La littérature d'idées du XVIe au XVIIIe siècle

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Introduction

Selon le dictionnaire Cnrtl (dictionnaire du CNRS), la littérature est « l’ensemble des productions intellectuelles qui se lisent, qui s’écoutent ». Cette définition, mettant l’accent sur l’« intellect », s’accorde bien avec l’idée que la littérature peut transmettre des idées. Mais le terme littérature a aussi des connotations dont cette définition ne tient pas compte ; la littérature est en effet associée à l’imaginaire, au rêve, à l’aventure, à la distraction… qui sont à l’opposé de l’intellect, du sérieux, de la rigueur propres à la formulation d’idées. L’expression « littérature d’idées » peut donc être comprise ou ressentie comme un oxymore – alliance de termes opposés –. Cet oxymore présente l’intérêt de montrer qu’une fiction peut avoir deux niveaux de lecture : la fiction proprement dite, avec ses personnages, leurs heurs et malheurs, le monde dans lequel ils évoluent et, à un autre niveau, les intentions de l’auteur, ce qu’il a voulu montrer, critiquer, dénoncer… à travers son œuvre. La littérature d’idées n’est donc pas seulement une littérature qui se présente d’emblée comme « sérieuse » mais elle peut être aussi une littérature en apparence entièrement vouée à divertir le lecteur.
Pour illustrer cette diversité de la littérature d’idées, nous montrerons dans un premier temps ce qu’il faut entendre précisément par « idées », et quels genres littéraires ont été mis au service des idées pendant la période étudiée ; puis nous décrirons les contextes historiques et politiques des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles qui ont favorisé l’éclosion de ce type d’écrits. Enfin, nous étudierons à partir d’exemples précis empruntés à des œuvres emblématiques de ces trois siècles les procédés les plus courants utilisés pour exposer les idées de leurs auteurs.

L’idée en littérature

Définition et exemple

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À retenir

L’idée est une opinion, une réflexion, une philosophie transmise au public via la littérature. On parle alors de littérature d’idées. Ce type de littérature a pour but de faire réfléchir le récepteur de l’œuvre (lecteur, auditeur ou spectateur) et de développer son esprit critique : elle est un moyen de l’informer, de le convaincre ou de le persuader du bien-fondé des idées exprimées afin de le rallier à elles, de dénoncer certaines réalités.

Par exemple, au XVIe siècle, dans le poème Les Tragiques (1577), Agrippa d’Aubigné s’engage en faveur des protestants en rappelant leur martyr au cours des guerres de religion : en effet, quelques années auparavant, le jour de la Saint-Barthélemy (24 août 1572) avait marqué le début d’une série de massacres de protestants perpétrés par les catholiques soutenus par le pouvoir royal (le roi Charles IX et sa mère Catherine de Médicis). La thèse d’Agrippa d’Aubigné est donc religieuse et morale : le poète décrit les combats entre le Bien (les protestants) et le Mal (les Catholiques).
Au XVIIe siècle, dans sa pièce L’École des femmes, Molière dénonce les mariages forcés entre de toutes jeunes filles et des vieillards : le personnage d’Arnolphe recueille une jeune fille et l’isole du monde pour pouvoir l’épouser en s’assurant de sa fidélité. Le dramaturge dénonce ici un fait de société.
Au XVIIIe siècle, dans l’article de l’Encyclopédie (1751), Diderot s’oppose à la monarchie absolue en affirmant son manque de légitimité et en revendiquant plus de liberté pour le peuple. Il déclenche ainsi des actions hostiles de la part des défenseurs du régime en place. Sa thèse est politique.

Comme le montrent ces trois exemples, les œuvres accueillant des idées appartiennent à des genres littéraires très variés (ici, poésie, théâtre, article d’encyclopédie). Certains genres se présentent d’emblée comme sérieux, voués à exposer des idées (l’Encyclopédie) ; d’autres semblent au premier abord plutôt voués au divertissement, au spectacle, au rire (les comédies ballets de Molière) ou au rêve (la poésie). Selon le genre d’œuvre mis à profit, l’auteur peut procéder par argumentation directe : il n’a pas recours à la fiction et s’exprime en son nom, en s’impliquant personnellement. Par exemple Diderot signe l’article « Autorité politique ».
Sinon, l’auteur utilise une argumentation indirecte : ses idées s’incarnent dans des personnages, dans une situation, une intrigue qui doivent faire réagir le lecteur – ou spectateur de théâtre. Sa thèse n’est donc pas toujours exprimée explicitement mais c’est au lecteur de la comprendre à partir de la fiction créée. Ce type de littérature a eu l’avantage, à des époques où la censure surveillait les productions littéraires, d’éviter l’interdiction et le retrait des œuvres concernées.

  • Les formes de la littérature d’idées évoluent en fonction du contexte historique, social, politique, culturel d’une époque.

