer ce qui fait la singularité des Caractères en se demandant quels sont les rapports qu’entretient ce livre avec l’art du portrait. En effet, La Bruyère rend compte d’une manière très personnelle des mutations sociales, morales et intellectuelles qui ont lieu sous le règne de Louis XIV. Pour cause, il est à la fois un témoin privilégié et un acteur de ces tensions pendant toute la période qui occupe la publication de son ouvrage : de 1688 à 1694. Pour bien comprendre cette œuvre exigeante, il faut donc se demander dans quel contexte de la vie personnelle de l’auteur elle est écrite, et en quoi cela entre en résonance avec l’apparente discontinuité du discours. Il est aussi nécessaire de garder en mémoire une ambition manifeste de La Bruyère : réussir à rendre compte exactement de ce qu’est la société dans laquelle il vit. De la sorte, on pourra savourer toutes les subtilités poétiques et polémiques offertes par une œuvre moraliste.

La discontinuité du discours

Le parcours professionnel de La Bruyère l’amène à fréquenter des milieux très différents. D’abord avocat, issu d’une famille bourgeoise normande, il va ensuite devenir précepteur puis bibliothécaire auprès du duc de Bourbon. Ces fonctions lui permettent d’observer de manière privilégiée les allées et venues des courtisans de la cour. Élu à l’Académie française, défenseur des « Anciens » dans la célèbre querelle des Anciens et des Modernes, il est plein d’une grande érudition humaniste et voit arriver l’esprit moderne qui laissera progressivement la place aux idées des Lumières.

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Définition

Querelle des Anciens et des Modernes :

Différend qui oppose, au XVIIe siècle, ceux qui défendent l’idée que la pensée contemporaine est supérieure à celle des penseurs de l’Antiquité, et ceux qui se réclament de l’héritage antique.

Une structure étonnante

Il est difficile de trouver ce qui unit les différents chapitres de l’ouvrage. La Bruyère prétend par exemple qu’il faut trouver la cohérence entre les quinze premiers chapitres dans le fait qu’ils cherchent à dénoncer « le faux et le ridicule » des passions humaines, ce qui semble bien général et n’explique pas l’organisation de la structure. Ce désordre n’est pas en accord avec l’esthétique classique.

Le plan d’ensemble n’a pas de logique interne, les fragments sont de tailles et de natures dissemblables, tous les genres se mélangent. Il y a donc un véritable goût de la rhapsodie qui rapproche beaucoup ce texte de notre modernité littéraire souvent marquée par la discontinuité ou l’écriture sporadique.

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Définition

Rhapsodie :

Le terme désigne d’abord une œuvre musicale faite de thèmes soudés les uns aux autres, mais par extension il désigne aussi tout ouvrage constitué de morceaux liés entre eux.

Toutefois, il ne faut pas voir dans cet éclatement du plan et dans cette longue juxtaposition de brefs paragraphes une volonté de provoquer. Pour La Bruyère, il est question d’assembler des morceaux bien constitués, plutôt que de désarticuler son discours.
L’idée est d’aborder un même sujet, c’est-à-dire la vie de ceux qui composent la cour de Louis XIV, sous des angles différents.

Très certainement, la raison d’une telle structure éclatée est religieuse. En effet, La Bruyère place son ouvrage sous le patronage des Proverbes de Salomon, qui se trouvent dans la Bible. C’est la preuve de la grande piété de La Bruyère. Les Caractères peuvent donc être compris comme un enchaînement de méditations catholiques qui visent à une meilleure connaissance de Dieu.

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Définition

Proverbe :

Affirmation brève qui tend à affirmer une vérité.

Jean de la Bruyère, par Vigée Lebrun (1775) Jean de la Bruyère, par Vigée Lebrun (1775)

Un cheminement exigeant

La cohérence de l’œuvre est donc à chercher dans les thèmes et dans l’esprit général du texte. Bien que Les Caractères puisse être désigné comme un exemple de littérature d’idées, l’auteur ne cherche pas à mener son lecteur d’un point A à un point B, en suivant une démonstration parfaitement logique. Il s’agit plutôt de faire une promenade d’une idée à une autre, d’un aspect du siècle à l’autre. Nous sommes là devant un voyage au cœur des idées.

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Définition

Littérature d’idées :

Genre littéraire qui cherche à véhiculer une pensée, que ce soit à travers un essai, un pamphlet, un écrit philosophique, etc.