Ainsi, la lettre ouverte (article publié dans la presse sous forme de lettre avec un destinataire parfois nommé) ne peut exister qu’après l’invention de la presse et les progrès de sa diffusion : « J’accuse » d’Émile Zola, publié dans le journal L’Aurore le 13 janvier 1898, est révélateur de ces évolutions formelles.

Voyons quels genres littéraires se sont prêtés à une argumentation directe ou indirecte aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles.

Les genres

Les genres argumentatifs directs

  • L’essai

Ce genre littéraire tient son nom de Montaigne. Dans ses Essais (trois livres publiés de 1580 à 1595), Montaigne procède « par sauts et par gambades » : il aborde des thèmes variés dans des écrits rassemblés mais autonomes et souvent retouchés par leur auteur au gré de sa réflexion : c’est une pensée jamais achevée qui « s’essaie ». Montaigne ne raconte pas l’histoire de sa vie mais analyse ce qu’il pense, ce qui le met en joie, le révolte ; ainsi, il se raconte par sa vie intérieure.

  • Certains essais peuvent être intitulés : Pensées, Réflexions ou Méditations.

Les Pensées de Pascal regroupent des textes autonomes dont la thématique commune est la religion catholique dont l’auteur fait l’éloge (1670). L’œuvre nous est parvenue sous forme fragmentaire. Ce sont en fait les proches de Pascal qui ont donné ce titre à un recueil de réflexions publié de manière posthume, Pascal étant mort à 39 ans.
Au XVIIIe siècle, Diderot publie des Pensées philosophiques et Montesquieu des Pensées. Au XVIIe siècle (1641), Descartes compose ses fameuses Méditations métaphysiques. Au même siècle, le philosophe Spinoza livre des Pensées métaphysiques (cogitata metaphysica). Avant eux, l’empereur romain Marc Aurèle avait écrit un journal intime pendant ses temps de repos sur les champs de bataille qui fut publié par la suite sous le titre Pensées pour moi-même.

  • Le genre de l’essai a connu une belle longévité. Mais, contrairement à ce qu’il était originellement, l’essai contemporain a perdu sa nature fragmentaire : il s’agit aujourd’hui non plus d’un groupement de textes de longueur variée mais d’un texte unique plus long.
  • La maxime
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Définition

Maxime :
Une maxime est une affirmation de caractère général qui n’est accompagnée d’aucun raisonnement.

C’est au lecteur de réfléchir à ce qui est dit en confrontant les mots à son expérience personnelle.

  • Cet art d’exprimer en peu de mots une vérité générale en l’accompagnant d’esprit, d’effets de surprise (l’art de la formule) a fleuri dans les salons du XVIIe siècle animés par des femmes de la haute noblesse.

La Rochefoucauld brille dans cet art et publie en 1664 : Réflexions et sentences ou Maximes morales. Voici un exemple de maxime :
« Il est de l’amour comme de l’apparition des esprits : tout le monde en parle, mais peu de gens en ont vu. »

  • Le discours
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Définition

Discours :
Il s’agit d’un texte oralisé ou qui obéit aux codes de l’oralisation même s’il est écrit : il interpelle directement le destinataire du texte et, plus largement, l’auditoire ou le lectorat.

En 1562, Ronsard dans ses Discours s’élève contre les protestants qui selon lui représentent un danger pour la paix du royaume de France. En 1685, le dramaturge Racine fait devant l’Académie française l’éloge de son rival Corneille. En 1750, Rousseau compose un Discours sur les Arts et les sciences dans lequel il fait l’éloge du « bon sauvage », homme primitif et « naturel ». Trois ans plus tard, il participe à un concours d’éloquence proposé par l’Académie de Dijon en répondant à la question : « Quelle est l’origine de l’inégalité des conditions parmi les hommes ? ». Sa dissertation nous est parvenue sous le titre : Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes. Il y revendique une plus grande liberté pour tous.

  • Le débat ou dialogue philosophique
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Définition

Débat ou dialogue philosophique :
Ce genre littéraire permet une confrontation d’idées sous forme d’échange ou de dialogue direct entre des interlocuteurs. Platon et ses dialogues philosophiques en sont les modèles formels.

Au XVIIIe siècle, dans Le Neveu de Rameau, Diderot fait converser deux personnages : le neveu de Rameau, personnage marginal, bohème et fantasque et un philosophe (lui-même). Cet échange permet d’aborder des sujets variés dans les domaines social, moral, artistique.

Des genres littéraires dont la fonction première est en apparence le divertissement véhiculent aussi des idées.

Les genres argumentatifs indirects

  • L’apologue
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Définition

Apologue :
C’est un récit bref dont se dégage un enseignement.

L’apologue est un terme général qui englobe plusieurs genres littéraires :

  • la fable : tout le monde connaît les Fables de La Fontaine, inspirées des fables du grec Esope. Constituées par un récit (pouvant mettre en scène des animaux) et une morale, la fable délivre une leçon de type moral ou politique. Au XVIIIe siècle, le fabuliste Florian est le digne successeur de La Fontaine. Certaines morales de ses fables sont entrées dans le langage commun sous forme de maximes : « Pour vivre heureux, vivons cachés » (« Le Grillon »), « Chacun son métier, les vaches seront bien gardées » (« Le Vacher et le Garde-chasse ») ;
  • le conte : au XVIIe siècle, Charles Perrault écrit un recueil de contes dont certains comportent des éléments merveilleux : Les Contes de ma mère l’Oye (1697) parmi lesquels on trouve : « La Belle au bois dormant », « Le Petit Chaperon rouge », « La Barbe bleue », « Le Maître chat ou le Chat botté », « Cendrillon ou la Petite Pantoufle de verre », « Riquet à la houppe », « Le Petit Poucet ». Son intention est de distraire tout en contribuant à l’éducation morale des enfants. Par exemple, dans « Le Petit Chaperon rouge », le loup symbolise le danger que peuvent représenter certains hommes pour des jeunes filles naïves et le récit les incite à la prudence ;
  • Le conte philosophique :

Avec ses contes (au sens de « courts récits »), Voltaire se sert de personnages et de situations pour exposer sa philosophie ou en critiquer d’autres : ainsi, Candide est à la fois une charge contre la philosophie de l’optimisme défendue par Leibniz et l’exposé d’une thèse : pour être heureux « cultivons notre jardin ». Les contes de Voltaire sont le cadre d’une critique de la société, du pouvoir et de la religion.

  • Le roman

Le cycle romanesque de Pantagruel, publié entre 1532 et 1562 par Rabelais (Pantagruel, Gargantua, Le Tiers Livre, le Quart Livre, le Cinquième Livre) met en scène des géants à la force et aux appétits excessifs : les aventures s’enchaînent, provoquant le rire, mais les sujets abordés sont en fait sérieux : l’éducation des enfants, la guerre et ses horreurs… Au XVIIIe siècle, le roman se fait épistolaire (par lettres) pour critiquer le pouvoir en place et les mœurs françaises : ce sont les Lettres persanes de Montesquieu.

  • Le théâtre

Les comédies de Molière appartiennent à la littérature d’idées : le dramaturge y brosse des portraits, certains intemporels (l’avare) ou propres à son temps (le faux dévot avec Le Tartuffe). Au XVIIIe siècle se développe la comédie de mœurs, qui devient le genre à la mode ; Beaumarchais offre à ses personnages une épaisseur romanesque avec une étoffe psychologique : le personnage de Figaro, héros de Le Mariage de Figaro a un esprit frondeur ; il anticipe les revendications des révolutionnaires, notamment dans le célèbre monologue de l’acte V, scène 3 où il se révolte contre la toute-puissance du comte Almaviva puis se remémore son parcours difficile d’homme du peuple :
« Non, monsieur le comte, vous ne l’aurez pas… Vous ne l’aurez pas. Parce que vous êtes un grand seigneur, vous vous croyez un grand génie ! Noblesse, fortune, un rang, des places, tout cela rend si fier ! Qu’avez-vous fait pour tant de biens ? Vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus : du reste, homme assez ordinaire ! Tandis que moi, morbleu, perdu dans la foule obscure, il m’a fallu déployer plus de science et de calculs pour subsister seulement, qu’on n’en a mis depuis cent ans à gouverner toutes les Espagnes ; et vous voulez jouter ! »

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À retenir

On retiendra donc que tous les genres littéraires peuvent être utilisés à des fins d’exposition d’idées.

Ces genres évoluent avec les époques mais certains se créent, comme les essais, à des moments particuliers de l’Histoire : certains faits culturels, sociaux ou certains événements historiques engagent les auteurs à s’exprimer, à pendre parti et à le faire sous la forme qui convient le mieux à leur inspiration. Or, le contexte des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles est particulièrement riche et explique la profusion d’œuvres « d’idées ».

Le contexte de la littérature d’idées aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles

XVIe siècle : la Renaissance et l’humanisme

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À retenir

À la fin du XVe siècle et au XVIe siècle, d’importants changements font évoluer les connaissances des Européens et bouleversent les mentalités. C’est d’abord leur manière de concevoir l’univers qui est transformée.
La découverte du nouveau monde joue un rôle important dans cette évolution.