Outre ce motif de la promenade, il est possible d’affirmer que Les Caractères se construit selon une logique de la conversation. La Bruyère s’inspire des salons tenus par la noblesse de son époque, et dans lesquels les femmes de l’aristocratie se retrouvaient pour discuter et s’instruire. Suivant ce modèle, il y aurait dans les mots de La Bruyère une volonté de créer une certaine intimité avec son lecteur, un désir de le séduire par la parole. Cela permet des transitions plus fluides et plus spontanées.

Membres de l’aristocratie française au XVIIe siècle Membres de l’aristocratie française au XVIIe siècle

Dès lors, La Bruyère veut que les fragments qu’il propose soient plus subtils que de simples maximes. Il considère que cette forme est trop prescriptive, autrement dit qu’elle pousse trop à donner des ordres. C’est pourquoi il préfère écrire des « remarques », un genre qui a davantage l’ambition de décrire des traits de caractère que d’indiquer des comportements à suivre, bien que parfois Les Caractères semble édicter des lois morales.

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Définition

Maxime :

Règle de conduite morale à respecter.

Dans sa préface, La Bruyère précise :

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Citation

« Ce ne sont point des maximes que j’aie voulu écrire ; elles sont comme des lois dans la morale, et j’avoue que je n’ai ni assez d’autorité ni assez de génie pour faire le législateur. »

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À retenir

La forme brève qui caractérise Les Caractères s’explique, en partie, par les nombreuses expériences vécues par leur auteur et par sa position au centre des débats intellectuels de son siècle. En effet, un discours souvent interrompu permet de proposer des points de vue différents sur certains sujets et de souligner les évolutions d’une pensée.

Un reflet des mœurs et de la politique du « Grand Siècle »

En arrivant au pouvoir, Louis XIV déplace la cour royale au château de Versailles, qui n’était alors qu’un simple pavillon de chasse. Ainsi exclue de Paris, empêchée de se voir attribuer des fonctions au sein du gouvernement, la noblesse est condamnée à l’oisiveté, et se complaît dans l’art de la conversation que nous venons de décrire. Le roi invite des membres de la riche bourgeoisie à travailler à ses côtés, mais quand ils déçoivent ils sont vite condamnés à l’emprisonnement ou à l’exil. Ce sont les destinées de ces nobles qui s’ennuient et de ces bourgeois à la carrière aussi fulgurante que mouvementée que se plaît à dépeindre La Bruyère.
À travers des idéalisations ou des caricatures de ces évolutions sociales, chaque chapitre concourt à faire la critique des mœurs du « Grand siècle ».

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Définition

Caricature :

Exagération des caractéristiques physiques ou morales d’une personne ou d’une situation, dans le but de plaire ou de se moquer.

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Définition

Grand siècle :

Périphrase servant à désigner le règne de Louis XIV ou, plus largement, tout le XVIIe siècle : période durant laquelle le royaume de France domine l’Europe.

L’idéal de l’honnête homme

La Bruyère ne définit pas ce qu’est un « caractère » pour ne pas avoir à s’enfermer dans un genre trop strict et pour pouvoir faire en sorte que ses critiques touchent à la fois au particulier (tel ou tel courtisan ou courtisane) et à l’universel (définir ce qui fait le propre de l’homme par exemple).

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Attention

Il ne faut pas croire que La Bruyère est seulement un caricaturiste qui se plaît à observer l’hypocrisie, la futilité ou le pédantisme des partisans ou des femmes galantes. Au-delà de ça, et comme Molière qui propose des portraits de ridicules comme Tartuffe ou Magdelon, il cherche aussi un modèle vertueux que chacun puisse suivre.

Tartuffe dans la pièce éponyme de Molière Tartuffe dans la pièce éponyme de Molière

Madeleine Béjart dans le rôle de Magdelon dans Les Précieuses ridicules de Molière Madeleine Béjart dans le rôle de Magdelon dans Les Précieuses ridicules de Molière

Ce modèle, La Bruyère le trouve dans la figure de « l’honnête homme », qui vient faire contrepoint à la lâcheté des faibles, à l’orgueil des puissants, à la grossièreté des travailleurs, à la préciosité des courtisans. C’est un contre-modèle du héros militaire qui se distingue par sa bravoure et qui cherche la gloire, et qu’un auteur comme Corneille valorisait.
Les vertus de l’honnête homme sont sociales et morales. D’abord il doit se montrer bon et mesuré dans ses propos, ensuite il doit faire preuve d’une extrême politesse. Ajoutons qu'il doit être issu de la noblesse.