En 1492 Christophe Colomb découvre l’Amérique. Quelques années plus tard, entre 1519 et 1522, le navigateur portugais Magellan effectue le premier tour du monde – ou « circumnavigation ». Les européens réalisent alors qu’il existe des peuples dont la culture est très éloignée de la leur. Cela incite les penseurs au relativisme, à la remise en cause de leurs mœurs, considérées jusqu’alors comme universellement partagées. La rencontre avec l’autre entraîne aussi à tester et à développer sa tolérance (capacité à accepter l’autre avec ses différences).
Montaigne, dans le livre III des Essais, montre que les Tupinambas, tribu d’Amazonie caractérisée par son cannibalisme, sont plus purs que les européens corrompus menés par leur cupidité. Montaigne invite le lecteur à repenser les notions de « sauvage » et de « barbare ». Ce qui rend barbare c’est le regard de l’autre : « chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage ». Quand il parle des atrocités commises par les Tupinambas – leur cannibalisme à l’égard des ennemis vaincus – il les compare à celles que commettent les Européens, soi-disant civilisés, pour montrer que ces derniers sont encore plus experts en cruauté et en supplices :
« Je pense qu’il y a plus de barbarie à manger un homme vivant qu’à le manger mort, à déchirer par des tortures et par des supplices un corps encore plein de sensibilité, à le faire rôtir par le menu, à le faire mordre et le mettre à mort par des chiens et des porcs (comme nous l’avons non seulement lu, mais vu de fraîche mémoire, non entre des ennemis anciens, mais entre des voisins et des concitoyens, et, qui pis est, sous prétexte de piété et de religion), que de le rôtir et de le manger après qu’il est trépassé. »

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À retenir

L’évolution des connaissances en astronomie change la face du monde : le Polonais Nicolas Copernic développe la théorie de l’héliocentrisme selon laquelle la Terre tourne autour du Soleil placé au centre de l’univers.

Il s’oppose ainsi à l’opinion communément admise et soutenue par l’église catholique qui soutient que c’est la Terre qui est au centre de l’univers et qu’elle est immobile. Même si la théorie de Copernic est condamnée par l’église car elle contredit les récits de la Genèse, elle entraîne nombre de conséquences ; en effet, elle révolutionne la pensée : les points de vue scientifique, philosophique et religieux sont touchés par cette nouvelle représentation de notre monde ; c’est pourquoi on parle de « révolution copernicienne ». L’univers apparaît alors comme recélant d’autres mystères à élucider ; on comprend que tout reste à découvrir ; comme il existe des civilisations lointaines aux confins de la terre, peut-être existe-t-il aussi d’autres planètes abritant d’autres formes de vie ?

Un siècle plus tard, Galilée reprend la théorie de l’héliocentrisme. Dans Histoire comique des États et Empires de la Lune, Cyrano de Bergerac se met lui-même en scène : afin de vérifier par l’expérience cette théorie, il s’envole jusqu’à la lune. Il y rencontre les Sélénites, ses habitants, qui l’observent comme un animal d’une espèce inconnue et s’interrogent sur les raisons qui auraient poussé Dieu à créer telle bizarrerie. Il est jugé, se défend en citant Aristote mais le tribunal le condamne pour avoir affirmé que la Lune est un satellite de la Terre – les Sélénites sont persuadés du contraire. Ce récit, considéré comme un des premiers ouvrages de science-fiction, relève d’un imaginaire fleurissant dans le terreau des nouvelles découvertes de la Renaissance. Il renverse les situations : au XVIe siècle, c’étaient les Indiens qu’on faisait comparaître devant des tribunaux pour décider s’ils avaient une âme ou non (voir la controverse de Valladolid). Cyrano démontre ainsi avec fantaisie que tout est relatif.

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À retenir

Une invention technique joue aussi un rôle capital dans l’évolution des connaissances et des mentalités : celle de l’imprimerie par Gutenberg vers 1450. L’imprimerie permet la diffusion du savoir et donne un accès direct aux textes, notamment aux textes religieux, jusqu’alors surtout connus par le biais des commentaires des hommes d’église.

Cet accès aux sources entraîne une lecture renouvelée et critique de la Bible et des Évangiles. La religion protestante (protestantisme ou Réforme) naît de cette lecture ; la Réforme rejette l’autorité de l’Église qui revendique le monopole de l’interprétation des textes bibliques (ainsi que le culte des Saints). Les guerres de religion entre catholiques et protestants éclatent en 1562. Les faits incitent les auteurs à prendre parti. Les penseurs protestants sont nombreux et féconds : en 1550, Théodore de Bèze compose une tragédie : Abraham sacrifiant, basée sur l’épisode du sacrifice d’Isaac (chapitre 22 de la Genèse). La pièce met en scène les thèmes fondamentaux de la Réforme comme la grâce divine et la prédestination et contient des passages satiriques dirigés contre le clergé catholique. Tout en créant une œuvre authentiquement théâtrale, simple et propre à susciter l’émotion, Théodore de Bèze donne une leçon religieuse à son public.
Conrad Badius écrit une comédie : La Comédie du pape malade, où il ridiculise l’Église et le pape. Agrippa d’Aubigné, soldat et diplomate, publie en 1616 un poème : Les Tragiques sous le pseudonyme L.B.D.D. (le bouc du désert : lieu secret où se déroule le culte protestant). Les protestants y représentent le Bien, opposés au Mal qu’incarnent les catholiques. En 1594, les sept auteurs de l’œuvre collective intitulée La Satire Ménippée tentent, par l’humour, de désamorcer les tensions à l’aide du ridicule. Inspirée du style du philosophe grec Ménippe, un cynique, l’œuvre raconte, de façon bouffonne, de faux états généraux de la Sainte Ligue (union générale des catholiques) ; les vrais, tenus en 1593, n’avaient abouti à aucun résultat. Tous les personnages sont ridiculisés ; ils sont montrés comme hypocrites et niais.
De son côté, le poète Ronsard épouse le parti adverse. Plusieurs de ses œuvres condamnent le protestantisme en tant que mouvement de contestation du pouvoir royal et des traditions françaises ; d’après Ronsard, ce sont les protestants qui sont la cause du désordre. Cette opinion est développée dans : Discours des Misères de ce temps, Continuation du Discours, Remontrance au peuple de France.