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Définition

Vertu :

Disposition à faire le bien.

Dans le quarante-troisième fragment du chapitre IX, La Bruyère explique qu’il faut valoriser la bonne naissance des princes, en leur inculquant certaines valeurs :

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Citation

« […] ils ont une fierté naturelle qu’ils retrouvent dans les occasions ; il ne leur faut des leçons que pour la régler, que pour leur inspirer la bonté, l’honnêteté et l’esprit de discernement. »

La subtilité dans le jugement est peut-être la qualité majeure de l’honnête homme dans le chapitre V :

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Citation

« Un honnête homme qui dit oui et non, mérite d’être cru : son caractère jure pour lui, donne créance à ses paroles, et lui attire toute sorte de confiance. »

La comédie dans les chapitres V à X

Plus fortement que le dessin de l’honnête homme, le comique et le burlesque du style de La Bruyère sont censés frapper le lecteur. Généralement, ce rire provient du décalage entre la grandeur sociale des personnages et la médiocrité de leur discours ou de leur comportement. Par exemple dans le chapitre VIII, le courtisan est un être inutile qui, comme une aiguille de montre, « revient souvent au même point d’où il est parti ».

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Définition

Burlesque :

Genre littéraire qui consiste à parodier en faisant contraster des propos vulgaires et des propos délicats.

Au cœur de l’ouvrage, au sein des chapitres V à X, on retrouve une multitude de sujets que ce décalage humoristique vise à condamner : l’argent, l’anarchie, la violence, entre autres.

Pour La Bruyère, la déchéance de la société est liée à la propagation des biens, qui fausse les rapports sociaux. Ainsi les jeux d’argent seraient « l’une de ces choses qui nous rendent barbares à l’autre partie du monde », et cela conduirait à devenir un « fripon ».

Les joueurs de cartes, Theodoor Rombouts Les joueurs de cartes, Theodoor Rombouts

La Bruyère valorise une société en paix. Au même titre que la guerre, les troubles d’ordre civil sont souvent tournés en ridicule dans Les Caractères. Comme La Bruyère est un écrivain, on comprend qu’il soit sensible à la violence dans le langage. Par exemple, le fragment 27 du chapitre V n’y va pas de main morte pour dénoncer ceux qui utilisent la parole et l’art de la conversation pour encourager la haine :

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Citation

« Parler et offenser pour de certaines gens est précisément la même chose ; ils sont piquants et amers, leur style est mêlé de fiel et d’absinthe, la raillerie, l’injure, l’insulte leur découlent des lèvres comme leur salive ; il leur serait utile d’être nés muets ou stupides, ce qu’ils ont de vivacité et d’esprit leur nuit davantage que ne fait à quelques autres leur sottise : ils ne se contentent pas toujours de répliquer avec aigreur, ils attaquent souvent avec insolence ; ils frappent sur tout ce qui se trouve sous leur langue, sur les présents, sur les absents ; ils heurtent de front et de côté, comme des béliers : demande-t-on à des béliers qu’ils n’aient pas de cornes ? De même n’espère-t-on pas de réformer par cette peinture des naturels si durs, si farouches, si indociles ; ce que l’on peut faire de mieux, d’aussi loin qu’on les découvre, est de les fuir de toute sa force et sans regarder derrière soi. »

À l’opposé de ces condamnations, ces chapitres témoignent aussi d’un enthousiasme certain à l’égard de la méritocratie, et montrent une compassion non feinte devant les malheurs du peuple.
Il y aurait un écart entre la naissance et les mérites, et les « Grands » devraient chercher à augmenter leur mérite. La Bruyère écrit d’ailleurs : « Sentir le mérite ; et quand il est une fois connu, le bien traiter, deux grandes démarches à faire tout de suite, et dont la plupart des Grands sont incapables. ».
L’éducation du peuple est donc d’une grande importance. Ce dernier fait moins souvent l’objet de la satire que la noblesse. Par exemple, dans le chapitre IX les nobles qui ne veulent même pas avoir un prénom en commun avec un travailleur sont moqués : « C’est déjà trop d’avoir avec le peuple une même religion et un même Dieu ; quel moyen encore de s’appeler Pierre, Jean, Jacques, comme le marchand ou le laboureur : évitons d’avoir rien de commun avec la multitude, affectons au contraire toutes les distinctions qui nous en séparent. »