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À retenir

Dans le domaine culturel, l’époque est marquée par la redécouverte des textes grecs et latins, jusqu’alors perdus ou détruits au moment de la chute de l’Empire romain d’Occident. En 1453, avec l’invasion de l’Empire romain d’Orient par les troupes de Mehmet II, les lettrés quittent cette partie du monde pour se réfugier en Europe. Avec eux, ils emportent leurs bibliothèques riches en manuscrits.

Cette diffusion de textes anciens permet aux intellectuels de renouer avec la littérature et la philosophie antiques dont ils épousent les préceptes de sagesse. Dans ses Essais, Montaigne livre ses réflexions philosophiques inspirées de l’épicurisme.

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À retenir

Le XVIe siècle est le siècle de l’humanisme : la foi en l’homme, en sa capacité de progrès personnel et commun, est le fondement de ce courant de pensée.

C’est pourquoi la réflexion sur l’éducation et sur le meilleur système éducatif possible apparaît dans nombre d’œuvres de l’époque : la scolastique, enseignement médiéval reposant sur l’apprentissage par cœur, est rejetée au profit d’une éducation qui forme l’esprit, la réflexion, l’esprit critique. La réflexion prime sur le par cœur pour les humanistes ; il s’agit d’avoir une tête bien faite plutôt que bien pleine selon Montaigne. Le développement du corps et des capacités physiques est jugé très important aussi. Montaigne est un représentant de l’humanisme, ainsi que Rabelais.

Le XVIIe siècle et l’idéal de l’honnête homme

Le XVIIe siècle en France est dominé par la puissance royale de Louis XIV qui est alors le monarque le plus puissant d’Europe. Sa politique extérieure est caractérisée par un grand nombre de conflits armés. À l’intérieur, son règne est marqué par une intense vie de cour au château de Versailles, lieu où il séjourne régulièrement avant de s’y fixer définitivement le 6 mai 1682. À Versailles vivent plusieurs milliers de personnes, princes comme humbles serviteurs, qui gravitent autour du roi et de sa famille.
Cette proximité crée une micro-société obéissant à des règles précises : la vie de cour est codifiée, les courtisans qui fréquentent quotidiennement le château de Versailles s’astreignent à respecter un cérémonial dans l’espoir d’approcher le monarque, de lui plaire, d’en être distingué et, ainsi, de parvenir. C’est pourquoi les mœurs et l’idéal de « l’honnête homme » sont des sujets prédominants dans la littérature d’idées du XVIIe siècle.

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À retenir

Les grands auteurs de ce temps sont en effet tous des « moralistes », dont le but est de peindre les mœurs de leur temps de manière à faire prendre conscience à leurs contemporains de leurs travers et de leurs ridicules en société.

La Rochefoucauld (Les Maximes), La Bruyère (Les Caractères), Bossuet (Les Sermons), Pascal (Les Pensées) visent toujours à édifier le lecteur : ils veulent plaire sans renoncer à enseigner aux hommes de leur temps une sagesse propre à leur assurer une vie personnelle et sociale honnête et bonne. Molière lui aussi dépeint des vices à la fois universels et propres à son temps. L’idéal de « l’honnête homme » est ainsi une thématique largement partagée. Socialement, l’honnête homme dispose d’une aisance qui le soustrait aux travaux serviles et physiques. Il incarne tout ce à quoi aspire une société éduquée et raffinée : c’est un « homme poli et qui sait vivre » (Bussy), qui sait plaire en société par son attitude et sa conversation, qui ne heurte personne par l’étalage de ses connaissances ou par trop d’intérêt pour sa propre personne. L’honnête homme est aussi un être moral. Vertus et bienséances caractérisent ainsi l’honnête homme du XVIIe siècle tel qu’il est défini par exemple dans le traité de L’Honnête Homme, par Faret (1630).

Le XVIIIe siècle et les Lumières

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À retenir

Le XVIIIe siècle est caractérisé par son esprit contestataire qui aboutira à la Révolution française et au renversement de la monarchie en juillet 1789.

C’est le fonctionnement général de la société qui est remis en question : les systèmes politique, économique, social sont critiqués, voire dénoncés comme iniques (très injustes). L’aspiration à la liberté des individus et des peuples s’exprime avec verve.

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À retenir

Pour les penseurs d’un nouveau monde et d’une nouvelle société, la littérature est une arme ; c’est pourquoi ce siècle est particulièrement fertile en textes engagés et peut être considéré comme un âge d’or de la littérature d’idées.

Le terme « Lumières » désigne l’aspiration des philosophes à éclairer leurs concitoyens, à les sortir de l’ignorance (l’obscurité), en leur rendant accessible un savoir propre à éveiller leur conscience, leur raison et leur esprit critique.

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À retenir

L’œuvre majeure de ce temps qui en symbolise le projet est l’Encyclopédie à laquelle contribueront les plus grands penseurs et scientifiques de ce siècle. L’objectif était de vulgariser les connaissances acquises dans les domaines les plus variés et d’expliciter certaines notions relatives à la politique, la religion et l’économie en présentant un point de vue subjectif.

Par exemple, l’article « Autorité politique » de Diderot déclenche l’hostilité des partisans de la monarchie absolue car le philosophe y remet en cause la légitimité du pouvoir du roi. Bien loin d’être une encyclopédie au sens actuel du terme, l’encyclopédie du XVIIIe siècle s’ouvre à des prises de position et à des textes engagés et devient ainsi une vitrine des valeurs libérales des Lumières (laïcisation de la société, appel à la tolérance religieuse, critique des superstitions, valorisation de l’éducation, refus de la guerre …).

Toutefois, la censure limite cette liberté d’expression. Au XVIIIe siècle, on interdit certaines publications et on emprisonne leurs auteurs. Pour avoir publié sa Lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient, Diderot est emprisonné au château de Vincennes. La thèse du philosophe dans ce texte est que chacun perçoit les choses d’une manière qui lui est propre et que de ce fait, les aveugles ont une autre conception de la réalité que des personnes voyantes. Son relativisme, son matérialiste et son athéisme lui valent une condamnation.
En effet, les écrivains sont à cette époque soumis à l’arbitrage de censeurs royaux qui s’acharnent contre les philosophes comme Diderot, Voltaire, Rousseau ou encore Montesquieu. Afin d’esquiver la censure, les écrivains font imprimer leurs œuvres à l’étranger, parfois de manière anonyme : c’est le cas pour les Lettres Persanes et De l’Esprit des Lois de Montesquieu, publiées en Hollande. Mais la contestation se développe ainsi très souvent par le biais d’une argumentation indirecte. Les genres adoptés par les philosophes sont variés et témoignent de leur inventivité pour transmettre leurs idées : le récit et le théâtre sont ainsi mis à profit.

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À retenir

La littérature d’idées naît donc de la rencontre entre les problématiques d’une époque et un genre littéraire adapté au tempérament d’un auteur.

Quel que soit le genre et la forme de l’argumentation choisie, directe ou indirecte, certains registres et procédés sont mis en œuvre pour présenter la thèse de l’auteur.

Les procédés et registres littéraires dans la littérature d’idées

La littérature d’idées est caractérisée par l’emploi de registres particuliers.

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Définition

Registre littéraire :
Un registre littéraire (ou tonalité) correspond à l’intention de l’auteur d’une œuvre et à l’effet qu’il cherche à provoquer chez le lecteur ou le spectateur : émouvoir, amuser, provoquer la réflexion ou la critique.

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Attention

Il ne faut pas confondre registre de langue (soutenu, courant, familier) et registre littéraire. De même, le registre ne se confond pas avec le genre de l’œuvre car une même œuvre passe régulièrement d’un registre à un autre.

Les registres satirique et comique

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Définition

Satire :
Une satire est un écrit dans lequel l’auteur fait ouvertement la critique d’une époque, d’une politique, d’une morale ou attaque certains personnages en s’en moquant. Toute œuvre écrite, chantée, peinte, tout propos comportant une raillerie, une critique virulente reposant sur l’humour est une satire.

Par exemple, dans Les Caractères de La Bruyère, on peut lire :
« Ceux qui habitent cette contrée ont une physionomie qui n’est pas nette, mais confuse, embarrassée dans une épaisseur de cheveux étrangers, qu’ils préfèrent aux naturels et dont ils font un long tissu pour couvrir leur tête : il descend à la moitié du corps, change les traits, et empêche qu’on ne connaisse les hommes à leur visage. »

« De la Cour », fragment 74

La Bruyère, ici, évoque les longues perruques que portaient les courtisans de Louis XIV. Il critique leur goût pour l’artifice et les excès de leur accoutrement. En adoptant un point de vue d’ethnologue (« Ceux qui habitent cette contrée ») et en les décrivant comme s’il s’agissait d’un peuple aux mœurs étranges, il s’amuse et amuse le lecteur à leurs dépens. Le procédé employé est la caricature (« il descend à la moitié du corps »).

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À retenir

Le registre comique et le registre satirique sont associés ; leur but est en effet le même : faire rire ou sourire le lecteur ou spectateur. Ainsi, la satire est une composante du comique quand celui-ci se fixe comme but la critique.