Sébastien Bourdon, Scène d’intérieur ©2001 RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Franck Raux Sébastien Bourdon, Scène d’intérieur ©2001 RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Franck Raux

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À retenir

Même s’il prend la défense des plus pauvres, ses attaques, parfois comiques, des mœurs et de la politique du « Grand siècle » ne font pas de La Bruyère un démocrate. Contre la fausseté et la vanité de la noblesse, le peuple a la vertu d’être franc et humble, mais cette flatterie n’est que symbolique, car La Bruyère n’appelle jamais à la charité et valorise le travail et l’idéal chrétien auprès des petits comme des « Grands ».

L’accent du moraliste

Ce que met surtout en avant La Bruyère dans ses Caractères, c’est son style. Certes, sa pensée s’inspire de Montaigne et de ses Essais, mais aussi des Pensées de Pascal, pour la défense de la foi, et des Maximes de La Rochefoucauld.

Tous ces moralistes ne sont jamais totalement moralisants parce qu’ils se contentent de nous inviter à nous corriger. Finalement un « moraliste » comme La Bruyère n’est jamais si « moralisateur ». En réalité le moraliste cherche à nous inviter à nous corriger. L’idée est ainsi de se rapprocher d’un idéal de perfection dans l’écriture, quand bien même celui-ci est impossible à atteindre.

Être un spectateur du monde

Par bien des aspects, il est possible de comparer le travail de La Bruyère à celui d’un peintre, plus précisément à celui du portraitiste. L’observation est un atout fondamental pour faire œuvre de moraliste. Autrement dit, il faut avoir beaucoup vécu, et se prendre de passion pour la description de ce que l’on a vu. Parfois, La Bruyère commente ce qu’il est en train d’écrire, comme un peintre qui prendrait du recul sur son tableau : « Les couleurs sont préparées, et la toile est toute prête. »

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Définition

Portraitiste :

Peintre ou dessinateur qui se spécialise dans l’art du portrait.

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Attention

Contrairement au portraitiste qui cherche à révéler la singularité de son sujet, en montrant l’exceptionnel dans les traits d’un visage, les remarques des Caractères se donnent comme objectif principal de « peindre les hommes en général ».

Cette peinture du monde se donne comme objectif principal de produire le même effet qu’un miroir. Écrire doit servir à instruire avant de servir à plaire. C’est une intention difficile, puisque cela suggère de montrer la laideur morale du lecteur. Il faut donc savoir séduire sans flatter pour inciter à changer.

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Citation

« […] on ne doit parler, on ne doit écrire que pour l’instruction ; et s’il arrive que l’on plaise, il ne faut pas néanmoins s’en repentir, si cela sert à insinuer et à faire recevoir les vérités qui doivent instruire. »

Diego Velázquez, Les Ménines Diego Velázquez, Les Ménines (1657). Dans ce tableau qui représente le peintre lui-même, le spectateur devine dans le miroir du fond le roi et la reine, peut-être le sujet du peintre. Mais le jeu des perspectives et des reflets peut aussi donner l’impression que c’est nous, spectateur, qui sommes le sujet du portrait en cours.

Pour mener à bien cette mission de représentation du monde, l’auteur aspire à une position de retrait, de surplomb. Mais en même temps il fait partie du monde, et donc il choisit de se pencher sur les détails de ce qu’il voit. Est-il seulement capable de se regarder lui-même ? Par endroit, La Bruyère se juge lui-même pour ne pas passer pour un donneur de leçons.