Par exemple, dans Le Malade imaginaire, Molière fait la satire de la médecine en s’appuyant sur de nombreux effets comiques. Dans l’acte II, scène 6, Argan demande au jeune médecin Thomas Diafoirus, accompagné de son père, de l’ausculter : le comique vient de la parodie (une parodie est une imitation satirique) d’une consultation médicale (comique de situation), du langage pseudo savant né souvent d’un latin approximatif (comique de langage) et de la bêtise des caractères représentés (comique de caractère) : Argan pose des questions très précises comme si le médecin était omniscient et que tout pouvait devenir objet de prescription médicale, le médecin, lui, cherche à masquer son ignorance. La scène dépeint les médecins comme des mystificateurs qui exercent leur pouvoir sur les malades, totalement soumis à leurs préconisations.

« ARGAN. — Je vous prie, monsieur, de me dire un peu comment je suis.
MONSIEUR DIAFOIRUS lui tâte le pouls.— Allons, Thomas, prenez l’autre bras de monsieur, pour voir si vous saurez porter un bon jugement de son pouls. Quid dicis ?
THOMAS DIAFOIRUS. — Dico que le pouls de monsieur est le pouls d’un homme qui ne se porte point bien.
MONSIEUR DIAFOIRUS. —Bon.
THOMAS DIAFOIRUS. — Qu’il est duriuscule, pour ne pas dire dur.
MONSIEUR DIAFOIRUS. — Fort bien.
THOMAS DIAFOIRUS. — Repoussant.
MONSIEUR DIAFOIRUS. — Bene.
THOMAS DIAFOIRUS. — Et même un peu caprisant.
MONSIEUR DIAFOIRUS — Optime.
THOMAS DIAFOIRUS. — Ce qui marque une intempérie dans le parenchyme splénique, c’est-à-dire la rate.
MONSIEUR DIAFOIRUS. — Fort bien.
ARGAN. — Non ; monsieur Purgon dit que c’est mon foie qui est malade.
MONSIEUR DIAFOIRUS. — Eh ! oui ; qui dit parenchyme dit l’un et l’autre, à cause de l’étroite sympathie qu’ils ont ensemble par le moyen du vas breve, du pylore, et souvent des méats cholidoques. Il vous ordonne sans doute de manger force rôti ?
ARGAN. — Non ; rien que du bouilli.
MONSIEUR DIAFOIRUS. Eh oui : rôti, bouilli, même chose. Il vous ordonne fort prudemment, et vous ne pouvez être entre de meilleures mains.
ARGAN. — Monsieur, combien est-ce qu’il faut mettre de grains de sel dans un œuf ?
MONSIEUR DIAFOIRUS — Six, huit, dix, par les nombres pairs, comme dans les médicaments par les nombres impairs.
ARGAN. — Jusqu’au revoir, monsieur. »

Le registre ironique

Un autre procédé souvent employé par la satire est l’ironie.

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Définition

Ironie :
L’ironie consiste à dire le contraire de ce que l’on pense mais de manière à être bien compris du lecteur.

L’ironie est une atténuation de la critique formulée. Par exemple, Voltaire, dans Candide, décrit une scène de guerre particulièrement meurtrière. Il transforme le carnage en action juste qui débarrasserait la terre de tous ses coquins et en spectacle beau à voir car harmonieux :
« Rien n’était si beau, si leste, si brillant, si bien ordonné que les deux armées. Les trompettes, les fifres, les hautbois, les tambours, les canons, formaient une harmonie telle qu’il n’y en eut jamais en enfer. Les canons renversèrent d’abord à peu près six mille hommes de chaque côté ; ensuite la mousqueterie ôta du meilleur des mondes environ neuf à dix mille coquins qui en infectaient la surface. La baïonnette fut aussi la raison suffisante de la mort de quelques milliers d’hommes. Le tout pouvait bien se monter à une trentaine de mille âmes. Candide, qui tremblait comme un philosophe, se cacha du mieux qu’il put pendant cette boucherie héroïque. »

Le passage est ironique, comme le révèlent les oxymores : « une harmonie telle qu’il n’y en eut jamais en enfer » et « boucherie héroïque ». Il associe une critique virulente de la guerre et de la philosophie de Leibniz (le terme « raison suffisante » lui appartient) résumée par la célèbre formule : « tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles ». Voltaire montre ici que la réalité contredit cette philosophie, « le meilleur des mondes » autorisant le massacre de milliers d’hommes au cours d’une bataille. L’inventivité du passage et le décalage entre ce qui est décrit et le filtre enjoliveur qui lui est appliqué prête à sourire malgré tout.

Le registre polémique

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À retenir

L’adjectif « polémique » vient du grec πόλεμος (polémos) signifiant : « le combat, la bataille ». Dans un texte au registre polémique, l’auteur cherche à frapper les esprits pour dénoncer certaines réalités ou personnes et pour défendre le parti opposé : une polémique met face à face deux partis, deux opinions, comme sur un terrain de guerre.

Contrairement à la satire, la polémique ne consiste pas à moquer, mais à entraîner le lecteur à changer d’avis ou de comportement.
Par exemple, dans le livre I, chapitre XXVI de ses Essais, Montaigne oppose deux types d’éducation : l’éducation scolastique, reposant sur l’apprentissage par cœur de savoirs pas toujours bien assimilés et une éducation plus moderne, s’assurant de la bonne compréhension des élèves en fonction du tempérament de chacun :

« Ceux qui, comme porte notre usage, entreprennent d’une même leçon et pareille mesure de conduite de régenter plusieurs esprits de si diverses mesures et formes, ce n’est pas merveille si, en tout un peuple d’enfants, ils en rencontrent à peine deux ou trois qui rapportent quelque juste fruit de leur discipline.
Qu’il [le maître] ne lui demande pas seulement compte des mots de sa leçon, mais du sens et de la substance, et qu’il juge du profit qu’il aura fait, non par le témoignage de sa mémoire mais de sa vie. Que ce qu’il viendra d’apprendre, il le lui fasse mettre en cent visages et accommoder à autant de sujets divers, pour voir s’il l’a encore bien pris et bien fait sien. C’est témoignage de crudité et indigestion que de regorger la viande comme on l’a avalée. L’estomac n’a pas fait son opération, s’il n’a fait changer la façon et la forme à ce qu’on lui avait donné à cuire. »

Le premier paragraphe du passage vise les maîtres de l’ancienne école qui ne se préoccupent que de faire emmagasiner des connaissances à leurs élèves : ils ne doivent pas s’étonner de leur manque de réussite ! Le second paragraphe conseille et propose une nouvelle façon d’enseigner : tester la compréhension de chaque élève en l’interrogeant pour voir s’il s’est bien approprié le savoir et si ce savoir aura quelque utilité dans sa vie. Les deux dernières phrases développent l’image de la digestion : les maîtres contemporains de Montaigne font avaler force viande (= savoir) à leurs élèves et leur demandent simplement de la recracher sans l’avoir toujours digérée. Cette image est plutôt dépréciative pour les maîtres traditionnels et leur méthode. Cependant, Montaigne n’a pas recours à des arguments ad hominem : il ne cite personne en particulier mais les maîtres en général. De même, il évite le sarcasme (raillerie insultante) et l’invective (injure) qui confèrent à un texte polémique un tour beaucoup plus violent.

Dans son Dictionnaire philosophique, Voltaire réfléchit à la notion de « certitude » (article « Certain, certitude »). Il cite des erreurs judiciaires de son époque : des juges ont envoyé à la mort des innocents parce qu’ils étaient certains de leur culpabilité ; puis il énonce sa thèse : on ne peut être sûr de rien. Sans citer de noms de juges, il cite des affaires de manière précise, pointant ainsi du doigt les juges incompétents qui les ont traitées. Le texte est donc bien polémique :

« Quand les juges condamnèrent Langlade, Lebrun, Calas, Sirven, Martin, Montbailli, et tant d’autres, reconnus depuis pour innocents, ils étaient certains, ou ils devaient l’être, que tous ces infortunés étaient coupables ; cependant ils se trompèrent.
Il y a deux manières de se tromper, de mal juger, de s’aveugler : celle d’errer en homme d’esprit, et celle de décider comme un sot.
Les juges se trompèrent en gens d’esprit dans l’affaire de Langlade, ils s’aveuglèrent sur des apparences qui pouvaient éblouir ; ils n’examinèrent point assez les apparences contraires ; ils se servirent de leur esprit pour se croire certains que Langlade avait commis un vol qu’il n’avait certainement pas commis ; et sur cette pauvre certitude incertaine de l’esprit humain, un gentilhomme fut appliqué à la question ordinaire et extraordinaire, de là replongé sans secours dans un cachot, et condamné aux galères, où il mourut ; sa femme renfermée dans un autre cachot avec sa fille âgée de sept ans, laquelle depuis épousa un conseiller au même parlement qui avait condamné le père aux galères, et la mère au bannissement […].
Pour nous, qui n’avons entrepris ce petit Dictionnaire que pour faire des questions, nous sommes bien loin d’avoir de la certitude. »

Conclusion

Les grands auteurs des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles dont l’œuvre est parvenue jusqu’à nous se sont tous illustrés dans la littérature d’idées, sans doute parce qu’au-delà du plaisir esthétique que leurs textes pouvaient encore procurer, les siècles suivants y ont trouvé matière à information et à réflexion. Cette littérature, capable d’endosser un grand nombre de genres et de formes, témoigne de l’esprit d’une époque et de ses évolutions. Pour le XXe siècle, on parlera plutôt de littérature engagée même si l’intention des auteurs qui s’impliquent dans la vie de leur temps est toujours la même : exprimer une opinion et ainsi tenter de changer les mentalités et le monde.