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Exemple

Les différents points de vue sont un indice des changements de perspectives du peintre moraliste. Une fois, il s’inclut dans son énoncé par un « nous » :

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Citation

« Une froideur ou une incivilité qui vient de ceux qui sont au-dessus de nous, nous les fait haïr ; mais un salut ou un sourire nous les réconcilie. »

Une autre fois, il utilise un « on » de vérité générale :

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Citation

« L’on ouvre et l’on étale tous les matins pour tromper son monde ; et l’on ferme le soir après avoir trompé tout le jour. »

Une autre fois encore, il montre du doigt par l’usage de la troisième personne :

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Citation

« Il y a même des stupides, et j’ose dire des imbéciles qui se placent en de beaux postes […] on leur a dit, voulez-vous de l’eau ? puisez ; et ils ont puisé. »

Devenir un brillant rhéteur

La Bruyère veut que sa parole, à travers Les Caractères, ait une portée performative. C’est-à-dire qu’il ne veut pas faire qu’une peinture, ou n’être qu’un spectateur des mondanités. Il espère sincèrement que sa pensée va avoir un impact réel sur la vie de ceux qui le lisent.
Il privilégie l’action sur les discours sans fin, et utilise la rhétorique comme une arme au service de la dénonciation des vices. C’est pourquoi il alterne entre des blâmes et des éloges : au-delà de la représentation, il vise l’interprétation.

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Définition

Performatif :

Qui réalise une action juste par le fait d’être prononcée.

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Définition

Mondanités :

Occupations sociales superficielles.

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Définition

Rhétorique :

Ensemble des techniques du discours.

La Bruyère est un admirateur des grands orateurs de l’Antiquité, de ceux qui maîtrisent l’art de l’éloquence. Notamment, il écrit des plaidoiries ou des jugements qui visent à montrer sa maîtrise du registre polémique.

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Définition

Éloquence :

Manière de parler dans le but de convaincre ou d’émouvoir.

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Définition

Plaidoirie :

Exposé oral dans lequel on prend la défense de quelqu’un.

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Définition

Polémique :

Discussion dans laquelle sont soulevées des opinions contradictoires.

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Exemple

Parmi les portraits cinglants qui se trouvent dans Les Caractères, on trouve un réquisitoire sévère des jeunes magistrats ambitieux :

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Définition

Réquisitoire :

Dans un procès, discours prononcé par l’accusation.

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Citation

« Il y a un certain nombre de jeunes magistrats que les grands biens et les plaisirs ont associés à quelques-uns de ceux qu’on nomme à la cour de petits-maîtres : ils les imitent, ils se tiennent fort au-dessus de la gravité de la robe, et se croient dispensés par leur âge et par leur fortune d’être sages et modérés. Ils prennent de la cour ce qu’elle a de pire : ils s’approprient la vanité, la mollesse, l’intempérance, le libertinage, comme si tous ces vices leur étaient dus, et affectant ainsi un caractère éloigné de celui qu’ils ont à soutenir, ils deviennent enfin, selon leurs souhaits, des copies fidèles de très méchants originaux. »

Le magistrat anglais, William Hogarth (1750) Le magistrat anglais, William Hogarth (1750)

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Attention

Cette tendance à vouloir être polémique et à vouloir passer pour un brillant rhéteur (maitre de rhétorique), fait de La Bruyère un auteur qui peut parfois verser dans la satire, l’ironie ou la cruauté. Par exemple, il peut être soupçonné de misogynie dans le sens où il réduit, par endroits, la femme à son physique ou alors quand il considère qu’elle se soucie trop du paraître. Toutefois, il ne manque pas, à d’autres endroits, de montrer que ces considérations sont réductrices. Il s’empresse alors de faire le portrait de la femme « savante », comme dans le troisième chapitre.

Conclusion

Pour conclure, on peut dire que Les Caractères sont non seulement un reflet des mœurs et de la politique du « Grand siècle », mais aussi une réflexion sur les pouvoirs du langage. La nouveauté formelle de l’œuvre de La Bruyère, qui fait qu’elle s’ancre dans une tradition classique et s’en démarque par une certaine modernité, réside dans la fragmentation du discours.
En effet, l’éclatement de la parole permet de conserver les codes de la rhétorique classique, de continuer à véhiculer des valeurs traditionnelles chrétiennes ou aristocratiques, tout en offrant une liberté de tons et le déploiement d’un art du portrait. Les Caractères est donc un ouvrage en train de se faire et donc toujours soumis à la critique : l’auteur pense en même temps qu’il écrit.
Dès lors, La Bruyère n’est pas trop sévère avec son lecteur. Il réfute la rhétorique du sermon, issue de la tradition religieuse, et privilégie le comique, qui est une trace de ce désir de réalisme. Au-dessus de tout, La Bruyère voudrait atteindre une forme de naturel, c’est-à-dire un style à la fois clair et agréable, mais dans lequel miroitent les mille nuances de l’existence humaine.